Chapitre 1

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Hier était un grand jour, celui de l’aménagement d’Océane dans la maison de sa grand-mère défunte. Elle a dix-neuf ans, – à peine – le bac en poche, – de justesse – et des yeux d’une couleur qui varie au gré du temps tel un baromètre.
La jeune femme n’a peut-être pas un rond de côté, mais elle a toujours un tas d’idées dans la tête – pas toujours bonnes. Inutile de revenir sur la fois où elle a décidé d’aller faire une randonnée de quinze kilomètres et ou à mi-chemin a décidé d’essayer un raccourci qui l’a rallongé de vingt - se perdre en montagne est sûrement son expérience la plus effrayante. Pas non plus nécessaire d’aborder ses nombreux essais culinaires étonnants.
Pour payer ses études supérieures, elle pouvait travailler, prendre un petit boulot et ramener un salaire dérisoire tous les mois, ainsi, elle aurait conservé calme et tranquillité. C’était une option, mais à y réfléchir un peu mieux, la perte de temps d’étude était garantie. Et si une chose est sûre, c’est qu’Océane refuse de foirer ses études. Elle a donc choisi l’option numéro deux.
La maison de sa grand-mère est une bâtisse modeste, mais suffisamment grande pour lui permettre d’accueillir une colocataire. Avec la bourse obtenue, cela devrait lui suffire pour vivre, du moins c’est ce qu’elle espère.
Quatre personnes l’ont contactées, la première va arriver d’ici quelques minutes. Océane est nerveuse, pas facile de choisir quelqu’un avec qui partager son quotidien. Elle aurait bien aimé que sa mère soit là, mais celle-ci ne peut pas rester très longtemps ici. Les mauvais souvenirs sont parfois bien difficiles à surmonter.
La nervosité chez elle se manifeste par une tendance à se mordiller la lèvre inférieure de manière acharnée et par le fait d’enrouler sans cesse une mèche des épais cheveux châtains qui encadrent son visage autour de son index droit.
Mentalement elle fait le point. Avant de se coucher – à trois heures du matin – elle a veillé à débarrasser chacun de ses cartons : une dizaine, représentant le contenu de sa chambre d’enfant. Elle a rempli la lourde armoire en bois du contenu de ses quatre énormes valises pleines à craquer, puis a rangé les quelques provisions de pâtes et bocaux en tout genre que sa mère lui a prévu. Entre deux visites, Océane a prévu un tour au centre commercial histoire de remplir un peu le frigidaire. Presque cinquante ans que cette maison est louée meublée, cela a permis à l’étudiante de ne pas à avoir en plus à investir chez un grand magasin suédois, mais cela ne rend pas l’intérieur très moderne. Elle a prévu de personnaliser à l’aide de bougies, tapis, rideaux et coussins l’intérieur, mais cela devra attendre. Alors elle espère qu’au moins une des visites saura faire fi de l’intérieur démodé. Après tout, c’est peut-être désué, mais c’est propre jusque dans le moindre recoin et elle le sait car à 1h57, elle se tenait encore avec une brosse à dents pleine de javel pour gratter un joint de salle de bains qui ne lui semblait pas assez blanc.
Tout en mordillant assidument sa lèvre Océane regarde la porte. Elle est satisfaite, la poignée brille, elle est lustrée à souhait et reflète de jolies petites lumières colorées. Des petites fées aux ailes qui battent si vite qu’on ne saurait les voir œuvrer décollent au moment où la sonnette retentit.
Une note électrique, un son qui fait frissonner tout son être. La jeune femme prend une inspiration qui lui remet les idées en place.
— Bonjour !
Une jeune femme d’environ son âge se tient devant elle, mastiquant un chewin gum qui rebondit ostensiblement dans une bouche aux dents parfaitement alignées. En 2022, elle aurait au moins pu mettre un masque.
— Salut, je viens pour la coloc’ .
— C’est bien ici.
Océane sourit en essayant de faire abstraction de ses premiers à priori. Elle aimerait quelqu’un d’assez discret, respectueux, peut-être drôle, mais pas envahissant. Et chez sa visiteuse, le son de la mastication et l’odeur de parfum qui empli la pièce n’ont rien de discret, bien au contraire.
— C’est vieillot.
— Je compte moderniser au fur et à mesure.
Une fois le couloir d’entrée passé, elles entrent l’une derrière l’autre dans la salle à manger.
— Il va falloir plus qu’une mesure.
Ces mots suffisent, Océane finit de faire visiter, mais elle sait que l’une et l’autre ne poursuivent que par politesse.
A 18 h 05, en fermant la porte pour la quatrième fois sur une visite plus que décevante, un soupir de déception agite les épaules de l’étudiante. Finalement, un petit boulot est peut-être une meilleure option.
A 18h13, son téléphone entame la mélodie de Micro Cuts de Muse , le numéro qui s’affiche est masqué. D’habitude elle ne décroche pas, ça l’effraie un peu quelqu’un qui se cache pour l’interpeller. Une force inconnue lui fait tout de même appuyer le pouce sur le téléphone vert.
— Je me permets de vous appeler, pour savoir si l’annonce pour une colocation au centre de Port-Lumière est toujours disponible ?
— Oui, Océane s’éclaircit la voix. Oui, je cherche toujours quelqu’un.
— Est-ce que je pourrais venir emménager dans une heure ?
— Pardon ?
— J’ai besoin d’un toit sur ma tête, ce soir. J’ai de quoi payer !
Bon sang, le cœur d’Océane s’agite dans tous les sens. Elle avait pensé vivre avec une jeune femme et voilà qu’un jeune homme souhaite s’installer chez-elle, là, comme ça, en une heure.
— Mais moi je ne vous ai même pas rencontré, je..je…
Un silence s’installe et la voix masculine reprend.
— Je vous propose un marché, je vous paie un mois de loyer d’avance en arrivant et si à la fin du mois vous et moi ça ne fonctionne pas, je prends un autre logement et vous n’entendrez plus jamais parler de moi.
Un mois de loyer en avance ! La jeune femme est désarçonnée pourtant quelque chose dans le timbre de voix de son interlocuteur, une pointe de détresse assaisonnée d’un soupçon de tristesse fait qu’elle se décide.
— Quel est votre prénom ?
— Clément.
— D’accord, Clément. Mais sache que je suis ceinture noire de karaté.
Elle entend rire à l’autre bout du fil, un rire franc.
— J’ai juste besoin d’un toit, je sais que je fais un peu dingue comme ça…
— L’adresse c’est 43, impasse de l’écume, je t’attends pour 19h17.
— Je serai là. Merci.

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