Chapitre 2

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19h16. Par la fenêtre de sa chambre elle voit une ombre qui s'agite devant l'entrée et allume sans cesse son téléphone. 19h 17 et 0 secondes, la sonnette est actionnée et Clément frappe à la porte.

Océane s'empresse d'aller l'accueillir. Il n'est pas très grand, des cheveux châtains en bataille et en fait elle ne distingue pas grand-chose d'autre car le jeune homme a le visage enfoui derrière un tas de tissu censé faire office de masque. Elle l'invite à entrer et il s'exécute trainant derrière lui un malheureux sac kaki défraichi.

— Merci, dit-il en guise de salut.

— De rien, répond-elle un peu impressionnée.

— Est-ce que je peux l'enlever ? demande-t-il en désignant son foulard.

— On est partis pour vivre ensemble, c'est aussi bien oui.

Le jeune homme acquiesce et s'exécute. Océane ajuste son gilet et glisse la mèche de cheveux entortillée jusqu'alors autour de son doigt, derrière son oreille. Elle l'observe alors qu'il parcourt des yeux le salon. S'il lui dit que la décoration ne lui plait pas elle serait prête à l'assommer, mais il ne dit rien à part pour savoir s'il peut continuer à visiter.

— Fais comme chez toi.

Chaque pièce est observée, détaillée, du sol au plafond et le visage du jeune homme s'anime.

— Où est-ce que je dors ?

Il n'a toujours fait aucun commentaire.

— Dans la chambre au fond du couloir à droite.

Il se dirige vers ladite pièce et en pousse la porte. Un vieux fauteuil orange est installé à l'entrée de celle-ci, la tapisserie est ornée de motifs à grosses fleurs et le parquet craque. Le lit en aggloméré brillant est collé à droite de la porte et en face de celui-ci une armoire de la même époque est installée.

— Le sommier et le matelas ont deux ans.

— C'est chouette !

— C'est vrai ?

Il se retourne vers elle et la scrute de ses yeux noisette avant de répondre :

— J'ai dormi pendant un an dans une cabine de bateau. Cette chambre est tout confort.

— Oh cool !

— Ca t'embête si je déplace les meubles ?

— Tu peux déplacer, peindre, ajouter ce dont tu as besoin.

— Cool !

— Je te laisse t'installer, tu es chez toi.

— Si tu veux je cuisine ce soir.

— Je n'ai pas eu le temps de faire les courses, je pensais le faire entre deux visites mais...

— Je ferai les courses demain.

— Tu es réel ?

— Je crois.

— J'ai un doute, confie-t-elle.

— Tu n'as pas idée de ce que je suis content d'être ici. C'est ma façon de te remercier.

— Je te trouve étrange.

Il incline sa tête sur le côté.

— Je vais prendre ça pour un compliment.

Elle sourit et tourne les talons.

— J'ai faim, alors.

Il en fait de même et ferme la porte de sa nouvelle chambre et la rouvre aussitôt. Une mouche virevolte et suit la jeune femme en bourdonnant allégrement.

— Attends ! Il la rattrape et lui dépose une liasse de billets dans les mains. Le mois d'avance.

— Me...Merci.

En plus d'avoir déposé les billets dans sa main, il a entouré ses doigts autour de son épaule. La tête d'Océane se tourne vers Clément, ses yeux rencontrent la mouche avant de se poser sur le jeune homme. Le petit insecte ailé est suspendu en l'air sans battre des ailes et ne bouge plus. Son cœur à elle bat un peu fort, pourtant il ne lui semble pas avoir peur. Elle fronce un peu les sourcils et lui écarquille un peu les yeux, jusqu'à ce qu'un doux bourdonnement informe la jeune femme que le diptère a repris son chemin. Cinq secondes et puis c'est son tour d'en faire de même.

Elle se rend dans la cuisine afin d'installer le couvert pour deux. Les assiettes sont dépareillées, certaines ont fait partie d'un service d'autres ont dû être rachetées au fur et à mesure des casses et des locataires. Elle en trouve des assorties et renouvelle l'opération pour les couteaux, les fourchettes. Pour les verres elle hésite entre ceux à moutarde et les jolis verres à vin semblant avoir miraculeusement survécus ensemble. Elle opte pour ceux-ci. Après tout, c'est un grand jour.

Elle lave à la main chaque élément qu'elle choisit, soucieuse que tout soit parfait. Et puis elle le voit arriver, il a troqué sa chemise froissée contre un tee-shirt froissé.

Sans rien demander, il ouvre les placards en recherche du garde-manger et examine les bocaux, les paquets de pâtes et de riz. Elle se mordille la lèvre, doit-elle l'aider ? Le voyant s'affairer, concentré, elle le laisse faire et décide de se retirer dans le salon. Tout en regardant dehors, Océane se gratte la tête. Cette journée lui semble étrange. Vraiment très étrange. Comme si elle était coincée dans un rêve bizarre, mais agréable. Agréablement bizarre. Une quinzaine de minutes plus tard, Clément l'interpelle et ensemble ils se lancent dans la dégustation d'une salade riz, haricots verts, thon accompagnée d'une vinaigrette dont la jeune femme ne peut s'empêcher de se resservir.

Elle a plein d'interrogations, aimerait comprendre comment il est arrivé jusqu'ici, mais aucun son ne sort de sa bouche. Lui non plus ne parle pas. Il est juste apaisé d'être là. Quelque chose en Océane le calme, dans la simplicité qui se dégage de cette maison en partie figée dans le passé et cela lui permet de s'amarrer en sécurité. Pour un temps en tout cas. Il va lui falloir trouver un travail, de quoi payer le loyer, de quoi acheter à manger, réfléchir à quoi faire après.

Après.

Il ne s'était même pas posé la question d'un après jusque-là. Il s'était contenté de vivre, tranquillement. De se laisser porter par les vagues, par le quotidien. Il avait le sentiment que sa vie allait rester ainsi, que le temps n'avait pas de prises sur lui, sur eux. Mais il avait tort et cela lui était revenu en pleine face, d'un coup d'un seul.
Sa bulle de sérénité avait explosé sans prévenir. Cela avait été sacrément dur.
  Jusqu'à ce qu'il s'assoie sur son nouveau vieux lit, une douleur intense au cœur ne le quittait pas. Comme si celui-ci, gonflé de tristesse, menaçait à tout moment d'exploser. Il tenait bon, mais le poids d'un gros potiron, ou peut- être d'une boule de pétanque lui rappelait chaque seconde de chaque minute de chaque heure qu'il ne la reverrait plus. Que c'était fini. Un peu de sa légèreté l'avait quitté. Il vivait là, son premier chagrin d'amour.

Alors oui, pour la première fois depuis la rupture il se sent apaisé.
Le lieu en lui-même est spécial, comme habité. Il y a ce quelque chose, ces petites étincelles qui l'entrainent à la fin du repas vers sa chambre et qu'il suit après avoir aidé Océane à débarrasser.

Port-LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant