— Alors, mademoiselle Océane, on sèche les cours ?
— Damori .
— Moi-même.
— J'ai eu des soucis, explique la jeune femme.
— Rien de grave j'espère ? s'enquiert-il.
— Si, ça l'était.
— Et ça va mieux ?
— Oui.
Clément est rentré hier matin impasse de l'écume. Il doit se mettre au repos. Les médecins sont pessimistes, alertés par l'état du cœur du jeune homme. Ils n'ont jamais vu ça et étudient la possibilité d'une greffe. Alors ça va mieux, oui, car Clément vit. Mais pour combien de temps ? Et comment ?
— Ca n'a pas l'air.
— Je n'ai pas envie d'en parler, le rabroue Océane.
— N'en parle pas.
— C'est bien ce que je compte faire.
— Très bien, acquiesce Damori.
— En plus ça ne te regarde pas.
— Ca ne me regarde pas, valide l'étudiant.
— Bien.
— Bien.
Elle tourne les talons et prend la direction de l'amphi dans lequel elle a cours.
Damori la suit de loin jusqu'à ce qu'elle rejoigne les autres étudiants, puis il bifurque et retourne à ses propres projets.
Pour Océane, la journée passe bien trop lentement, sa tête n'y est pas. Ses pensées sont chez elle. Elle aurait aimé rester avec Clément, le surveiller. Prendre garde à ce que cette lumière ne fasse pas à nouveau apparition. Elle n'a quitté son chevet que le temps de se rafraichir ou de dormir un peu ces derniers jours. La jeune femme a fait des rêves apaisants, elle qui n'en fait jamais. C'était providentiel.
Les professeurs s'enchainent, elle tape ses annotations machinalement, préoccupée.
Le bruit des touches de clavier forme un rythme. Quelques instants suffisent et c'est un piano qui se greffe, deux notes simplistes, un saxophone, on descend d'un demi ton et le cuivre se lance tout seul tirant les notes, se baladant sur une caisse claire et un piano toujours présent. La mélodie accélère, s'emballe, un mi dégringole et il est l'heure. Océane plie ses affaires et se dirige à pied vers l'impasse de l'écume.
Le vent s'est levé, ses cheveux s'agitent et ça sent le sel. En passant sa langue sur ses lèvres, elle découvre qu'elles en ont le gout. Elle tourne une fois à droite, puis deux fois à gauche. Dans les ruelles, elle n'a plus le vent en face et c'est tant mieux. Elle ne cesse d'éternuer quand celui-ci lui chatouille le nez.
Océane croise les doigts sur le retour. C'est la seule façon qu'elle a trouvé pour ne pas trop angoisser. Trouver son coloc' allongé sur le carrelage, inerte, blanc, froid, voilà ce qu'elle redoute.
Ils ne se connaissent pas depuis deux semaines dont une passée à son chevet. Il a passé les trois quarts du temps dans les choux depuis leur rencontre.
Elle regarde sa main. Ça lui gratouille, lui chatouille puis ça crépite pour enfin se taire. Elle ressent ça quand elle pense à Clément. C'est drôle et un peu étrange. Ça lui plait bien de penser à lui, quand ce n'est pas pour avoir peur pour sa santé. Dans ces cas-là, c'est plus mal au ventre et sueurs froides !
Quand elle pousse la porte de chez elle, la jeune femme retient son souffle. Joues gonflées, rosies par le vent et nez pincé entre son index et son pouce, elle avance à petit pas. Il est là, demi-endormi sur le canapé. Rassurée, elle reprend sa respiration si fort qu'il ouvre les yeux brusquement.
— Que, qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je ne voulais pas t'effrayer, désolée.
— Pas...pas de soucis, je crois que je me suis endormi. Enfin, je n'ai fait que ça toute la journée donc...
— En même temps, il me semble que c'est une prescription médicale et un ordre de ta logeuse.
— Tu sais, je réfléchissais et je me disais que nous n'avions pas ouvert la boite que nous avons trouvé sous le plancher grâce à ma copine la lumière bleue.
C'est vrai. Depuis le malaise cardiaque du jeune homme Océane n'est pas retourné dans sa chambre et lorsqu'il est rentré, ils n'ont pas vraiment eu l'occasion de se poser dessus. Ce n'est pas qu'elle n'y a pas pensé, mais elle a été choquée. Puis, ce serait mentir de se dire qu'elle n'a aucune appréhension quant à l'idée qu'il pourrait lui arriver la même chose. Elle n'est clairement pas motivée par le fait de passer l'arme à gauche si jeune.
— Et si elle revenait ?
— Elle a plutôt eu l'air d'exploser avec mon cœur.
— Et si ça se reproduisait et qu'un de nous deux mourrait ?
— J'en sais rien, il faut qu'on y réfléchisse. Mais je me dis qu'on ne l'a pas trouvée pour rien, que cette lumière ne m'a pas mené jusqu'à cette trappe sans raison. Et puis tu sais, j'avais déjà mal au cœur. C'est peut-être un simple concours de circonstances.
— Tu n'as rien vu de bizarre aujourd'hui ?
— Non.
— Ok...
Clément reprend.
— Et si tu m'accompagnais dans la chambre histoire de voir si elle réapparait ? On ne fait que s'approcher de la trappe et si elle vient virevolter au-dessus de nous... on fait demi-tour. Et sinon et bien on avise sur le moment.
— Si tu y tiens vraiment. Mais note bien qu'il s'agit là de ton idée.
— Je note tout ce que tu veux !
Passant son bras autour du sien pour l'aider à se relever, elle ne cesse de se répéter qu'il s'agit forcément d'une mauvaise idée.
— J'ai l'impression d'être un vieillard. J'ai maintenant toute la compassion et le respect du monde pour les personnes âgées.
— Ca ne va pas durer. Enfin, je veux dire que les médecins vont trouver une solution.
— Et si la solution n'est pas médicale.
— On cherchera une autre façon de t'aider.
— On ?
Cela lui a échappé, comme ça, mais d'une part, elle se sent un peu responsable et puis ...et puis elle ne s'imagine pas le laisser tomber dans cette situation.
De sa main libre elle ouvre la porte. Elle grince, comme dans un film d'horreur. Elle qui est déjà sur le qui-vive ne peut s'empêcher de tressaillir.
— Ca va aller, la rassure-t-il.
Comme s'il n'appréhendait pas lui-même. Il ne peut pas dire qu'il a envie d'expérimenter à nouveau la douleur qu'il a ressenti dans son cœur. Rien que d'y penser il ferait demi-tour. Seulement, il doit savoir. Ensemble, ils approchent de l'endroit où il s'est écroulé, échangeant un regard inquiet.
Un « bip » violent retenti. Les deux jeunes gens sursautent. Réalisant qu'il s'agit simplement d'un véhicule qui klaxonne dehors, ils s'apaisent.
— Ok, tout va bien. Pas de lumière bizarre, dit-il un peu pour elle, un peu pour lui-même.

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Port-Lumière
ParanormalOcéane entre à la fac à Port-Lumière, une ville où humains et créatures magiques se côtoient. Pour payer ses études elle a deux options : travailler ou tenter l'aventure de la colocation. Lorsqu'elle opte pour la seconde, elle est loin d'imaginer qu...