Chapitre 21

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Tulipe avait des traits durs qui semblaient témoigner la dureté des épreuves qu'il avait traversées. Il devait être âgé d'une quarantaine d'années et, dans le passé, il devait avoir été un très bel homme. Il avait maintenant des cheveux gris, coupés courts, qui ajoutaient de la dureté à son apparence. Mais deux choses attiraient inévitablement le regard. Il avait une grande cicatrice qui lui marquait le visage. Celle-ci était une ligne en forme de croix, commençant légèrement au-dessus des yeux, qui traversait son visage jusqu'à ses joues. Cette cicatrice démontrait combien sa vie avait été tumultueuse. Mais il y avait une chose qui choqua encore plus Hope Et Ben. En effet, dans un lieu comme le Gouffre et sans être un garde, il avait les yeux bleus.

Personne n'osa poser la moindre question. Une aura encore plus intimidante entourait maintenant Tulipe. Il se contenta donc d'enseigner quelques mouvements de base, seulement pour passer le temps. Il n'était pas à l'aise : à force de porter un voile, il se sentait dénudé lorsqu'il n'en avait pas. De plus, il sentait les regards curieux de Hope et de Ben, qui tentaient de le fixer lorsqu'il ne regardait pas. Il faillit soupirer de soulagement lorsque l'entraînement se termina. Il congédia les deux amis avant de se souvenir qu'il avait un message à faire passer :

-Vous deux, allez à la base demain à midi. Réunion générale de la Rose Noire. Il y en a une tous les samedis.

Hope et Ben acquiescèrent avant de s'éclipser. Aucun des deux ne fit de commentaires et ils laissèrent planer le mystère de Tulipe. Ils rentrèrent respectivement chez eux pour pouvoir se reposer et se donnèrent rendez-vous pour le lendemain.

Ne sachant comment s'occuper, Hope alla rendre visite à Pierre. Elle essayait de le faire plus régulièrement maintenant qu'il avait, plus que jamais, besoin de sa présence. Elle fut heureuse lorsqu'elle le vit en train de jouer avec ses frères et sœurs. Il se sentait déjà mieux que la veille. C'était un bon début. Lorsque Pierre la vit, il s'arrêta de jouer pour venir la voir.

-Hope, regarde, hier j'ai perdu une dent.

Il montra une toute petite dent blanche à Hope, qui ne sut que faire. Elle réfléchit un instant et prit la dent dans ses mains en priant fort pour qu'elle ait été un minimum nettoyée.

-Donne-la-moi. Je connais des gens qui adorent les dents. Ne me demande pas pourquoi, je ne sais pas. Mais je suis sûre qu'ils me donneront quelque chose en échange. Confie-la moi et je t'offrirai ce qu'ils m'auront donné. Je te l'apporterai dimanche.

-Pas demain ?

-Et non, je suis occupée demain, j'ai des choses importantes à faire dans la forêt.

Elle pinça le nez de Pierre qui se mit à rire. Il finit par retourner jouer avec ses frères.

-Je t'attends dimanche ! J'espère que tu auras quelque chose de bien.

Hope sortit tout en réfléchissant à ce qu'elle pourrait bien trouver pour faire plaisir à Pierre, qui, maintenant, lui souriait avec une dent en moins.

-Alors déjà, j'aimerais vous remercier d'être venus si nombreux.

Monsieur Petit avait commencé son discours, debout sur un tabouret. Ben et Hope regardèrent les alentours et remarquèrent que, parmi les dizaines de visage qui s'offraient à eux, nombreux n'étaient pas inconnus. Des mineurs, des artisans, des commerçants, ils connaissaient de vue beaucoup de monde. Les amis se reconcentrèrent sur le discours.

-Comme vous l'aurez sûrement appris, nous avons trouvé notre nouveau Pissenlit. Nous allons le préparer durant les années à venir pour le rendre apte à remplir notre rôle. Nulle précipitation.

Hope se mordit la langue. En réalité, elle était assez impatiente. Quelques années signifiaient beaucoup pour les siens. Pour sa mère, pour son père, pour Pierre... Toutes ces personnes ne tiendraient probablement pas assez longtemps. Pourtant, c'était en partie pour eux qu'elle se battait. Elle ne dit tout de même rien, la Rose Noire et ses membres devaient avoir la même hâte qu'elle pour que tout se termine, elle n'avait pas à remuer le couteau dans la plaie.

-Pendant ce temps, nous allons continuer à vaquer à nos occupations. Surtout, soyez prudents. La milice a envoyé des renforts. Ne vous faîtes pas attraper, soyez forts et souvenez-vous que la patience aplatit des montagnes et que la justice fleurira dans la Rose Noire !

Tous levèrent alors un poing et répétèrent :

-La justice fleurit dans la Rose Noire.

Ben et Hope les imitèrent. Ce cri les unissaient sous un même objectif. Ils étaient un clan, une famille et ils se battraient ensemble. Cette union donnait à Hope l'impression d'appartenir à un ensemble et d'être réellement une personne avec une importance. Elle sourit jusqu'à sentir une odeur de brûlé. La grande foule rassemblée autour du chêne brûlé commença à s'agiter. Lorsqu'elle vit les premières flammes, ce fut la panique. Tous se mirent à fuir désespérément alors que le danger approchait.

Ces temps-ci, Hope avait affronté bien trop de fois le danger. Elle commençait à être lassée de tout cela. Elle n'avait plus de force, plus d'énergie. Elle resta initialement immobile à regarder les flammes approcher. Elle était fatiguée, trop fatiguée pour courir encore. Mais elle sentit un bras la tirer et elle vit que Ben l'incitait à fuir. Elle se revaille alors de sa torpeur et de son état second et se mit à courir.

Ben avait envie de crier. Chaque pas lui faisait vivre un enfer de douleur. Mais la mort était bien pire que cette souffrance temporaire. La main de Hope dans la sienne, il l'aida à partir. Pendant un cours instant, elle semblait s'être lassée de son existence. Elle semblait inviter les flammes à la consumer elle ainsi que toutes ses difficultés. Le feu continuait à approcher, encore et encore, précédé par son nuage de fumée noir. Il commença à tousser et se couvrit la bouche et le nez de sa main vide. Il avait entendu quelque part que, lors d'un incendie, la fumée tuait plus vite que les flammes. Il regarda Hope et lui ordonna de faire comme lui. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était mieux que rien. Il commença à tousser, ses poumons brûlés par les flammes. Chaque infime partie de son corps le faisait souffrir. Mais il continuait à courir avec acharnement.

Hope vit autour d'elle les premières personnes tomber. Les membres les plus âgés finissaient, tôt ou tard, par s'arrêter. Lorsqu'elle entendit les premiers cris, des lamentations funèbres portées par le vent, elle eut envie de vomir. Elle voulait s'arrêter pour aller sauver tout le monde, mais elle avait conscience qu'ainsi, elle se condamnerait. Au-dessus d'elle, des oiseaux volaient pour fuir le danger. Elle aurait aimé pouvoir en faire autant, elle aurait aimé pouvoir s'envoler en cet instant. Aurait-elle moins peur avec la liberté octroyée par des ailes ? Parce que pour l'instant, elle était terrorisée.

L'adrénaline poussait les membres de la Rose Noire à avancer sans s'inquiéter de son prochain. Lorsque quelqu'un tombait, personne ne s'approchait pour lui tendre la main. Non, tous se contentaient de courir, leurs visages déformés par des grimaces de terreur. Si Hope devait choisir une image pour décrire l'Enfer, elle choisirait celle-là : des dizaines de personnes courant sauvagement et poursuivis par la fumée et les flammes, en ignorant les appels à l'aide de leurs camarades agonisants.

Avancer, courir, continuer... C'étaient les seuls mots auquel il fallait penser. Ignorer, aussi. Ignorer la douleur, ignorer la peur, ignorer la fatigue. Et ignorer les cris que l'on pouvait entendre au loin. Cette course sembla interminable, mais ce calvaire finit par prendre fin. Tous étaient essoufflés, blessés et épuisés et tous retournèrent chez eux comme une horde de morts vivants. Hope aussi rentra chez elle. Elle y retrouva sa mère souriante. Elle dut s'isoler pour pouvoir vomir et pleurer. Lorsqu'elle s'endormit, bien plus tard, son sommeil fut envahi par un cauchemar.

Hope se tenait devant un cimetière rempli de centaines de tombes. Sur celles-ci avaient été posées des roses noires. Alors qu'elle pleurait et qu'elle tentait d'honorer la mémoire des défunts, un garde arriva et la tira par les cheveux pour l'emmener au loin. Elle commença à crier et à se débattre, lorsqu'elle vit son frère. Elle l'appela à l'aide, mais il ne vint pas. À la place il lui dit : « Je t'avais prévenue ». 

La Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant