Chapitre 24 - L'épineux problème de la clause de préciput // 1

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L'annonce du contrat de mariage avait fait retomber mon enthousiasme comme un soufflé et deux semaines après la demande d'Eric, j'en étais toujours au même point. J'avais l'impression de vivre les choses comme dans un rêve, en simple spectatrice de ma vie, sans aucun contrôle sur ce qui m'arrivait. J'avais laissé Eric me parler du régime de la participation aux acquêts, de gestion patrimoniale, de clause de préciput et autres charabias juridiques dont je ne comprenais pas un traitre mot. 

Son discours s'était toujours voulu très rassurant. « C'est un contrat type » avait-il dit, « tout le monde le signe dans ma famille. On pourra renégocier les clauses que tu veux, prends bien le temps de le lire avec ton avocat. ». Je n'avais pas relevé cette dernière absurdité, comprenant que dans le monde des Beauchamp, avoir un avocat, un notaire, un comptable et un courtier pour gérer son portefeuille d'action faisait partie de la normalité. 

De mon côté, contacter un juriste s'avérait hors de question. Je n'avais absolument aucune envie, avant même d'être mariée, de discuter des mille et une possibilités de répartir les biens en cas de séparation. Et, pour ne rien arranger, Eric avait dû partir quelques jours en Chine pour ses affaires, ce qui restreignait nos échanges au minimum.

Assise au self de l'hôpital, je reste en proie aux doutes, à triturer nerveusement ma purée du bout de ma fourchette. Perdue dans mes pensées, je pousse un soupir interminable. À table à mes côtés, je sens bien que Paul fixe la grosse pile de documents que j'ai reçue hier soir, en recommandé. Elle est tellement imposante que je n'ai même pas tenté d'y jeter un coup d'œil.

— Sophia, tu dois le lire ! s'exclame mon co-interne.

J'hésite. J'ai un goût amer dans la bouche qui ne me quitte pas depuis qu'Eric m'a parlé de ce contrat. D'un autre côté, la curiosité de savoir ce qu'il contient se fait sentir. Sans entrain, je feuillète les premières pages. Le document est écrit dans une police italique minuscule. Je remarque immédiatement le nombre incalculable d'alinéas et de sous-paragraphes, chaque clause semblant se décliner en une infinité de ramifications.

— Ça ne sert à rien, soufflé-je, je ne comprends rien à ce truc !

— Fais voir !

Paul se penche par-dessus mon épaule et marmonne dans sa barbe en lisant à haute voix :

— À la dissolution du mariage, chaque époux peut participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre. Ceux-ci devant être mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

— Je n'en ai pas la moindre idée !

Je gémis et tourne les autres pages. Il semble qu'il n'y ait jamais assez de clauses pour chaque situation de la vie.

— Regarde ! s'exclame Paul. Tu as vu, tu as droit à certaines primes !

— Quoi ?

Mon ami pointe une ligne de son index au milieu de la page.

— Ça dit qu'en cas de naissance d'un garçon, tu peux prétendre à une prime de...

— UN MILLION ?!

Je m'étrangle à moitié en voyant la somme inscrite sous mes yeux. Quelques personnes au self nous jettent un regard courroucé avant de reporter leur attention sur leurs plateaux-repas.

— Un million par enfant, précise mon co-interne.

— Et combien pour une fille ?

Nous parcourons tous les deux le document des yeux mais devons rapidement nous rendre à l'évidence. Apparemment, la naissance d'une fille dans cette famille ne mérite pas une ligne dans ce fichu contrat.

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant