Chapitre I : Quelque chose n'est pas à sa place

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   " This birthday is going to be great. I just know it ! "

   Liz Braswell, What Once Was Mine.



– Je vous demanderai, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir quitter cette salle. Vous y serez évidemment les bienvenus dans la soirée, après que le festin aura eu lieu... Non, je vous en prie, Mademoiselle, ne touchez pas aux bouquets ! Ils ont coûté une fortune...

Adossé à une fenêtre de la salle de bal, Mathieu observait la pièce se remplir peu à peu. L'anniversaire du roi ne commençait que plus tard dans la soirée, par le banquet tenu dans la salle Cérémonie. Mais une poignée de valets finissaient d'arranger les décorations pour la somptueuse réception qui suivrait, et beaucoup d'invités n'avait pas résisté à la tentation d'aller y jeter un œil avec que la fête ne débute. Au milieu des courtisans, le grand chambellan (un homme grand et austère, que l'on ne voyait jamais sans ses épaulettes et sa montre à gousset, et dont le front luisait de sueur) avait bien du mal à maintenir un semblant d'ordre.

Le spectacle en valait la peine. En plus des dizaines de nymphettes royales qui battaient déjà des ailes à proximité des fenêtres, plusieurs chandeliers avaient été accrochés aux murs. Leur éclat donnait au parquet un reflet chaleureux. Des bouquets de fleurs ornaient les contours des miroirs et tombaient de l'immense balcon, au fond de la salle, dans une cascade de bleu et d'or. L'ensemble était d'une beauté à couper le souffle.

– C'est beau, n'est-ce pas ? Je dois dire que les décorateurs du château se sont surpassés, cette année... Connaissant mon oncle, il va adorer ça !

Mathieu sursauta violement, une main sur le cœur.

– Arrête de faire ça, déclara-t-il fermement. Je suis parfaitement sérieux. Arrête de faire ça. C'est terrifiant.

Octave Jurençon, l'un de ses amis, se tenait maintenant à sa gauche. Il cligna des yeux, l'air honnêtement perplexe.

– Quoi donc ?

Arriver ainsi derrière les gens sans prévenir et ... oh, laisse tomber.

L'air d'Octave se fit vaguement coupable. Mathieu poussa un soupir. Il était temps de se résoudre à l'évidence : des années passées à s'entraîner côte à côte n'y changeaient rien. Il ne parviendrait jamais à prévoir les arrivées de Jurençon.

Oui, Madame, les fleurs sont authentiques, je peux vous l'assurer, à présent, si vous voulez bien vous diriger... Oh, et puis flûte.

Le grand chambellan, à présent, paraissait débordé. En dépit de ses efforts, de nouveaux courtisans envahissaient la salle de minute en minute. Il sortit de sa poche un mouchoir brodé dont il s'épongea le front, consulta une dernière fois sa montre, et se dirigea, résigné, vers la porte la plus proche ; non sans prier une dernière fois les personnes sur son chemin de laisser les décorateurs finir leur travail.

En passant devant eux, il parut hésiter à leur demander également de sortir ; pour finalement y renoncer. Mathieu aurait aimé pouvoir dire que c'était là un effet de sa réputation légendaire ; mais, selon toute vraisemblance, le maître de cérémonie avait simplement remarqué à ses côtés la présence du neveu du roi. Ils le regardèrent s'engouffrer dans un couloir d'un pas rageur, sans cesser de marmonner entre ses dents.

– Il dit qu'il n'est pas assez payé pour ça, l'informa Jurençon, mal à l'aise. Que puisque personne ne l'écoute, il ferait tout aussi bien de prendre immédiatement sa retraite. Je n'ai même pas eu le temps de le saluer, j'espère qu'il ne m'en voudra pas...

De l'Ordre et de l'AventureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant