Seine-Saint-Denis, Le Blanc Mesnil,
Institut Andromède.
Mercredi 3 février 2019
Veillant à préserver ses bottes et son équilibre, Soledad slalome avec prudence entre les tas de neige et les plaques de verglas qui jalonnent l'allée. Gelé dans son décor hivernal, le jardin de l'Institut Andromède évoque une Narnia frissonnante, pétrifiée par le souffle de la Sorcière Blanche. De temps à autre, un paquet de neige molle, ébranlé par les rafales d'un vent glacial, tombe des frondaisons et s'écrase au pied des arbres avec un bruit feutré.
— Vous venez pour l'atelier « Imaginaire », c'est ça ? a supposé la réceptionniste quelques minutes plus tôt. C'est vous, la conteuse celtique ?
Soledad a préféré profiter de la confusion au lieu d'inventer une raison valable à sa visite et s'est abstenue de la détromper.
— Monsieur Anagbi est dans le parc avec les enfants, lui a indiqué la jeune femme. Suivez l'allée derrière le bâtiment principal jusqu'à la ferme pédagogique. Vous ne pouvez pas vous tromper.
La fille n'a pas proposé de l'accompagner – la faute, sans doute, à son tailleur léger et à la flemme d'aller chercher un manteau – mais, à vrai dire, ça l'arrange. Elle ne tient pas à l'avoir sur le dos pour interroger l'enseignant.
L'idée de fouiner à l'Institut Andromède lui est venue à peine sortie du commissariat. Au premier abord, la corrélation entre les circonstances de la mort de Gruber et le rituel égyptien lui a paru bien mince. Elle aurait probablement qualifié ces vagues similitudes de simples coïncidences... si le texte n'avait pas été écrit par un enfant handicapé de douze ans.
Les étranges capacités de ces gosses avaient déjà piqué sa curiosité, mais dans le contexte de l'assassinat du psychiatre, elles l'intriguent de plus en plus. Il règne autour de cette affaire une atmosphère particulière, comme une aura de mystère, qui a réactivé son radar à bizarreries. Son intuition lui souffle la possibilité d'un lien et elle a appris depuis longtemps à faire confiance à son instinct. Elle ne peut plus se contenter de suppositions, elle doit vérifier par elle-même.
En apprendre davantage sur ces enfants, peut-être les observer... Et de toute façon, la convocation de la police l'a contrainte à annuler ses cours, elle a déjà perdu sa journée et n'a rien de mieux à faire. Autant profiter qu'elle est au Blanc Mesnil pour essayer de rencontrer les gamins. Hors de question de se retaper deux heures de transport en commun pour revenir un autre jour.
Évidemment, elle n'est pas certaine que le commandant Miljanic approuvera son initiative, mais elle a bien senti qu'il n'avait pour le moment pas grand-chose à se mettre sous la dent. Si elle découvre une piste intéressante, elle pourra toujours lui refiler le tuyau. Ce serait un bon prétexte pour reprendre contact... Elle remonte contre ses joues le col de son manteau et presse le pas, aiguillonnée par le froid et cette perspective. Elle doit l'avouer, celle-ci ne lui déplait pas.
Au-delà d'un bouquet de sapins aux airs de cornets de glaces renversés nappés de chantilly, elle perçoit des éclats de voix enfantines. De l'autre côté des conifères, c'est la « Petite Maison dans la Prairie » en mode hiver. Une cabane de rondins aux volets d'un rouge pimpant, flanquée d'une étable et d'un poulailler. Un potager minuscule dont les sillons moutonnent sous la courtepointe ouatée. Un enclos où quelques chèvres à longs poils fouillent la neige du bout du museau.
Plusieurs enfants s'accrochent à la clôture et observent les animaux avec des petits cris. D'autres contemplent avec fascination leurs empreintes imprimées dans la poudreuse. Parmi eux, un jeune homme, accroupi auprès d'une petite fille, tente de lui remettre sa doudoune.
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Après la neige
Mystère / ThrillerQui a tué le docteur Philippe Gruber ? Une question à laquelle le commandant Jannek Miljanic se fait un devoir de répondre. Il le doit à ce psychiatre qui l'a autrefois aidé à surmonter ses traumatismes. Mais le meurtre barbare de cet homme respect...