Chapitre 25 - Un grain de sable dans l'engrenage // 2

1K 79 31
                                    


J'essuie mes mains moites sur mon short en jean. La musique d'attente de l'ascenseur me parvient à peine. Je respire à fond, pour la cinquantième fois au moins. Après un moment de panique dans mon appartement, je me suis rendue à la gare sur un coup de tête et me trouve maintenant dans l'ascenseur de la société d'Eric. Le trajet en train a semblé durer une éternité, tout comme la course en taxi. 

Ce laps de temps ne m'a pourtant pas permis de m'éclaircir les idées. Je ne peux penser à rien. Rien, hormis la réaction d'Eric. Sera-t-il content, ou au contraire, furieux ? Mon estomac vide se tord, se rebelle, mais je l'ignore. Carole, à l'accueil, m'a laissé passer cette fois et heureusement, car je n'aurais pas eu la force de me battre avec elle. Et, maintenant que les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le couloir du dixième étage, je sens la panique m'envahir à nouveau et je sais que tous les exercices de respiration du monde n'y changeront rien. 

J'avance au hasard dans le couloir. Je ne sais même pas où se trouve le bureau d'Eric, mais je n'ai pas le temps de me poser la question car je l'aperçois déjà, au travers des vitres de la grande salle de réunion. Dans l'aquarium, toutes les chaises sont occupées par des femmes en tailleur et des hommes en costume. 

Eric préside. Il est debout, toujours aussi élégant avec sa chemise blanche déboutonnée au col. Il parle d'un graphique qui s'affiche en énorme sur l'écran géant. Je reste plantée devant les vitres immenses, sans savoir quoi faire. Un moment, j'oublie même ce que je fais ici... Je me contente d'admirer l'assurance d'Eric, la manière dont il captive son auditoire, sa façon de parler avec aisance de ces schémas complexes auxquels je ne comprends rien... Puis son regard balaye l'assemblée et se pose sur moi, à travers les vitres en plexiglas. Il s'immobilise et se coupe au milieu de sa phrase. Je le vois hésiter, reposer le pointeur qu'il tient et s'excuser brièvement. Puis il contourne la table et vient me rejoindre à l'extérieur.

— Sophia ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Son beau regard se fait inquiet. Il me saisit par les épaules et je me sens si faible que j'ai envie de me laisser tomber dans ses bras. Mais je tiens, debout sur mes jambes tremblantes.

— Qu'est-ce qu'il y a ? redemande-t-il, plus pressant. Tu es toute pâle...

— Je dois te parler de quelque chose, dis-je dans un murmure.

Eric fronce les sourcils. Je vois bien qu'il est en état d'alerte. Il me fait signe de ne pas bouger et retourne dans l'aquarium. Sa voix me parvient de façon étouffée à travers les vitres et je l'entends à peine annoncer qu'il reprogrammera une nouvelle session avec le conseil d'administration. Tandis que tout le monde ramasse fournitures de bureau et porte-documents, il quitte la pièce d'un pas rapide et m'entraine vers le bureau où je me suis déjà installée quelques fois pour travailler. Quand il referme la porte derrière moi, je me sens tout de suite plus calme.

— Viens, assieds-toi, dit-il en m'accompagnant jusqu'au fauteuil. Tu veux un verre d'eau ?

Je secoue la tête en signe de dénégation. Je dois vraiment avoir une mine épouvantable car je vois, à présent, que lui aussi doit lutter pour contenir son anxiété. Il s'assoit près de moi et pose ses avant-bras sur ses genoux. Son regard sombre me détaille tandis que je mène une lutte intérieure pour ne pas vomir à nouveau.

— Eric, commencé-je la gorge nouée. Je...je ne sais pas comment te le dire, mais je...

J'hésite, juste un instant, comme si le fait de le dire allait rendre la chose réelle. Quand je reprends la parole, mon cœur cogne furieusement contre ma poitrine et ma voix n'est plus qu'un filet.

— Je suis enceinte.

À côté de moi, je vois le sang se retirer peu à peu du visage d'Eric. Il me fixe sans ciller.

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant