Bientôt, les cours vont commencer. C'est là-dessus qu'Océane tente de fermer les yeux, mais c'est sans compter sur ses méninges qui ont décidées de n'en faire qu'à leur tête. Elles s'activent lui refusant ce repos qu'elle désire pourtant si fort. Cela fait beaucoup de changement, elle avait jusqu'alors une vie douillette, une vie simple et la voilà qui se lance dans l'inconnu avec un inconnu. Elle a bien vu à quel point le cœur du jeune homme est gonflé et lourd. Il en est légèrement courbé. Qu'est ce qui a pu l'amener là, chez elle, en plein cœur de Port Lumière ? Elle se sent curieuse. Et puis il y a quelque chose dans son regard qui l'interroge. Voilà beaucoup de mystère autour de Clément.
Il s'est montré respectueux, gentil, calme, apaisant. Elle qui aime le silence a apprécié diner en sa compagnie. Ce n'était pas un silence pesant, non, il était plutôt léger. Elle a même aperçu des petites plumes blanches s'envoler au- dessus de la table alors qu'elle avalait un haricot vert. Oui, tout cela était léger et doux.
La vieille horloge sonne les heures. Minuit. Minuit et pas l'ombre d'un œil qui se ferme. Elle se lève. S'étire. S'installe à sa fenêtre. Un réverbère illumine un chat qui se promène. Il se déplace, tranquillement, en maître des lieux. Il y a du vent aussi, des feuilles tourbillonnent et s'élèvent dans les airs. Une chouette ulule, un hibou bouboule et une voiture déboule à toute allure, musique trop forte, fenêtre baissée dans la rue de l'écume.
Elle décide d'aller se faire une boisson chaude. Une verveine. Elle en a fait sécher des feuilles chez sa mère et les a méticuleusement bourrées dans des pots en verre. Elle fait chauffer l'eau dans une bouilloire qui fait un bruit du diable. La verse dans une vieille tisanière et y plonge les feuilles. Une fois que sa tisane a infusé, elle attrape son pot de miel et s'en sert une grosse cuillère.
— Ca sent bon !
Océane sursaute manquant renverser sa tasse.
— Je suis désolé, je ne voulais pas t'effrayer !
Clément se tient là devant elle, une main grattant ses cheveux toujours hirsutes.
— T'en fait pas.
Ils restent là, quelques secondes hors du temps à se regarder l'un l'autre. Et puis elle se remet à penser.
— Tu en veux une ?
— Oh ! Oui, je veux bien.
— Je suis désolée, je ne voulais pas te réveiller j'ai essayé d'être discrète.
— Ce n'est pas ta faute si je suis réveillé, j'ai passé une année sur un bateau, et je t'avoue que je ne pensais pas dire cela un jour, mais le fait est que le mouvement semble me manquer pour dormir.
— Tu vivais sur un bateau ? Je pensais que tu disais ça pour me rassurer tout à l'heure.
Emerveillée, Océane projette une nuée d'étincelles qui partent de ses pupilles légèrement dilatées.
— Oui, je vivais vraiment sur un voilier.
— As-tu vu des sirènes ?
Clément se renfrogne. Le jeune homme s'assombri, ajouté à son corps quelque peu penché vers l'avant, cela donne un tableau empreint de tristesse.
— Oui, une, une fois.
— Est-ce vrai qu'elles sont si belles ?
Tout à coup, il se redresse.
— C'est un charme ! C'est de la magie. Alors oui, celle que j'ai vu était magnifique. Ce n'était pas la réalité !
Océane est surprise par le ton sec que vient de prendre son colocataire. Elle ne le connait pas, bien sûr, mais vraiment il lui semble avoir questionné quelque chose qu'elle n'aurait pas dû.
— OK.
— Oh... Tu as aussi du miel ! s'exclame-t-il le visage à nouveau détendu.
— Oui, je t'en mets ?
— Merci !
Alors qu'elle lui donne sa tasse, leurs doigts se frôlent. Un frisson la parcourt.
Là, dans la nuit, ils partagent un moment hors du temps. Dans une bulle silencieuse et douce. Le jeune homme en profite. A coté d'Océane, il semble mieux respirer. A côté de Clément, elle a envie de sourire.
— Je devrais aller me coucher, dépose-t-elle acceptant d'être celle qui éclate la bulle.
— Je suppose que moi aussi.
— Tu veux qu'on aille marcher en ville ? J'aime bien la nuit.
Il acquiesce et tous les deux vont enfiler une tenue confortable, Océane quittant son pyjama un peu trop grand pour un jean et des baskets. Quelque chose les pousse à prolonger le temps ensemble. Pourtant il y aura un lendemain, pourtant Clément est là pour au moins un mois. Seulement il y a cette force invisible qui les entraine l'un et l'autre dans les rues. Les ruelles de Port-Lumière sont obscures, alors que les boulevards et les avenues scintillent. Les deux colocataires se laissent guider, sans but. Ils choisissent chacun leur tour le chemin à emprunter. C'est si simple.
Des basses au loin les attirent, ils suivent le son et arrivent devant une scène extérieure. Une scène en bois, des tables éparses certaines ayant pour base des tonneaux, et quelques personnes qui regardent une femme avec des cheveux blonds qui lui caressent les épaules dénudées. Elle porte une robe moulante s'arrêtant a mi mollets entièrement faite de plumes d'un noir profond. Derrière elle reposent deux ailes de taille moyenne de la même couleur. Derrière elle en lettres capitales une affiche indique « Gamayun ».
La main de la créature bat la mesure sur sa cuisse. Elle déambule en maitresse sur un tapis immense disposé sur les planches, sa voix agrippant l'âme avec une facilité déconcertante.
Elle semble chanter à tout le monde comme à chacun d'entre eux. Chaque mot s'immisçant dans ses spectateurs et y trouvant un sens nouveau. Gamayun fige son regard sur Clément, poursuivant son chant, laissant par moments la place à des solos de guitare captivants. Elle semble dompter chaque grain de poussière, chaque molécule d'oxygène.
Puis ses immenses yeux bleus trouvent ceux d'Océane et alors qu'elle entame une reprise de Fever la femme-oiseau esquisse un sourire qu'elle parait adresser aux colocataires. A la fin de la chanson, elle détourne son être d'eux.
Tous deux, un peu déconcertés, décident d'emprunter le chemin du retour, non sans un dernier regard pour l'intrigante chanteuse.

VOUS LISEZ
Port-Lumière
ÜbernatürlichesOcéane entre à la fac à Port-Lumière, une ville où humains et créatures magiques se côtoient. Pour payer ses études elle a deux options : travailler ou tenter l'aventure de la colocation. Lorsqu'elle opte pour la seconde, elle est loin d'imaginer qu...