Chapitre 21

598 86 27
                                    


 Cela fait plusieurs minutes que Liesse observe le vide. La clameur des convives de Petram résonnant au loin lui donne le sentiment d'être encore plus seule.

Le mauvais pressentiment, celui de son cauchemar, resurgit plus grand encore. Elle ne peut se résoudre à quitter des yeux le paysage qu'elle ne voit plus, cette montagne du diable vers laquelle Sasha s'est évanoui. Plutôt que de rentrer dans sa maison, elle préfère l'attendre ici.

Liesse se déporte vers la fontaine et plonge la main dans l'eau, espérant se rafraîchir. Elle n'a pas le temps de la ressortir pour humidifier son cou, car lorsque ses doigts frôlent le fond en pierre, une vision d'horreur inonde chaque récepteur de son cerveau. Dans une atmosphère de noirceur charbonneuse, le regard de Sasha est vide, pétrifié comme une statue antique. Mais la vision ne s'arrête pas là, en prenant de la hauteur, elle découvre que sa tête est décapitée, son corps gisant à quelques mètres d'elle.

Liesse retire sa main, comme si elle avait reçu une décharge électrique. En un instant, elle se remémore ce qu'il lui a dit : la pierre et l'eau sont les témoins des ères passées. Mais se peut-il qu'elles aient le pouvoir de prédire le futur ? Et ce regard angoissant, ce regard vu en cauchemar n'était pas pour montrer un Sasha monstrueux. C'était le regard de sa mort.

Liesse n'a pas le temps de comprendre pourquoi elle a cette capacité de lire l'eau et les pierres. Elle s'enfuit déjà vers les barques arrimées.

Consciente de sa piètre capacité à ramer, elle ne s'en sert que pour rejoindre l'autre rive et espère trouver une voiture.

‒ Pitié, faites qu'une d'elles soient ouvertes !

Alors qu'elle enclenche une série de véhicules, Liesse pense à deux choses : sa robe n'est pas pratique et peut-être aurait-elle dû demander à Miriam d'emprunter sa voiture – elle aurait été plus vite si elle fait choux blanc. Ses mains moites rencontrent plusieurs obstacles, des portes verrouillées. Une de ses tentatives déclenche l'alarme. Elle n'en prend pas le cas. Soudain, une C3 noire s'offre à elle. Liesse constate qu'aucune clé n'est sur le contact. Elle ouvre la boite à gant, puis abaisse les pare-soleil.

‒ YES !!!

Une clé tombe miraculeusement dans ses mains. Elle se déporte sur le siège conducteur et démarre le véhicule, priant pour que sa vingtaine d'heures de conduite lui suffisent pour atteindre la montagne.

Après quelques frayeurs – heureusement qu'elle n'a croisée aucune voiture, ni animal ou piéton sur sa route – Liesse parvient au plus loin de la clairière, près de la grotte. Elle se gare, laissant les phares allumés pour éclairer le chemin, et allume sa lampe torche. Un sifflement d'éclat retentit : un premier feu d'artifice se fait bouquet au dessus du village de Petram.

Liesse sait que le combat de Sasha contre le Mal va commencer. Il n'est peut être pas trop tard. Elle court à s'en déchirer les poumons, manque de trébucher sur les pierres, mais elle ne se démonte pas. Les feux d'artifice pétaradant au loin ne sont plus entendus, ce sont des déflagrations qui secouent maintenant la terre. Liesse est projetée une première fois. Mais elle se relève, elle est maintenant presque arrivée à la grotte. Les derniers mètres lancent des coups de poignards dans ses mollets et c'est à bout de souffle qu'elle atteint l'accès du cœur de la montagne.

Le temps semble s'être arrêté. Ici, la lueur de son téléphone ne montre qu'une enceinte de roche désertique, pas une plante ne pousse et l'air est lourd. Comme étouffé, un grondement grandit, à mesure qu'elle s'enfonce. Il est trop tard pour reculer.

Les déflagrations sont étrangement proches. Pourtant, aucun souffle d'explosion ne la fait tomber cette fois.

Elle remarque une silhouette, face à un portail de pierre immense, creusé dans la montagne. C'est Sasha. Elle l'a sentie, il sait aussi qu'elle est là mais doit faire un effort incommensurable pour s'adresser à elle :

Le cœur en LiesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant