4- D'un caïd et de réseaux sociaux

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Seine-Saint-Denis, Le Blanc Mesnil,

Cité des Tilleuls.

Lundi 1er février 2019


Les mains enfoncées dans les poches de son blouson, Jannek Miljanic s'engage entre deux barres d'immeubles aux façades grêlées de paraboles. Le long des congères de neige sale, des femmes emmitouflées trainent des marmots saisis par le froid. Il leur adresse un salut discret qu'elles lui rendent avec un sourire complice. Autrefois, il a servi de grand frère à beaucoup de ces jeunes mamans. Il a même été le premier crush de certaines des plus âgées.

Comme à chacune de ses visites, l'odeur de la cité caresse brièvement ses souvenirs. Le jeune ado réfugié, placé dans une famille d'accueil des Tilleuls, retrace ses pas le long des allées crasseuses. 

Fantôme aux cheveux trop blonds, aux yeux trop clairs. Étranger encore plus étranger que les autres avec son accent bizarre et ce petit frère dérangé qui foutait le bordel à l'école et hurlait dans la rue comme un chat écorché. 

Pas simple, au début. 

Et puis, il s'était fait sa place. Le collège, le lycée professionnel. Les filles le trouvaient sexy, les garçons l'admiraient, les caïds du coin se tenaient à distance. Il avait les poings durs pour cogner ceux qui embêtaient Nikola. On savait aussi qu'il avait combattu dans les milices serbes pour venger le massacre des siens et brandi sa première Kalachnikov avant d'avoir treize ans.

Qu'une fois son bac professionnel en poche, il soit finalement entré dans la police n'a rien changé. Son passé – ou plutôt l'idée qu'on s'en fait – lui a valu un respect qui ne s'est pas encore émoussé. Contrairement à ses collègues, il peut arpenter la cité sans recevoir des cailloux, même si certains, parmi la nouvelle génération, ne se laissent plus impressionner par sa réputation.

Décontracté mais vigilant, il repère plusieurs jeunes d'âge scolaire qui traînent leur désœuvrement au pied des escaliers. Sous des capuches hermétiques filtrent leurs regards déjà pleins de rancœur. Des sifflements aigus fusent sur son passage, les choufs font leur travail. Une dizaine d'entre eux se détachent des murs pour venir vers lui, ballon au pied. Passes, dribles improvisés. Ils occupent tout l'espace et lui barrent le passage.

Il s'arrête placidement. La manœuvre n'a pour but que de retarder sa progression, le temps de conclure les transactions dans les cages d'escaliers et de faire disparaître les barrettes de shit dans les caches sous les parquets.

Au-delà des adolescents, une silhouette familière s'adosse à un gros SUV rutilant. La trentaine athlétique, un profil d'aigle, le jeune homme l'observe avec une expression amusée. La même qu'il avait gamin quand il traînait dans le sillage des plus grands en petite main rusée et débrouillarde. Aujourd'hui, il gère son propre business.

— Hé, Sami ! grogne Jannek. Rappelle tes troupes, je ne suis pas venu pour un flag !

L'interpelé hausse les épaules et fait un vague geste de la main. Les jeunes s'écartent et retournent se vautrer avec nonchalance au pied des marches. Le flic les désigne en regardant ostensiblement sa montre.

— Qu'est-ce qu'ils font là ? s'enquiert-il. Ils ne devraient pas être en cours ?

— Les profs sont en grève ! Et qu'est-ce que ça peut te foutre ? T'es devenu assistante sociale ?

— Je te l'ai déjà dit, soupire-t-il, ils auraient de meilleures chances de s'en sortir s'ils travaillaient en classe.

— Ils aiment pas l'école. Et les études, pour ce que ça sert... Regarde où ça t'a mené ! Bon, tu veux quoi ? T'es juste passé nous faire la morale ?

Après la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant