Chapitre 32 - Un peu, beaucoup, passionnément... // 3

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Carole reprend la parole avec son petit air supérieur, se délectant de ma panique.

— Comme tu vas mourir ce soir, je peux bien te le dire. J'ai piraté ton téléphone depuis des semaines. J'ai envoyé un message à ton ami, l'italien, pour qu'il ne vienne pas nous déranger. Et j'en ai envoyé un à Eric aussi, pour lui dire que tu n'étais plus très sûre pour le mariage...

J'essaie d'avaler ma salive, sans succès. La pièce est remplie de buée à présent. Le bruit de l'eau qui coule, jusqu'ici en arrière-plan, se rappelle à moi. La baignoire gigantesque est à moitié remplie. Mon regard passe de l'eau fumante à Carole, et au couteau qu'elle tient. Pour la première fois, j'entrevois ce que son esprit tordu a imaginé.

— Eric ne croira jamais que je me suis suicidée ! m'exclamé-je d'une voix forte.

Aussitôt, Carole éclate de rire et tourne le couteau entre ses doigts sans faire plus de cas de ma personne.

— Le tout est qu'il existe un doute suffisant, je suppose.

Je m'adosse au carrelage pour ne pas tomber. Je sens les larmes me monter aux yeux. La peur me tord le ventre. J'y pose ma main dans l'espoir de m'apaiser. Mon regard se porte sur la baignoire, qui se remplit bien trop vite. Un sentiment de révolte monte en moi. Je ne veux pas mourir... Et certainement pas de cette façon ! Toutes mes pensées vont vers ce bébé à venir, et vers Eric. Pourrait-il croire un seul instant que j'ai souhaité mourir, en me découvrant vidée de mon sang dans notre baignoire ? Cette idée m'est intolérable. 

Une autre pensée, plus douce, s'insinue en moi. Elle me souffle qu'Eric m'aime trop pour se contenter d'un message d'adieu ambigu. Contrairement à Carole qui, du fait de son déséquilibre psychique, est persuadée qu'il accueillerait cette rupture avec soulagement, je sais que mon fiancé serait prêt à tout plutôt que de renoncer à moi. Je sens mes forces réintégrer mon corps et m'accroche à cet espoir. Oui, j'en suis persuadée à présent. Eric est en chemin, il va arriver. Je dois gagner du temps, par tous les moyens. Et prier pour que Carole s'écarte de la porte... Juste un instant...

— Eric avait beaucoup d'estime pour vous, commencé-je, hésitante.

Le regard de Carole sur moi change imperceptiblement, se fait un peu moins hargneux.

— Évidemment, dit-elle d'une voix plate.

— Il parle souvent de vous.

À cette remarque, elle émet un rire sans joie.

— Bien sûr qu'il parle de moi, s'agace-t-elle en me fusillant du regard. Je sais très bien ce qu'il ressent. Quand on travaillait ensemble, il me l'a fait comprendre par ses messages, ses regards sur moi...

Je digère prudemment cette information tandis que Carole semble perdue dans ses pensées. J'ai l'impression que la situation s'inverse, que je reprends ma place de psychiatre face à un patient dangereux. Je sais qu'Eric n'a très certainement jamais eu un regard pour sa réceptionniste. Et, pendant qu'elle parle, je reconnais dans le discours de Carole toutes les caractéristiques d'un délire érotomane. Cette pathologie si particulière, dans laquelle un patient nourrit la conviction délirante d'être aimée, et qui se fixe sur une personne d'un statut social plus élevé...

La baignoire est pleine maintenant. L'eau en trop s'écoule par le trou d'évacuation prévu à cet effet. Heureusement, Carole ne s'en rend pas compte.

— Vous avez raison, ajouté-je pour profiter de mon avantage. Eric ne voulait pas vraiment m'épouser, il s'y sent obligé par son honneur.

Cette fois, l'attention de Carole est captée. Je me sens galvanisée par l'adrénaline. Je sais, maintenant, comment entretenir son délire et maintenir son niveau d'intérêt.

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant