Chapitre X : In Abstentia

84 8 75
                                    


Amour de ma mère, à nul autre pareil.

Albert Cohen



Qu'importe à quel point Octave Jurençon aurait voulu rester fâché contre Juliette. En fin de compte, il se trouva incapable de lui en vouloir.

Premièrement, parce qu'il était impossible de garder bien longtemps rancœur à Juliette d'Argent Hidalf de quoi que ce soit. Deuxièmement, bien qu'il eut préféré que Mathieu apprenne ses sentiments par un autre moyen (ou ne les apprenne pas, d'ailleurs. Jamais. Oui, cela sonnait bien, un silence éternel), le mal était déjà fait, et comme Juliette l'avait fait remarquer, toute cette histoire n'avait que trop duré. Il était temps de décider de sa marche à suivre.

Sa marche à suivre, pour le moment, se trouva être la fuite.

— Je ne vous accompagnerais pas jusqu'à l'école, dit-il à Pierre, le lendemain matin, avant même qu'ils n'aient fini de lever leur camp. J'ai promis à ma grand-mère que je passerai la voir au retour de ma mission. Je vous rejoindrai dans quelques jours.

A en croire son expression, Pierre aurait préféré le garder dans son champ de vision jusqu'à leur retour à l'Elite, et peut-être un peu après. Vus les efforts déployés pour le retrouver en premier lieu, Octave pouvait comprendre. Son ami se contenta pourtant de hocher la tête.

— Je comprends. Ne tarde tout de même pas trop à rentrer à l'école. Disons deux jours ? 

Il acquiesça, et faillit se mettre en route sur le champ, avant de se souvenir qu'il y avait quelque chose d'autre qu'il devait faire. Il se dirigea vers le coin du feu, la mort dans l'âme.

Mathieu était occupé à éteindre les dernières braises avec la neige la plus proche. Il ne releva pas la tête à l'approche d'Octave. 

Haut les cœurs, pensa celui-ci.

— Je voulais simplement te dire, commença-t-il timidement, au sujet de cet Helios que je recherchais... J'imagine que tu as le droit de savoir le rôle qu'il a joué dans...

Les yeux fixés résolument sur sa tâche, Mathieu eut un geste de la main, comme pour balayer ce qu'Octave aurait voulu dire.

— Pas la peine. Je vous ai entendus, hier soir. J'aurais sûrement dû te demander tes raisons plus tôt, d'ailleurs, au lieu de te crier dessus et de sortir en claquant la porte. Désolé pour ça. N'en parlons plus ?

Depuis leur dispute d'il y a quelques jours, c'étaient précisément ces mots qu'avait souhaité entendre Octave. A ceci près que, dans un scénario idéal, Mathieu le regardait en les prononçant.

— Au risque de me répéter, tenta-t-il, je suis vraiment, vraiment...

— Désolé, oui, j'ai compris. Passons à autre chose. Demain est un autre jour, comme on dit. Tu devrais sûrement te mettre en route, ta grand-mère n'habite pas la porte à côté. Nous nous reverrons à l'école.

Octave le regarda se lever, puis se diriger vers ses affaires. A quelques mètres, Mathieu s'arrêta pourtant.

— Sois prudent, tout de même, marmonna-t-il sans se retourner. Qu'on n'ait pas à partir à ta recherche une seconde fois.

Et bon sang, la situation d'Octave devait être vraiment désespérée, s'il suffisait de ces quelques mots pour qu'une douce chaleur se répande dans sa poitrine.

— C'est promis. Mathieu...

Mais celui-ci avait déjà repris sa route. Avec un soupir, Octave salua Pierre, Roméo et Juliette (le regard compatissant que celle-ci lui lança était désormais beaucoup moins mystérieux), et partit à travers la forêt enneigée. L'endroit où ils avaient fait halte se trouvaient non loin de la demeure de sa grand-mère. Il devrait y parvenir avant la nuit.

De l'Ordre et de l'AventureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant