Chapitre 13

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— Tu es prêt ? s'enquiert Océane.

— À peu près autant qu'on peut l'être quand on ne sait pas ce qui va nous tomber sur le coin de la figure, lui répond Clément.

Les deux colocataires se sont installés dans le canapé au salon et la boîte enfermant les lettres se trouve devant eux sur la table basse.

— Moi je ne le suis pas du tout, avoue la jeune femme.

— C'est parfait alors. Allons-y !

Elle attrape les lettres et vérifie les dates sur les enveloppes. Elle en choisi une.

— Ce doit être celle-ci la suivante, lui intime-t-elle.

— Alors je t'écoute.

Un drôle de bruit se fait entendre. Un gargouillement animal.

— Désolée, je suis stressée ...

— J'ai cru qu'un monstre s'était échappé de la lettre ! rit le jeune homme.

— C'est mon arme de défense anti-lumière bleue.

— Il va falloir que tu m'apprennes ça !

— Impossible ! Ce pouvoir, soit tu nais avec soit c'est fichu, plaisante-t-elle.

Après avoir repris son sérieux, Océane s'éclaircit la voix.

15 septembre 1967,

Chère Adeline,

Je vous réponds à peine votre lettre reçue. Réceptionner votre courrier aussi vite m'a procuré une grande joie. Hier soir même, alors que je me promenais au bord de l'eau, je me demandais si vous alliez m'écrire en retour. En parlant d'eau, je n'étais pas comme vous auriez pu le penser en bord de mer, mais je me plais à marcher autour d'un lac près de chez moi. J'aime y souffler. J'ai la tête bien torturée en ce moment, je dois prendre des décisions et je n'ai que peu de répit.

Vos traits d'humour sont une bouffée d'oxygène. Pour l'instant, je ne peux me contenter que de vos mots sur papier, mais j'aspire à les entendre à nouveau si vous êtes d'accord. Nous ne nous connaissons pas encore, pour autant je crois que de notre amitié naissante il ne peut sortir que du beau et du bon, à votre image.

Je dois vous dire pour être tout à fait honnête que lors de ma balade autour du lac je n'étais pas seul. Sarah m'accompagnait. C'est une femelle berger allemand qui a un regard si doux et intelligent que je me demande parfois si elle ne comprend pas tout ce que je lui raconte.

Je suis présentement dans mon jardin et elle me regarde, peut-être se demande-t-elle si je ne confie pas mes secrets à quelqu'un d'autre. Heureusement qu'une caresse au sommet de sa tête me permet de l'apaiser, sinon j'en serai quitte pour un gros os de bœuf.

Et vous Adeline, que faites-vous à l'heure où vous recevez ce courrier ? Avez-vous un animal ? Aimez-vous les chiens ?

Je suis impatient d'avoir votre réponse.

Bien à vous,

B.

Comme lors de la lecture de la première lettre, la pièce devient floue. Spontanément, Océane s'agrippe à Clément.

Il fait nuit. Une nuit claire ornée d'une lune immense. Les étoiles tapissent le ciel à perte de vue. Les colocataires se redressent.

— Regarde ! dit Océane en pointant du doigt un homme qui promène un berger allemand.

— Je crois que nous avons retrouvé B., confirme Clément.

— On s'approche ?

— Je ne vois pas mieux à faire.

Alors qu'ils marchent, la jeune femme s'adresse à son ami.

— Tu as la même sensation que la dernière fois ? Je veux dire, cela va mieux ici ?

— Oui je me sens plus léger. C'est pas la panacée, mais quand même c'est différent.

— Bien...

Les deux jeunes gens avancent en direction du promeneur, ils n'ont pas besoin d'accélérer beaucoup le pas, car celui-ci marche tranquillement. Lorsqu'ils sont suffisamment proches pour l'entendre, ils perçoivent un long soupir.

— Ma Sarah, si tu savais. Parfois j'aimerais que tu me répondes. Tu m'aides déjà beaucoup à réfléchir, je ne peux pas t'en demander trop non plus...

Les colocataires le dépassent et alors qu'ils se retournent pour mieux l'observer, Sarah dresse les oreilles, puis s'arrête brusquement.

— Que t'arrive-t-il ? As-tu vu un chat ? Sarah, je te préviens, il n'est pas question que je te coure après comme la dernière fois.

La chienne balaye du regard le périmètre, manifestement en alerte.

— Tu crois qu'elle nous a repérés ? demande Océane à son acolyte.

— Je ne crois pas. Attends, j'essaye quelque chose.

Clément s'approche de Sarah et lui caresse le sommet de la tête, enfin c'est son intention, car sa main ne fait que traverser ses oreilles.

La truffe de la chienne s'active.

— Nous devrions y aller, Sarah, dit B. en tentant de tirer sur la laisse.

Mais rien n'y fait et elle commence à retrousser les babines en dévoilant ses crocs.

— Enfin, qu'est-ce qu'il te prend ? s'inquiète le maître.

— Tu crois qu'elle va nous mordre ? se soucie la jeune femme.

— Je ne suis pas sûr que son comportement ait un lien avec nous. Et puis même si c'était le cas, elle passerait au travers de notre corps, la rassure Clément.

Sarah semble repérer ce qu'elle cherche au-dessus du lac à sa gauche. Les colocataires regardent à leur droite.

Océane plisse les yeux :

— Bon sang ! Tu as vu ?

— Tu parles de la lumière bleue qui danse au-dessus de l'eau ?

— Oui, elle te rassure celle-là ? demande l'étudiante.

— Pas du tout, et le comportement de la chienne ne fait que me conforter dans mon envie de fuir !

— On dirait que B., lui ne la voit pas !

En effet, l'homme ne cesse de tenter d'apaiser sa chienne tout en lui manifestant son incompréhension.

— Je voudrais que la vision s'arrête, confie Océane.

— La luciole s'agite dans tous les sens, commente Clément comme hypnotisé.

Un énorme gargouillement se fait entendre et Sarah se met à aboyer.

— Tu es donc stressée, poursuit-il.

— Ce n'est pas moi, dit la jeune femme d'une voix blanche.

Tout à coup, Sarah se met à détaler dans le sens opposé à celui du lac, entraînant derrière elle son maître.

L'eau se met à bouillonner anormalement et la lumière bleue continue de virevolter.

— On devrait suivre la chienne, s'affole la jeune femme.

— On ne craint rien, tente-t-il de l'apaiser. Rappelle-toi, tout nous passe à travers ici.

Les bouillonnements s'intensifient et un grognement grave et terrifiant leur parvient.

— Et si justement tout ne nous traverse pas... moi je ne suis pas prête à mourir ! s'exclame Océane affolée.

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