Chapitre 11 - Bas les masques // 1

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Dans la voiture, le silence total me fait du bien. La conduite sportive d'Eric, encore plus brusque que d'habitude à cette heure de la nuit où les rues sont vides, me fait me sentir encore un peu plus en sécurité. Je suis prête à tout, pourvu qu'il y ait le plus de distance possible entre David et moi. David. Rien qu'à la pensée de ce qui aurait pu arriver, je craque. Les larmes débordent de mes yeux, malgré moi. Eric le remarque et se gare sur le bas-côté d'une ruelle peu passante.

— Hé, fait-il d'un ton rassurant. Ça va aller.

J'aimerais le croire mais mes sanglots redoublent d'intensité. Et d'une certaine façon, c'est comme si toute cette tension accumulée quittait mon corps.

Eric me tend un mouchoir sorti de nulle part et je m'éponge les yeux en le remerciant. Quand j'ose enfin croiser son regard, je suis complètement mortifiée. Lui me fixe, impassible. Son regard intense me pénètre dans ce moment où je suis totalement et parfaitement vulnérable.

— Est-ce qu'il t'a touché ? demande-t-il sans ciller.

— N... non.

— Bien.

Il soupire et parait enfin se détendre. Au moins, sa mâchoire se décontracte pour la première fois depuis que nous avons quitté l'hôpital.

— Si je n'étais pas arrivé à temps... fait-il, les dents serrées, en se rappuyant dans son dossier.

— Mais tu étais là, intervins-je en le coupant, et il ne s'est rien passé, heureusement.

— Je ne sais pas pourquoi tu m'as empêché de...

— C'est mon chef. C'est... C'est mon chef, balbutié-je à demi-mot.

Eric reporte son attention sur moi et me dévisage.

— Tu bosses avec ce type ?! s'étrangle-t-il. Est-ce que c'est la première fois qu'il va trop loin ?

— Eric...

— Dis-le-moi !

Son rugissement me fait sursauter. Il a clairement du mal à dissimuler sa colère et j'entraperçois enfin l'animal qui sommeille en lui et que j'ai perçu depuis notre toute première rencontre. Pour la première fois, il perd le contrôle. Et je n'ai pas peur, au contraire. Je me sens soulagée de ne plus avoir affaire au Eric sophistiqué qui ne m'a jamais mise à l'aise.

— C'est compliqué... dis-je d'une petite voix.

Je détourne le regard et à nouveau, je sens ma tête qui commence à tourner. Eric doit voir à quel point je lutte car il soupire une fois de plus, ouvre la boite à gants devant moi et en sort une bouteille d'eau qu'il me tend.

— Bois, dit-il, autoritaire. Ça va te faire du bien.

Je m'exécute et, un instant plus tard, il met son clignotant et nous reprenons la route. Je vois bien que nous n'allons pas dans la direction de mon appartement, mais je n'ai pas la force d'opposer une quelconque résistance. Cinq minutes plus tard, nous nous garons sur le parking du prestigieux Geneva, un hôtel cinq étoiles en proche périphérie de la ville. Eric m'aide à descendre de la voiture. Je m'appuie sur ses avant-bras musclés et pose les pieds à terre, encore saisie de vertiges. Je frissonne dans la nuit glaciale mais il ne me propose pas sa veste. Je n'arrive pas à savoir si sa colère est également dirigée contre moi, s'il m'en veut de l'avoir réveillé au milieu de la nuit pour l'entrainer dans cette histoire merdique. En entrant dans le hall luxueux, je me fais toute petite. Avec mes ballerines détrempées, mes cheveux défaits et mon accoutrement ridicule, je ne suis clairement pas à ma place.

— Monsieur Beauchamp, Madame, nous salue le réceptionniste qui fait son possible pour ne pas me dévisager ouvertement.

Il tend à Eric la carte magnétique de sa chambre et nous prenons l'ascenseur jusqu'au dernier étage, sans échanger un mot. Les portes coulissantes s'ouvrent sur un long couloir à la moquette rouge immaculée. Nous marchons jusqu'à la porte 404 qu'il déverrouille avant de s'écarter pour me laisser entrer. La pièce est somptueuse, bien sûr, avec ses draperies, ses épais tapis persans et son immense baie vitrée donnant sur un balcon-terrasse. Un énorme lit king size surélevé à baldaquin trône contre le mur de droite. Sur un bureau en merisier, je remarque un ordinateur encore ouvert, affichant un écran de veille coloré. J'entraperçois aussi, au fond de la pièce, une porte qui doit mener à la salle de bain.

Je fais quelques pas dans la chambre, embarrassée.

— Eric, je... je ne sais pas par où commencer... Je ne sais pas comment te remercier.

J'ai les idées embrouillées. Quand je me retourne, il est appuyé contre la porte, sexy en diable dans cette lumière tamisée.

— Ne m'oblige pas de dormir sur la méridienne, c'est tout ce que je demande, dit-il avec un petit sourire.

Je secoue la tête aussi énergiquement que possible. Après son acte chevaleresque, je n'avais même pas songé à le chasser de son propre lit.

— Pourquoi tu ne m'as pas simplement ramené chez moi ? demandé-je en plantant mon regard embué dans le sien.

— Après la scène de tout à l'heure, je préfère te savoir en sécurité.

Sa voix grave résonne à mes oreilles et je me sens soudain envahie d'une douce chaleur. Maintenant que les barrières sont tombées entre nous, tout se mélange en moi. Mon sentiment de gratitude se mêle à mon désir. Je ne sais pas si c'est l'alcool ou l'adrénaline, mais je ne peux plus résister à cette attraction magnétique qui m'attire irrésistiblement vers lui. Sans quitter son regard, je fais un pas, puis deux, mettant fin à la distance qui nous sépare. Eric ne bouge pas d'un millimètre et m'observe attentivement, tel un fauve prêt à bondir. Je dois lever la tête pour soutenir son regard. Comme il ne cille pas, je me hisse sur la pointe des pieds et pose mes lèvres sur les siennes.

Je perçois immédiatement la tension qui envahit tout son corps. Son torse se contracte contre le mien. Ses mains restent croisées dans son dos et ne m'encouragent nullement. Je me presse un peu plus contre lui et sens quelques barrières supplémentaires céder. Ses lèvres s'entrouvrent, sa langue vient à la rencontre de la mienne. Je sens une douce chaleur m'envahir, laisse mes mains remontrer le long de ses bras, se crocheter dans son cou. Je l'entends grogner, le laisse approfondir encore notre baiser. Mais presque immédiatement, ses mains se posent sur mes épaules et me repoussent doucement. Je papillonne des cils, encore sonnée par ce baiser si charnel.

— Sophia, ne me tente pas... lâche-t-il, le souffle court.

— Pourquoi ?

La question est sortie toute seule tant je suis frustrée. Eric soupire, relâche mes épaules et se passe une main sur le visage comme il le fait lorsqu'il est contrarié.

— Parce que tu es saoule et vulnérable ce soir.

Je secoue la tête en signe de protestation mais la chambre se met à tournoyer. Je vacille, soutenue quasi instantanément par un bras puissant.

— Viens, glisse-t-il à mon oreille en me soulevant du sol.

Je me recroqueville contre son large torse et regrette qu'il me dépose déjà sur le lit. Précautionneusement, il rabat la couverture sur moi. Je voudrais résister mais l'instant d'après, je m'enfonce dans le plus profond des sommeils. 

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant