11- D'hôtel cinq étoiles et de flegme asiatique

41 9 60
                                    


Seine-Saint-Denis, Le Blanc Mesnil,

Institut Andromède.

Vendredi 5 février 2019


Jannek étire ses jambes, cherche une position plus ou moins confortable. Sa grande carcasse s'accommode mal de l'étroit fauteuil pastel dans lequel la réceptionniste l'a invité à s'asseoir.

Face à lui, de l'autre côté de la table basse de rotin tressé, le lieutenant Hachem semble beaucoup plus à son aise. Avec curiosité, elle scrute le vaste atrium égayé de plantes vertes et de tableaux colorés, où le tintement de légers carillons et l'air subtilement parfumé distillent une ambiance zen. Pour autant, c'est surtout la jeune femme de l'accueil qui semble retenir son attention.

Certes, la fille a de quoi susciter l'intérêt. Peau dorée, longs cheveux soyeux, manucure impeccable, élégant tailleur rose poudré... Le prototype parfait de l'hôtesse qu'on imagine plutôt à la réception d'un institut de beauté qu'à celle d'un établissement pour enfants handicapés. Le commandant n'a pas manqué de repérer les regards charmés que son adjointe ne cesse de lui glisser, mais ce n'est pas le moment de se laisser distraire. Il la rappelle à l'ordre d'un discret toussotement auquel Nadjet répond d'un sourire en coin, sans toutefois quitter des yeux la jolie brune.

Avec un soupir fataliste, Jannek s'empare de l'une des luxueuses brochures posées sur la table et en feuillette machinalement les pages. Illustrant les prestations offertes par l'établissement, des photos soignées capturent aussitôt son attention. Salles de classe lumineuses, espaces-détente apaisants, ateliers thérapeutiques, aires de jeu pimpantes nichées sous les frondaisons d'un vaste jardin arboré... Il y a même des installations de balnéothérapie et une mini ferme pédagogique !

Une onde froide le parcourt au souvenir de l'hôpital de jour psychiatrique de Ville-Evrard qu'avait dû intégrer Nikola, quand la fréquence et l'intensité de ses crises avaient rendu ingérable sa scolarisation dans une école ordinaire. Il revoit les couloirs étroits et sombres, les pièces confinées aux peintures écaillées, la vieille faïence jaunie des sanitaires. Il en perçoit de nouveau l'odeur de renfermé et de brique humide et ce relent omniprésent de déjections humaines dont aucun récurage ne semblait capable de venir à bout.

Les dents serrées, il s'efforce de résister à cette nouvelle réplique de séisme mémoriel. Il se concentre sur le but de sa présence ici. Enquêter sur les liens de Gruber avec l'Institut Andromède, vérifier s'il avait bénéficié de passe-droits pour y faire admettre ses patients comme l'a laissé entendre Leïla Pasteur lors de son audition. C'est la raison officielle de leur visite, le prétexte qu'il a servi à Nadjet pour la justifier.

Pour le moment, il s'est abstenu de lui parler de sa visite à la linguiste et de la Stèle de Menaka. Elle n'a pas semblé convaincue, loin de là, lorsqu'il a évoqué le texte égyptien, alors il préfère attendre d'avoir plus d'éléments.

Et puis, il n'a pas envie de lui expliquer qu'il a finalement décidé de suivre les conseils du docteur Del Pozzo et de s'intéresser de plus près aux ex patients de Gruber. À tous les coups, elle voudra savoir pourquoi lui, qui n'écoute jamais personne, s'est laissé influencer par une femme rencontrée deux jours plus tôt. Il imagine déjà ses ricanements et ses sous-entendus ridicules.

Il jette un nouveau coup d'œil à la brochure, aux équipements dignes d'une résidence de standing, conçue visiblement pour le bien-être de ses pensionnaires.

— Eh bien, le service public a encore des efforts à faire ! grince-t-il en reposant le fascicule.

Nadjet lorgne à son tour l'étalage de clichés sur papier glacé.

Après la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant