De l'Ordre et de l'Aventure

Chapitre VIII : Duel au sommet

Quand il s'agit de tuer un dieu, mieux vaut laisser la besogne à un autre.

Le vent s'était levé sur la falaise.

A peine Mathieu avait-il mis un pied au dehors qu'il sentit une bourrasque lui frapper le visage, dispersant le reste de brouillard qui lui enserrait encore l'esprit. Il entendait le fracas des vagues s'écraser contre les rochers. Entre le temps qu'avait duré leur emprisonnement et celui passé dans les galeries de la falaise, la nuit avait commencé à tomber. Dans l'obscurité du soir, la mer et la falaise formaient une même immensité sombre.

Il se retourna vers le puit par lequel ils venaient de sortir. L'entrée du couloir était dissimulée par les ténèbres.

– Donne-moi ton épée, dit-il à Juliette d'un ton sans réplique. J'y retourne.

– Certainement pas, s'opposa Pierre. Tu as entendu Jurençon. Nous ne ferions que le gêner...

– Il ne pourra pas être gêné de grand-chose quand il sera mort, répliqua Mathieu, la voix frémissante. Et il n'est pas le seul que nous avons laissé derrière. Tu as oublié Roméo ?

– Jurençon a dit qu'il s'en occupait...

– Il ne peut pas s'occuper à la fois d'un combat contre un Estaffes et de retrouver cet idiot. Il aura besoin d'aide. Jamais nous n'aurions dû le laisser seul.

Pierre ne répondit pas. Lui aussi fixait le puit, un mélange de crainte et de culpabilité sur son visage.

C'était pour Pierre, comprit soudain Mathieu, que laisser Jurençon et Roméo avait dû être le plus déchirant. Pierre pour qui il n'existait pas de plus grand devoir que de prendre soin de ses amis, pas de mission plus haute que de veiller à leur sécurité. Quels que soient les reproches que s'adressait Mathieu, Pierre devait s'en vouloir bien davantage.

– Soit nous y retournons, soit nous n'y retournons pas, mais prenons une décision maintenant, intervint Juliette, une main nerveuse posée sur la poignée de son épée. Nous ne pouvons pas rester sur cette falaise. S'il y a bien un deuxième Helios...

Elle n'eut pas besoin de finir sa phrase. Mathieu croisa le regard écarquillé de Pierre, et sut qu'il pensait à la même chose que lui. Tout à l'heure, l'Helios était seule. Mais Jurençon leur avait bien dit que son frère devait être dans les parages. S'il choisissait ce moment pour arriver, alors qu'ils étaient désarmés... Ou pire, s'il regagnait la maison, et que Jurençon se retrouvait aux prises avec deux adversaires au lieu d'un...

Inconsciemment, Mathieu fit un geste vers le puit. Pierre lui attrapa le bras pour le tirer dans la direction opposée. Juliette en tête, ils s'éloignèrent de quelques pas sur le sentier de la falaise, jusqu'à un amas de rocher.

– Bien, dit Pierre à voix basse, dès qu'il furent hors de vue. Je suis encore le seul Pré-Elitien parmi nous. C'est moi qui retournerai dans la falaise. Juliette, Mathieu, vous continuerez sur ce chemin pour chercher du secours. Juliette, si tu veux bien me passer ton épée...

– Chercher du secours ? répéta Mathieu, incrédule. Et auprès de qui, s'il te plait ? L'aubergiste du dernier village ?

– Certainement pas, répliqua Juliette d'un ton glacial. Mathieu a proposé la même chose tout à l'heure, et c'était une idée déplorable. Ça reste une idée déplorable dans ta bouche. Personne ne retournera seul dans cette falaise.