Chapitre XIII : Tout est finalement très simple

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... et une qu'il affronta volontairement.



And with that, she dared the bravest thing she'd ever done; she looked right into his eyes.

William Goldman, The Princess Bride




Finalement, les seuls à ne pas aborder le sujet de Jurençon furent Pierre et Juliette d'Argent : Juliette, parce qu'elle estimait sans doute avoir suffisamment rempli son rôle à cet égard ; Pierre, parce que c'était bien le dernier sujet de conversation qu'on imaginait avoir avec Pierre Chapelier, au point que Mathieu se demandait fréquemment comment un garçon aussi réservé avait bien pu trouver le courage de déclarer ses sentiments à sa sœur.

La tranquillité qu'il trouvait en leur compagnie aurait été bienvenue, sans deux inconvénients majeurs. Premièrement, il ne pouvait désormais plus ignorer que sa sœur et son meilleur ami entretenaient une relation amoureuse. Et dès qu'ils étaient tous les trois, il se retrouvait à tenir tellement de chandelles que les nymphettes pouvaient sans doute se passer d'éclairer la pièce.

Ensuite, parce que bien que ni Pierre, ni Juliette ne soient portés aux témoignages d'affection en public, le moindre de leurs sourires ou de leur gestes jetait autant de trouble dans l'esprit de Mathieu que n'importe laquelle des discussions qu'il avait eu au cours de la semaine. Un mélange d'envie, d'impatience et d'incrédulité.

Chez Pierre et Juliette, chacun de ces gestes apparaissait comme une évidence. Au-delà de tout ce qui les différenciait, ils étaient unis par quelque chose d'indéfinissable. Dans leur présence, dans leur regard, dans leur manière de garder toujours leurs corps légèrement tournés l'un vers l'autre.

Qui de sensé pourrait faire cette remarque à l'égard de Jurençon et lui ? Ils ne se ressemblaient en rien. Du moins, Mathieu en était persuadé. Peut-être parce que Jurençon avait tant habité ses pensées ces derniers jours qu'il lui paraissait, paradoxalement, être devenu presque étranger.

Pierre l'avait traîné sur l'une des tours les plus élevées de l'école, la tour d'Opale, qui tirait son nom des vitraux irisés qui bordaient son contour. Mathieu ne s'y rendait que rarement. Depuis leur arrivée, son meilleur ami était resté largement silencieux, mais c'était là son habitude. Mathieu ne s'en formalisait plus depuis longtemps.

Depuis le balcon qui encerclait la tour, il dominait les toits de l'école, si loin en dessous de lui qu'il avait l'impression étrange d'être soudain détaché de tout ce qui s'y déroulait. Au loin, il distinguait jusqu'aux limites de la ville de Soleil, la baie qui s'ouvrait à l'ouest, les forêts à l'est et au nord, presque nues en cette période hivernale. En tournant la tête, les maisons perchées sur les collines qui entouraient la ville sur son versant sud.

Les yeux remplis des couleurs de la fin d'après-midi d'hiver, il ne pouvait qu'imaginer ce que serait cette même vue pour Octave. Avec sa vision hors du commun, il percevrait sans doute le moindre détail de cet extraordinaire tableau, jusqu'au plus lointain bateau qui faisait route vers le port de la capitale, jusqu'aux neiges des montagnes qui fermaient le nord du royaume...

La voix de Pierre l'arracha à sa rêverie.

— Il vient souvent ici.

— Qui donc ? demanda-t-il distraitement.

— Jurençon. Je l'ai croisé, une fois et l'autre, très tôt le matin... Je suppose qu'il aime regarder le soleil se lever. Il y a des chances pour qu'il s'y trouve demain, par exemple.

De l'Ordre et de l'AventureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant