Mourir.

25 6 6
                                    


Des murs blancs aseptisés
Un chariot de réanimation
Un brancard qui file à toute vitesse
Un homme à genoux sur un autre allongé

« On a un arrêt, poussez-vous ! »
Des roues qui grincent, stridentes
Comme celles du gosse à vélo qui traverse la rue

On te demande si tu as déjà massé un coeur
Tu as déjà rafistolé le tien
Mais tu réponds non
Et on te jette sur l'homme endormi

« Ah, ah, ah, staying alive, staying alive »
Tu masses sur le rythme ironique qu'on t'a appris
Tu as déjà mal aux bras

Sa cage thoracique s'enfonce sous tes mains
Comme l'herbe s'écrase sous les pieds nus
Tu as peur de briser ses os
Après avoir brisé la vie, des tiens

« Dégagez, je choque ! »
Tu profites d'un court instant de répit
Ton corps souffre mais tu recommences

Parce que ça pourrait être ton père
Il n'est pas si vieux
Alors tu n'écoutes pas tes bras qui hurlent
Ce pourrait être papa allongé là

Frénétiquement, tu enfonces son cœur
La sueur roule sur tes temps
Comme la pluie sur les vitres de la voiture

« Chargez à trois cent ! Dégagez ! »
« Allez, reviens », tu supplies
Tu lèves les yeux vers son teint blafard
Ce doit être le père de quelqu'un

Tu fermes presque les yeux
Le souffle commence à te manquer
Mais si c'était ton père ? Tu masses et te concentres là-dessus

Le temps ne s'arrête plus
Tu sens ses os craquer sous ton poids
Mais tu continues, bordel son cœur
Ce fichu cœur qui ne fonctionne plus

« C'est fini. Arrêtez le massage. »
« Papa ! » Tu hurles !
Non, non, tu sanglotes

On te fait sortir
Tu tachycardes, ça veut dire que ton fichu cœur bat trop vite, à toi
On te fait asseoir

Sa femme entre, tu entends ses hurlements déchirants
Tu as l'impression que tu vas vomir
Mais tu restes assise bien sagement

Ses enfants suivent, les joues trempées de larmes
Tes cheveux dégoulinants au sortir de la douche
Tu vois tes mains qui tremblent
Celles entre lesquelles il est mort

Tu es pâle, on s'occupe de toi
« C'est ton premier ? »
Tu balaies les réconforts de la main

Tu erres dans l'hôpital
On te repêchera désorientée, dans un autre service
Tu surveilleras le journal, les avis de décès
Pour voir inscrit quelque part ce nom que tu n'oublieras jamais.

DésordreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant