Chapitre 17

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 Voilà deux heures que Liesse est plongée dans sa lecture. Les pages défilent, sans qu'elle n'ait conscience du temps qui passe, éveillant ses sens et titillant son imaginaire. Elle s'est isolée à la plage, alors que sa mère et son père sont en visite.

Leur naissance demeure mystérieuse. On ne saurait dater précisément leur apparition, bien que de nombreux récits de l'Antiquité mentionnent des êtres fantastiques grotesques, sûrement inspirés d'elles...

Emblème du Moyen Âge depuis leur première représentation de pierre, les gargouilles repoussent le mal et sont les gardiennes de temples, cryptes ou autres prisons naturelles (ou édifiées par elles-mêmes)...

Leur pouvoir le plus puissant, c'est quand elles se transforment pour être plus terrifiantes que les démons qu'elles gardent. Un océan de hurlements s'échappe alors de sa gorge, glaçant le cœur de tout être maléfique...

Entre les paragraphes sont intercalées des représentations de gargouilles à figure humaine, puis d'autres, plus fantasques, aux grimaces effroyables et traits monstrueux, mélange d'êtres humains et d'animaux fantastiques, entre loups-garous et vampires.

Liesse referme le livre. Impossible de calmer son excitation. Elle se rappelle clairement du regard de Sasha pendant son cauchemar. Tout est si fou, et pourtant cette folie explique les moindres détails qui la troublaient. Enfin, presque tous les détails, exceptée cette attirance qui ne semble pas pouvoir s'apaiser.

En son for intérieur, Liesse ressent une certaine joie. Sasha le lui a dit : elle l'attire. Elle est l'exception que son monde ne comprend pas. C'est bien la première fois qu'elle sort du lot.

Dans le livre, il n'y a aucune occurrence de relation intime entre les humains et les gargouilles. Soit les auteurs n'y ont pas songé, soit le sujet est tabou. L'édition date néanmoins du début du XVIIIe siècle, peut-être trouverait-elle d'autres choses plus récentes. Sur Google, bien sûr, aucun des sites relatifs aux gargouilles ne rend compte de la réalité. C'est donc un secret bien gardé. Pas même un complotiste ne trouve à redire sur ces êtres imaginaires.

Liesse ne peut s'empêcher d'observer les alentours, plus particulièrement en direction des montagnes. Elle s'attend à voir Sasha surgir d'un instant à l'autre. Malgré les dernières révélations, il lui manque encore plus. Elle a tant de questions, et pourtant, elle ne saurait comment les formuler.

Elle rentre à la location déposer son livre. Sur la table à manger, son téléphone s'éclaire. Jézabel a tenté de la joindre. Mais le cœur de Liesse fait un saut lorsqu'elle voit que Sasha lui a aussi laissé un message sur Whatsapp.

Sasha : je vais sur la colline, près du champ. Tu me rejoins ?

Elle se précipite vers la salle de bain, s'observe un instant, puis décide de remettre du déodorant – peut-être que les gargouilles ont un odorat plus développé aussi, elle devrait lui demander ! – et recoiffe sa brune chevelure. Elle troque ses sandales pour des baskets et laisse un mot pour ses parents avant de cacher la clé du logement près de la porte d'entrée et de courir à travers la forêt.

Quelques minutes avant d'arriver, elle ralentit le pas pour calmer son point de côté et se « refaire une face » comme elle aime si bien dire à son prof de sport.

Sasha est déjà là, assis sur un rocher, à l'attendre.

– Ça va ?

Étrangement, ils sont tous les deux intimidés.

– Quelque chose a changé, non ?

– Tu veux dire, depuis toutes les révélations que tu as fait en moins de vingt-quatre heures ?

Le cœur en LiesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant