Jardin.

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Le soleil réchauffe le joli parc et sa verdure. Il fait encore assez frais, alors peu de gens s'y promènent aujourd'hui.
Sur un banc est assise une vieille femme, seule. Elle a quelque chose de rassurant, et c'est peut-être pour ça que la jeune fille qui passait s'assît à ses côtés.

Celle-ci tient dans sa main gauche un exemplaire flambant neuf des Fleurs du mal, de Charles Baudelaire. Sa main droite, quant à elle, se referme sur un paquet de cigarettes dont se dégage une odeur âcre.

Elle a l'air épuisée. Ses cheveux châtains lâchés sur ses épaules se soulèvent doucement, au bon vouloir de la brise. Tout semble trop pour elle. Soudain, elle se retourne vers sa voisine, lui dévoilant des yeux clairs pleins de larmes.

« - Est-ce que quelqu'un vous a déjà sauvée ? »

La vieille femme à son tour lui offre son regard, visiblement adoucie par cette question inattendue.

« - Bien sûr. »

La jeune fille pleure, en silence. Elle a appris à le faire il y a bien longtemps. Un soupir s'égare hors de ses lèvres, suivi de quelques mots.

« - Vous pourriez me raconter ? »

Une main saisit la sienne, moins lisse, plus chaude. Elle la serre d'une délicate fermeté, et son cœur s'apaise déjà un peu.

« - Pendant longtemps, j'ai eu l'impression d'avancer dans un monde noir, rempli d'aveugles. J'étais seule, au milieu de la foule, les yeux grands ouverts. Tous les visages que je regardais avaient les yeux clos. J'étais terrifiée. Je continuais d'avancer, et je me faisais bousculer sans cesse puisque tous ces gens ne voyaient rien. Ils me heurtaient en permanence, mais ce n'était pas leur faute. Parfois, certains s'excusaient, mais ça ne faisait pas moins mal. »

Elle marque un silence.

« - Un jour, j'étais si épuisée, et on m'avait bousculée si fort, que j'ai voulu fermer les yeux aussi. À l'instant où mes yeux allaient enfin céder au noir, presque clos, ils se sont plantés dans un regard brun. Deux yeux grands ouverts, qui me fixaient. »

La femme se tait, on voit sur son visage qu'elle revit avec intensité la surprise que cet instant lui avait procuré.

« - Qu'avez-vous fait ? » la questionne la jeune fille, après quelques secondes de silence.

« - J'ai immédiatement rouvert les yeux. »

La jeune fille sourit ; elle repose la cigarette qu'elle s'apprêtait à allumer.

« - Ils appartenaient à un homme très particulier. Le genre de personne à qui l'on confierait tout ses secrets, au premier regard. Alors qu'on ne les avait jamais dits avant. »

« - Était-il beau ? Ou bien intelligent ? »

« - Il était tout, et rien de tout ça à la fois. C'est vrai, il était très beau. Il avait un visage doux, mais aussi un de ces regards qu'on ne peut croiser trop longtemps sans se consumer. Ses longs cils le rendaient plus tendre, bien sûr, mais il restait d'une profondeur presque effrayante. La forme de sa bouche adoucissait ses traits très masculins. Il avait des cheveux noirs qui bouclaient d'une façon adorable. C'était un homme intimidant, mais il avait quelque chose d'un enfant au fond des yeux.
Et étonnamment, son intelligence égalait largement sa beauté. »

La vieille femme serre toujours la main de l'enfant, sa voix stable et chaude parvenant à l'apaiser.

« - Il suffisait qu'il parle pour comprendre que ses pensées filaient à une vitesse effarante. Les mots se bousculaient presque sur ses lèvres, il pensait à cent choses avant d'avoir fini de dire la première. Il aimait me raconter tout ce qu'il imaginait, parce que je parvenais à le suivre. À l'inverse, je pouvais ne raconter que la moitié de l'histoire quand le courage me manquait, et il comprenait tout. Ça avait quelque chose de réconfortant, comme si nos cerveaux avaient été faits pour fonctionner ensemble. En réalité, il était simplement hors du commun. »

DésordreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant