Chapitre 32 - Un peu, beaucoup, passionnément... // 1

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Avant que je m'en rende compte, nous sommes la veille du mariage. Comme d'habitude, je me suis trouvée emportée par ce tourbillon incessant qu'est devenue ma vie, depuis que j'ai fait la connaissance d'Eric Beauchamp. Pour enterrer ma vie de jeune fille, j'ai invité Paul et Edouardo à passer la soirée chez moi, afin de régler les derniers détails du mariage et faire une toute dernière séance d'essayage de robe après les retouches. Quant à mon fiancé, il a, une fois de plus, gentiment accepté de passer la nuit à l'hôtel. De toute façon, il me semble qu'il tient plus que moi à respecter toutes ces vieilles traditions sur le mariage. Son côté superstitieux, sans doute...

Ce soir-là, assise à mon bureau, je regarde pensivement par la fenêtre en rangeant mes affaires dans mon sac. Avec l'arrivée du mois d'octobre, le temps s'est rafraichi et les journées se font plus courtes. Je souris pensivement en réalisant que demain, ma vie changera définitivement. Dès la semaine prochaine, je me présenterai officiellement à mes patients comme le Dr Beauchamp, et cette pensée provoque en moi une douce chaleur et un sentiment de plénitude extrême.

Je quitte mon service en saluant les infirmiers et me rends à ma voiture, sur le parking. Je n'ai pas vu Paul de la journée, mais nous avons convenu de nous retrouver directement chez moi.

Sur la route de la maison, toutes mes pensées sont tournées vers la cérémonie du lendemain. J'espère que mon père s'est trouvé un costume correct, que la décoration d'Edouardo ne sera pas trop exubérante et que je ne vais pas trébucher sur ma traine et m'étaler dans la pièce montée !

Une fois dans ma cuisine, j'apprécie le calme du manoir. Le soleil commence déjà à décliner à l'horizon. Je me débarrasse mes talons et m'attache les cheveux pour être plus à l'aise. Puis j'attrape un paquet de biscuits qui traine sur la table et en mange un distraitement. Les signes de ma grossesse commencent à se faire plus présents, avec, pour commencer, ces petites fringales qui me prennent à toute heure du jour et de la nuit... 

Après avoir mangé trois crackers, je parcours mes mails et réponds aux plus importants. Edouardo insiste pour qu'une gigantesque statue de cygne en glace trône au milieu du buffet, ce à quoi je m'oppose formellement. Je sais qu'il va m'en reparler ce soir, et je soupire déjà à l'idée de me battre avec lui à ce propos.

Je me tortille en tapant ma réponse. Ma jupe crayon me serre la taille et je dois me rendre à l'évidence ; je commence à être à l'étroit dans mes vêtements. Comme je n'ai toujours pas de nouvelles de mes invités, je décide d'aller prendre une douche à l'étage. L'eau chaude me fait du bien et c'est avec plaisir que j'enfile un jogging et des baskets. Ce n'est pas très glamour mais au moins, je suis à l'aise. Audrey m'a proposé d'aller faire du shopping avec elle la semaine prochaine pour acheter des vêtements de grossesse, et je pense sérieusement à accepter son offre.

Quand je redescends, il fait nuit. Je commence à trouver ce retard étrange. Je me dirige vers le plan de travail de la cuisine et récupère mon téléphone, que j'avais laissé là. Quand j'appuie sur le bouton central pour le déverrouiller, un écran noir s'affiche et me demande un code.

— Qu'est-ce que...

Je fronce les sourcils, perplexe. Moi qui n'ai jamais installé aucun mot de passe, j'ai du mal à comprendre. J'essaie quatre zéros, mais l'écran revient aux quatre tirets avec un message d'alerte :

« Deux tentatives restantes »

Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions qu'on toque à la porte.

— Enfin, m'exclamé-je en allant ouvrir, je ne vous attendais... plus...

Ma phrase reste en suspens car il n'y a personne sur le perron. À mes pieds, par contre, se trouve un grand carton blanc rectangulaire. Sur le dessus, le nom d'un célèbre fleuriste est inscrit dans une belle écriture italique argentée. Je prends la boite et referme la porte, le sourire aux lèvres. C'est forcément un cadeau d'Eric. J'apprécie toujours ses attentions et une petite voix dans ma tête me souffle qu'il a dû dépenser une fortune pour qu'on me livre si tard dans la soirée... 

Je dépose le carton sur l'îlot central de la cuisine, en soulève le couvercle et ne peux retenir un cri d'effroi. Il contient un bouquet de fleurs pourri, grouillant de larves et d'asticots. Je referme précipitamment la boite et recule en me cognant contre l'évier. Un signal d'alarme s'allume dans mon cerveau et je sens la panique me gagner. J'attrape mon téléphone, martèle le bouton central mais l'appareil refuse toujours de se déverrouiller.

Et soudain, j'entends un grincement en provenance du premier étage.

Je m'immobilise, mon téléphone tremblant entre mes doigts, pourtant crispés. Ce bruit était si furtif que je tends l'oreille, dans une sorte d'attente anxieuse. Ai-je bien entendu ? Ou était-ce seulement mon imagination ?

Les secondes passent, dans une lenteur extrême. J'ose à peine respirer, toujours figée dans la cuisine. Puis je l'entends, plus net cette fois-ci. Un second grincement au-dessus de moi.

Mon cœur s'emballe dans ma poitrine. Je reste encore paralysée une seconde avant que mon hésitation ne laisse place à l'urgence. Mes yeux se posent sur mon sac à main, resté sur le canapé. J'ordonne à mes jambes tremblantes d'obéir et par miracle, elles le font. Je cours jusqu'au salon. Je ne peux me résoudre à lâcher mon téléphone inutilisable et le laisse tomber dans mon sac. Je plonge ma main à l'intérieur du cabas et me mets à chercher mes clés frénétiquement pendant des secondes qui paraissent interminables. Mon regard passe alternativement du fond de mon sac au bas de l'escalier, comme si quelqu'un pouvait s'y matérialiser à tout instant. 

Tous mes sens sont en alerte, à l'affut d'un nouveau bruit suspect. Mes doigts finissent par se refermer sur mes clés de voiture et je me précipite dans l'entrée, poussée par une montée d'adrénaline. Ma respiration se fait hachée et mon cœur bat d'une façon totalement désordonnée. J'ouvre la porte à la volée. 

Dehors, tout est calme. Il fait nuit noire mais la lumière de la maison éclaire la cour. Sans prendre la peine de refermer derrière moi, je cours en trébuchant vers ma voiture qui obéit à la clé et se déverrouille dans un bip sonore. À mesure que je m'éloigne, je me sens soulagée de mettre de la distance entre la maison et moi. J'ouvre la portière, saute dans l'habitacle et balance mon sac sur le siège passager. Mes doigts tremblent tellement que je peine à mettre la clé dans le contact. Plus vite, me souffle une voix intérieure. Plus vite.

Enfin, la clé s'enfonce finalement dans l'orifice et le vrombissement du moteur se fait entendre. Je soupire de soulagement en posant mes doigts sur le volant. Je m'y agrippe avec force pour arrêter de trembler. Péniblement, j'avale ma salive et tente de recouvrer une respiration normale. Face à moi, les phares éclairent le jardin, immobile dans la nuit noire. A priori, tout semble paisible, mais quelque chose attire mon attention dans mon champ de vision périphérique. Je lève les yeux et aperçois, dans mon rétroviseur central, une paire d'yeux qui me fixe depuis la banquette arrière. 

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant