Le cœur en Liesse

Chapitre 14

 Entre deux lignes de mots croisés, Agatha observe sa fille du coin de l'œil. Pendant que son père dispose les derniers outils dans son sac, Liesse, smartphone en main, fait les cents pas dans le bungalow.

‒ Tu m'étourdis à tourner en rond, comme ça, Lili ! Qu'est-ce qui t'arrive, encore ? Tu ne veux pas essuyer la vaisselle du petit-déjeuner, au lieu de tourner comme un lion en cage ?

Liesse ne lui répond pas, elle vérifie une nouvelle fois l'absence de notification sur Instagram et Whatsapp. Sasha s'est bien connecté dans la nuit, et pourtant toujours aucun signe de sa part. Elle lui a simplement demandé de la recontacter. Elle a besoin d'entendre ses mots à lui. Malgré la fatigue de la veille, Liesse a mal dormi, tournoyant dans des rêves où elle parle avec Sasha alors qu'il reste muet.

‒ Papa, est-ce que tu vois Sasha, aujourd'hui ?

Kévin se redresse, son gros sac à dos se cale sur ses épaules dans un bruit sourd.

‒ Hein ? Ah, non, je ne pense pas. Maintenant qu'il m'a montré où bien chercher, il me laisse tranquille.

‒ Ah...

‒ Enfin sur le retour hier, j'ai pris le chemin opposé et ai vu des trucs intéressants. Comme quoi, faut toujours sortir des sentiers battus. Mais, j'y pense, tu veux venir avec moi ?

‒ Non.

‒ T'es sûre ? Je pense que ça peut te plaire, il me semble avoir aperçu l'entrée d'une grotte.

Agatha pose son crayon et son livre de mots croisés.

‒ Mon chéri. Tu ne voudrais pas laisser tes pierres un moment ? On pourrait prendre la voiture et visiter un autre village, non ?

‒ Et bien... demain, peut-être. Mais je crois que ça pourrait vraiment vous plaire. Venez donc avec moi !

‒ Oh, on ne va pas te regarder passer ta brosse à dent sur des graviers...

‒ Mais, non ! Je vous assure, c'est mieux que ça ! On va jouer les explorateurs !

Quelques minutes plus tard, leur véhicule s'arrête, après un trajet entrecoupé de secousses sur ce sentier adapté aux 4x4 plutôt qu'à un petit break citadin des années 2000.

‒ J'allais vomir, déclare Liesse en s'extirpant de l'habitacle. Je rentrerai à pied !

‒ T'exagères, Lili ! répond sa mère, bien qu'elle retienne un rot en posant son chapeau sur sa bouche.

‒ Bon, on va où ?

Kévin range les clés dans sa banane et, tout sourire, annonce fièrement :

‒ Suivez-moi, c'est par ici !

Le trio familial s'enfonce dans le sentier. Un parfum végétal porté par un vent léger apaise le sentiment de nausée de Liesse.

‒ On est seul au monde, constate-t-elle. Il pourrait entretenir leur sentier !

Elle retient une branche de ronces pour laisser passer Agatha. Ils parviennent à une paroi, envahie de végétation et de racines.

Kévin écarte l'écran de verdure et dévoile un passage contre la paroi de pierre. Elles passent en-dessous et le suivent.

‒ Il fait frais, ici.

À l'abri des regards, ils longent la paroi. Kévin a allumé sa lampe torche et la dirige vers l'entrée de la grotte.

‒ C'est un peu flippant, non ?

‒ Mais non, t'inquiète pas, Lili. Regarde, on est venu faire un feu et des cannettes de bière traînent.