CHAPITRE 14

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Quand je vérifie l'heure sur mon téléphone, il est une heure passé. J'ouvre la porte et le referme en faisant le moins de bruit possible. Le silence et la pénombre m'accueillent. Je me déchausse, puis retire ma veste pour l'étendre sur le portant.

J'allume la lumière dans le salon et vais dans la cuisine pour me servir un verre d'eau pour m' hydrater. Je sens que demain je vais avoir un mal de gorge à force d'avoir crié à tue tête avec Sophie à chaque musique qui passait.

Je prends place sur le tabouret. Je croise mes bras sur le plan de travail pour venir y enfouir ma tête. Je ferme les yeux en attendant que la fatigue vienne. Je n'arrive plus à dormir, ou du moins, j'ai peur de rejoindre Morphée.Dès que je ferme l'œil, les souvenirs de mon enfance viennent me hanter.
Voilà déjà plusieurs nuits que je me réveille en pleurant. Plus les jours passent, et plus le tumulte de mes nuits se marque sur mon visage. J'espère que cette nuit sera paisible et que peut-être que l'effet de l'alcool que j'ai cette fois consommé avec modération m'aidera.

Je sens qu'il y a un mouvement dans la pièce. J'ouvre les yeux en relevant d'un coup sec ma tête et voit une silhouette. Je m'apprête à crier, mais on m'en empêche en mettant une main sur ma bouche.

- Tout va bien Ash, c'est moi, me rassure Raph en ôtant sa main.

- Mon Dieu Raph, tu m'as fait une de ses frayeurs, je dis en passant ma main dans mes cheveux.

- Toi non plus tu n'arrives pas à dormir ? demande-t-il soucieux.

- Je viens tout juste de rentrer, mais oui... c'est un peu compliqué ces derniers temps. Qu'est-ce qui ne va pas Raphaël ?

Il lève ses beaux yeux bruns en l'air comme pour réfléchir à ce qu'il va dire et soupire en s'asseyant sur un tabouret. Il m'observe longuement avec un regard triste qui me sert le cœur, mais ne me répond pas. Nous restons silencieux un long moment. La maison est calme, presque paisible, quelques bruits de moteurs viennent perturber le silence, pas très longtemps puisque le bruit s'atténue, jusqu'à disparaître complètement.

Aucun de nous deux n'ose parler, comme si nous avions peur de briser cet instant, ce calme reposant qui plane entre nous. Seules nos respirations régulières nous rappellent la présence de l'autre. Etrangement ça fait du bien.

J'attends qu'il me réponde, et je suis prête à rester ainsi toute la nuit s' il le faut ; sans bouger, ni parler, mais je resterai quand même parce que je veux savoir, je veux qu'il m'en parle, je veux qu'il aille bien, qu'il aille mieux, qu'il puisse savoir qu'il peut compter sur moi. Je resterai parce que ce moment me semble précieux et qu'il me délasse.

Enfin il ouvre la bouche comme pour parler, cherchant ses mots. Je lui fais un petit sourire qui se veut être rassurant.

- Tu t'inquiètes beaucoup trop... fini-t-il par lâcher.

Je descends de mon perchoir et me mets en face de lui.

- Tout le temps, pour moi, pour les autres, tu nous donnes toute ton énergie ! Je n'ai même pas été capable d'être là pour toi alors que toi si... Je suis tellement désolée Ashley ! Si tu savais...,rajoute-t-il.

Les larmes aux yeux, je l'enlace. Il me serre fort, tellement fort, comme pour se charger de mon énergie. Je pleure, là, dans ses bras, dans les bras de mon grand frère qui se s'est senti impuissant et qui porte sur lui le poids d'une culpabilité qui n'est pas la sienne. Il n'a rien à se reprocher.

Nous étions jeunes, probablement trop par rapport à ce qu'on a vécu. Il ne rend pas compte à quel point il a été là pour moi. Chaque nuit il veillait sur moi. Il se glissait dans mon lit et me serrait fort pour que je cesse de pleurer. Il me serrait fort quand je hurlais à cause de mes cauchemars. Il me serrait fort la main quand à l'hôpital, j'essayais de camoufler ma douleur. Il veillait sur moi chaque jour. Il n'a pas le droit de s'en vouloir après toutes ces années. Rien n'est de sa faute.

Je l'entends renifler lui aussi à mon oreille et je comprends dès lors qu'il pleure en silence. Je comprends pourquoi il me tient éloignée de lui, mais je ne veux pas être tenue à distance, parce que s'il lui arrivait la moindre chose, je m'en voudrais, je m'en voudrais de ne pas avoir cherché à forcer ses barrières pour continuer à avoir cette complicité avec lui. Je m'en voudrai de ne pas avoir agit en sachant le danger.

Nous pleurons discrètement de fatigue, de regret dans les bras de l'un et de l'autre. Soudain la lumière de la cuisine jaillit des ampoules, nous aveuglant. Maman nous observe, dans l'incompréhension la plus totale. Elle s'approche doucement de nous, ses enfants de vingt ans et plus, pleurant à chaudes larmes dans sa cuisine à deux heures du matin. On ne peut pas vraiment qualifier cela comme étant anodin.

- Oh mes amours ! Vous allez me faire pleurer !

Elle vient enrouler ses bras maternels autour de nous pour nous étreindre. Je ris et renifle en même temps. Je ne pense pas que de nombreuses familles se réunissent dans la cuisine en plein milieu de la nuit pour s'enlacer avec des larmes plein les yeux. Et finalement, c'est ça que j'aime chez nous, notre authenticité.

La famille peut être grande, mais celle qui compte réellement se compte finalement sur les doigts d'un main et j'aime la mienne. J'aime le fait qu'on s'installe autour de la banque de la cuisine pour se mettre à parler de tout et de rien à une heure où tout le monde dort. J'aime le fait de pouvoir passer des larmes aux éclats de rire dans aucun effort. J'aime cette impression qu'à cet instant précis, mon coeur semble se réchauffer. Le fait de pouvoir se vider la tête en profitant avec eux.

Ma mère paraît aller un peu mieux. Bien qu'elle soit nauséeuse et fatiguée à cause de la chimio. Elle me paraît être moins crevée. Son sourire illumine toute la pièce. Elle nous regarde avec des étoiles dans les yeux lorsqu'on se met avec Raph' à rigoler en coeur en se remémorant un souvenir de notre enfance. Maman se met à rire. On se jette un coup d'œil avec Raphaël, heureux de la voir ainsi. Elle mérite de vivre, elle mérite d'accéder à cet essai clinique.

On a tous échoué sur le canapé devant notre dessin animé préféré à mon frère et moi. Je me réveille en sentant de l'agitation près de moi. J'ouvre les yeux et les écarquille en voyant que la boxe affiche six heures passées du matin. Raphaël soulève le plaid. Il passe l'un de ses bras dans le dos de notre mère et l'autre sous ses genoux, puis il s'éloigne dans le couloir pour aller la déposer dans sa chambre. Il revient quelques minutes plus tard pour venir s'asseoir à côté de moi. Il m'adresse un sourire.

- Ça te dirait de venir avec moi et les garçons pour aller pique-niquer au bord du lac, tu sais, celui où on allait avec Dim et Noah?

Je le considère un instant pour vérifier s'il blague ou non, mais en voyant qu'il est sincère, je lui retourne son sourire, heureuse de son invitation.

- Oh tu es sérieux ? ça me fait super plaisir que tu me proposes ! J'accepte sans aucune hésitation !

Il se marre devant mon attitude toute excitée.

- Tu peux ramener Sophie et Alexandre, mais attends peut-être un peu avant de le dire à Alex, Thomas va certainement l'inviter, m'intime-t-il en me faisant un clin d'œil.

Je signe de me zipper la bouche sous son regard amusé. Il me claque la cuisse et me conseille d'aller me coucher. Il a raison, mes paupières se ferment sous le poids de ma fatigue. Avant de songer à me glisser sous la couette, je file sous la douche. Je laisse couler l'eau chaude sur mon corps encore empreint de la température automnale. J'essaie de me vider l'esprit de tout ce qui l'encombre et ça me fait un bien fou.

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Coucou !

Ce chapitre est très court, mais intense en sentiments.

Une fraternité difficile mais authentique.

Bonne lecture ! 💕

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