Chapitre 4

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Sans vent, les saules blancs restent figés comme des statues. Tels des sentinelles, ils surveillent le père de Liesse, accroupi dans la gorge pierreuse.

‒ Liesse, donne-moi la main !

Elle aide sa mère à descendre sur la roche sèche.

‒ On était quand même mieux sur la plage... 

‒ C'est l'aventure... ironise la jeune adolescente, alors qu'elle atterrit avec autant de grâce qu'un gnou sur la glace.

Son père relève la tête, la moustache poussiéreuse.

‒ Ah ! Vous voilà ! C'est fascinant, ici. Fascinant ! Vous saviez qu'ici nous étions sous la mer.

Il écarte les bras pour désigner le fond de la gorge.

‒ Oh, que j'aimerais être dans la mer, oui.

‒ Oui, enfin, je précise que c'était à l'ère du Crétacé, il y a des millions d'années. Ta baignade n'aurait servi qu'à te transformer en sandwich pour le Mosasaurus !

‒ Okay... Si on en est à dire des grossièretés.

La jeune femme ne cache clairement pas son désintérêt.

‒ Lili, tu ne te rends pas compte à quel point c'est passionnant, l'Évolution !

‒ Chéri, tiens, bois un peu d'eau. Tu vas toi-même te transformer en fossile à te dessécher comme ça ! Tu trimes comme un forcené, tu veux de l'aide ?

Plusieurs outils sont éparpillés, ça et là. Des pinceaux, des burins, des bâches et autres engins de mesure. Plusieurs boîtes contiennent des spécimens.

‒ Oh, mais j'ai de l'aide, je ne suis pas seul, heureusement.

Les deux femmes l'observent, isolé autour de son chantier bordé par ses outils de fortune.

‒ Super, il devient sénile... marmonne Liesse.

‒ Comment ça, mon chéri ?

Agatha s'approche, avec précaution. Il les regarde, bien résolu à leur montrer qu'il est parfaitement sain d'esprit.

‒ Mais oui ! Je suis tombé sur un bon gars, Sasha.

‒ Euh, Kevin, je crains que tu n'aies pris un peu trop le soleil...

Liesse lève les yeux au ciel devenu nuageux, et se retient de tout commentaire.

‒ Il est juste là-bas ! explique-t-il en désignant un coude dans la gorge.

Les deux femmes se regardent alors qu'il appelle :

‒ Sasha !

Émergeant de derrière la roche, un jeune homme large et placide s'avance vers eux. À la vue de Liesse, il s'arrête une seconde puis reprend sa marche. C'est celui qu'elle a rencontré lorsqu'elle tentait de rejoindre la rivière.

‒ Ah... constate-t-elle.

‒ Vous vous connaissez ?

‒ Pas vraiment. On s'est juste croisé quand je me suis perdue.

Liesse et Sasha se dévisagent à nouveau. Elle n'est plus gênée par le soleil. Sasha a un regard sombre,  la clarté s'y meurt dans une froideur étrange. À l'observer dans son ensemble, tout son visage l'étonne. Un mélange de douceur dans les traits et de dureté dans les lignes. Liesse ne sait pas trop pourquoi, mais la vision du visage du David de Michel-Ange lui vient en tête, bien que Sasha ait les cheveux presque rasés. Pendant ces mêmes secondes, Sasha détaille Liesse d'un regard rapide, tout en déposant un spécimen de pierre dans les boîtes. La jeune femme le déroute tout autant. Il ne parvient pas à la classer parmi les groupes qu'il connaît. Elle ne ressemble à personne. Ses longs cheveux bruns flottent au vent, ses yeux verts sont doux malgré la malice qui imprègne sa fossette. 

‒ Sasha est un enfant du pays, il connaît parfaitement le territoire. C'est sa tante qui gère l'office de tourisme.

‒ Bonjour, Sasha. Moi c'est Agatha. Justement, je dois repasser à l'office.

Sasha se relève et fait un signe de tête. 

‒ Et moi, c'est Liesse, donc.

Le soleil revient, écrasant ses rayons sur leurs têtes.

‒ Enchanté.

Malgré la chaleur, Liesse frisonne.

‒ Bon, et qu'est-ce que tu nous as trouvé de bon ?

Kevin gesticule devant sa panoplie d'archéo-géologue en herbe, Agatha fait mine de boire ses paroles. Liesse aimerait se soustraire au regard de Sasha mais ne veut pas baisser les yeux.

‒ T'as toujours vécu ici, donc ?

‒ Oui.

‒ Okay, tu m'as l'air très loquace...

‒ Je vais à l'essentiel.

‒ On peut voir ça comme une qualité, de nos jours.

Elle croit deviner un sourire mais il disparaît vite derrière une froide façade. Sasha retourne sur ses pas. Liesse regarde ses parents en train de débattre sur la meilleure façon de manier le pinceau, puis le dos de l'homme taciturne qui s'éloigne.

‒ Mon cœur balance... murmure-t-elle avec ironie.

Finalement, elle se décide à suivre Sasha, l'air de rien, plongeant ses mains vernies dans les poches de son short.

Sasha s'est agenouillé. Il range des pailles dans son sac.

‒ Tu es barman à tes heures perdues ?

Il met quelques secondes à répondre, refermant la fermeture éclair.

‒ C'est pour dépoussiérer.

‒ Je me doutais, ment-elle pour ne pas perdre la face. Vous n'avez pas de ventilateur, pas plus que de bars, dans ce trou paumé.

‒ Tu parles de l'endroit où je vis.

‒ Oui, euh... c'était de l'humour.

Il passe le sac sur son épaule et tourne les talons dans un :

‒ Moi aussi, je sais être drôle. Tu devrais voir ta tête.

Puis il salue Agatha et Kevin.

‒ A plus tard !

Il s'enfonce dans le sentier. Liesse l'observe, le poil hérissé.

Voilà qu'il l'agace définitivement.

Le cœur en LiesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant