Le lendemain, Hope se réveilla de bonne heure. Elle avait une dernière tâche à accomplir avant la bataille et il valait mieux qu'elle la fasse tôt le matin, lorsque que le ciel était encore sombre. Alors que le soleil ne montrait pas même le bon de son nez, elle sortit de chez elle, toujours revêtue d'une capuche pour dissimuler son visage. Elle marcha vite pour se rendre chez Agnès. Elle retrouva toute la famille, assoupie, mais prête à partir. Étant donné que la milice la menaçait, Hope avait dû trouver une solution pour la mettre en sûreté.
Elle leur fit un rapide signe de la tête pour être suivie. Ainsi toute la famille déambula avec elle à travers les ruelles, jusqu'à l'orée de la forêt. Durant la nuit, contrairement au village, celle-ci adoptait une aura inquiétante. Les animaux, à l'abri de la présence humaine, étaient plus présents et leurs cris étaient plus audibles. Les arbres étaient ce qu'il y avait de plus terrifiant. Lorsque Hope les voyait du coin de l'œil, elle entrevoyait toujours d'étranges formes humanoïdes venues la saisir. Enfin, le vent faisait bouger les feuilles de toute plante, créant une symphonie d'horreur.
Hope ne connaissait qu'une personne qui avait les moyens d'abriter une grande famille, et cette personne se trouvait au manoir des Ravenshade. Elle arriva enfin chez Cédric et elle toqua fortement à la porte de sa demeure. À présent, elle ne craignait même plus sa présence. Il était devenu plus qu'une connaissance. Il était pour elle un ami en qui elle pouvait avoir confiance et sur qui elle pouvait compter.
-Mademoiselle, je n'ai pas l'habitude de me réveiller à une heure si matinale. Vous portez-vous bien ?
-J'ai besoin de votre aide, Cédric. Pourriez-vous accueillir cette famille ? Pas bien longtemps, juste...
-Bien entendu. Ne patientez pas dehors, entrez.
Cédric regarda une misérable famille entrer chez lui. Il constata leur maigreur et l'état de leurs vêtements. Il ne posa pas de questions. Il appela plusieurs de ses serviteurs et invita la famille à s'installer. Celle-ci n'en crut pas ses yeux et les enfants commencèrent à courir dans toutes les directions, ravis.
-Auriez-vous besoin d'autre chose, mademoiselle ?
Hope n'avait pas prévu que ce serait aussi simple. Pourtant, Cédric avait accueilli la famille et il la traitait très bien. Ils avaient même pris leur petit-déjeuner ensemble. Elle sourit, maintenant qu'elle savait la famille de Pierre en sûreté, elle pourrait se battre tranquille. Une famille entière ne mourrait pas par sa faute. Hope regarda Cédric. Il lui avait dit qu'elle l'aimait. Elle se demandait si ce n'était réciproque. En tout cas, elle tenait beaucoup à lui, même si elle n'avait pas passé beaucoup de temps à ses côtés. Maintenant qu'elle y pensait, elle aurait aimé rester plus longtemps avec Cédric. Alors, pour la dernière journée avant les combats, elle souhaitait partager du temps avec lui.
-Je voulais savoir si vous vouliez bien rester avec moi aujourd'hui.
-Ce sera avec plaisir, mademoiselle. Voudriez-vous retourner voir Cannelle? Elle serait ravie de faire une promenade.
-Ce serait avec plaisir. Mais aujourd'hui, je monte seule.
-Je veux bien vous accorder une chance de plus.
Hope lui sourit et le suivit jusqu'aux écuries. Elle ne put contenir sa joie lorsqu'elle vit sa jument préférée. Elle lui murmura de doux mots à l'oreille. Cédric lui enseigna à installer une selle et elle l'écouta attentivement. Cette fois-ci, elle ne laissa pas l'excitation l'envahir. Elle monta Cannelle avec grâce et contrôle et ne s'emporta pas. Elle suivit les instructions de Cédric et ils passèrent la journée ainsi, en chevauchant côte à côte, en s'émerveillant du paysage, en riant.
Cédric regarda Hope. Il constatait avec étonnement combien elle avait mûri. Elle ne ressemblait plus à une petite fille immature. Elle était belle, gracieuse, élégante. Alors qu'il passait du temps avec elle, il se rendait compte que jamais il n'était aussi heureux. Hope était une lumière dans sa vie, celle que son père avait éteinte. Il se mordit la langue. Qu'était-il en train de faire ? Pour améliorer sa vie, il allait gâcher celle d'une personne comme Hope, qui l'utilisait à sa juste valeur. Ce n'était plus ce qu'il voulait, mais son père allait arriver.
Alors que le soleil commençait sa descente, Hope jugea qu'il était pour elle temps de rentrer. Elle le dit à Cédric, qui l'accompagna déposer Cannelle à l'écurie. Elle alla alors chercher Pierre. Si elle voulait que le plan du lendemain marche, elle avait malheureusement besoin de lui. Elle aurait préféré le laisser en sûreté, ne pas le mêler à tout cela. Mais il devait l'accompagner. Avant de le rejoindre, Hope attrapa la main de Cédric pour lui parler.
-Avant de partir, j'aimerais m'assurer d'une chose. Vous n'avez toujours rien trouvé à propos de mes yeux ? Vous ne savez toujours rien ?
Cédric se pétrifia. Au contraire, il savait et ce depuis le début. Mais s'il lui révélait tout maintenant, jamais elle ne lui accorderait sa confiance à nouveau. Et, en y réfléchissant, perdre Hope était la chose qui l'inquiétait le plus au monde.
-Navré, mais je ne sais encore rien. Cependant, je peux vous affirmer une chose, vous êtes une personne unique.
-Mes yeux me rendent-ils unique ? Vous dîtes cela comme s'ils étaient une bénédiction. Or, je n'aime pas ce que je ne comprends pas.
En effet, ils étaient loin d'être une bonne chose pour Hope. Ils étaient plutôt une malédiction, une chose qui hanterait sa vie à jamais. Mais Cédric ne pouvait pas lui dire.
-Ce ne sont pas vos yeux, c'est vous qui êtes incroyable. Je suis heureux de vous avoir rencontrée, mademoiselle.
-Ne dîtes pas cela comme si c'était un adieu. Je reviendrai vite.
-Faîtes attention à la milice d'ici-là. Elle vous cherche. Je vous inviterais bien à rester ici, mais je suis persuadé que vous refuseriez. J'ai appris que vous êtes une héroïne pour le Gouffre, que vous êtes sa lumière.
-Je constate que les rumeurs circulent vite. Je dois y aller, à présent, mais merci pour tout.
Si elle avait su, elle ne l'aurait pas remercié. Lorsqu'elle sortit de son champ de vision, il se tint la tête entre les mains. Elle lui avait souri, encore. Elle ne le ferait bientôt plus. Son père allait arriver. Bientôt, la joie qu'elle ressentait à ses côtés disparaîtrait. Mais sans Hope, son cœur serait vide à nouveau. « Je reviendrai vite ». Non, ce n'était pas le choix qu'elle devait faire. Elle ne devait simplement plus le voir. S'il détruisait son bonheur à elle, il ne trouverait jamais le sien et alors sa vie n'aurait plus aucun sens. Au contraire, si Hope se sauvait, il pourrait penser à elle jusqu'à sa mort.
Cédric courut vers Hope et la trouva alors qu'elle venait de quitter le manoir avec Pierre. Elle lui tenait la main et de l'autre elle remettait sa capuche. Il devait se hâter, ou se serait trop tard. Il hésita encore et, lorsque Hope se perdit entre les arbres, lorsqu'il ne put plus la voir, il eut le courage de parler :
-Hope, je vous en supplie, ne revenez jamais !
Mais Hope n'avait rien entendu et ça, il le savait. Il tomba à genoux, salissant son pantalon. Une larme coula sur sa joue. Il ignorait depuis combien de temps il n'avait pleuré. Avait-il pleuré un jour, au moins ? Il resta ainsi de longues minutes, à regarder la forêt, comme si Hope avait pu en ressortir. Puis, il se releva et tourna le dos à la forêt. Alors qu'une deuxième larme s'échappait de ses yeux, il murmura :
-Père, je crains que vous n'ayez réussi à me forger à votre image. J'aurais aimé ne pas vous ressembler, au moins aujourd'hui. Mais je suis un Ravenshade, je suis un monstre.
Hope baissa ses yeux pour regarder Pierre. Lui, il leva les siens. Elle lui sourit.
-Tu es un garçon courageux, tu sais ? Je te remercie de m'avoir tout dit.
Pierre lui rendit son sourire. Lui, une personne courageuse ? Pourtant, il avait eu l'impression d'être minable, ces derniers temps. Il n'avait fait que mentir. Mais Hope lui disait qu'il était brave, alors ce devait être vrai. Maintenant que sa famille était en sécurité, il pouvait l'être. Son soulagement était si grand qu'il ne pouvait le décrire avec des paroles. À présent, ses décisions n'auraient plus aucune influence sur la vie des autres. Il était libre et c'était le sentiment le plus incroyable au monde.

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La Rose Noire
FantasyHope n'a pas la vie facile, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle vit dans un village misérable, dans un royaume aux lois cruelles. Elle a les yeux gris, elle appartient à une classe sociale qui n'a pas beaucoup d'influences: celle des travailleurs...