Ses yeux gris et perçants scrutaient l'horizon depuis plusieurs minutes lorsqu'elle aperçut enfin une proie. C'était un jeune chevreuil seul, en train de s'abreuver dans un ruisseau. Du haut de son chêne, Hope avait un aperçu sur une forêt étendue. Elle évalua attentivement la distance qui la séparait de la bête et saisit son arc. Elle ferma un œil, retint son souffle et visa l'animal qui ignorait encore tout de son funeste destin. Elle tendit la corde de son arme avec une parfaite maîtrise et tira la flèche précédemment encochée. Celle-ci se ficha en pleine tête de la pauvre bête, qui se trouvait pourtant à plusieurs dizaines de mètres. Hope sourit, non sans être fière de son tir impeccable. Elle enfila son arc comme une sacoche et descendit de sa cachette pour rejoindre la terre ferme. Là-bas, Ben l'attendait, tout en faisant le guet. Hope lui sourit, signe qu'elle avait réussi et ensemble ils se dirigèrent vers leur butin. Ils restèrent silencieux durant le chemin. Bien que le soleil ne fût pas encore totalement visible, eux, ils l'étaient. Or, Hope aurait été bien en peine si la milice l'avait aperçue. Ils arrivèrent enfin au pauvre animal, qui gisait inerte au sol, une flèche dans la tête et une mare de sang sous celle-ci.-Tu l'as eu en pleine tête, tu t'améliores encore !
-Il le faut, à notre âge il faut manger de la viande si l'on veut bien grandir.
Ben la regarda avec admiration, comme à son habitude. Après avoir enlevé la flèche du chevreuil, ils mirent l'animal dans un sac, sans accorder la moindre importance au sang qui tachait déjà celui-ci. Le soleil était de plus en plus haut et plus de lumière signifiait une plus grande visibilité et donc un plus grand danger. Hope avait cessé de craindre la milice à tout instant, car cela signifiait vivre dans la peur toute sa vie. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir la boule au ventre dès qu'elle y pensait un peu trop. Ben prit le sac sur ses épaules : lorsqu'il s'agissait de force brute, il était de loin le plus fort. Les deux jeunes gens ne perdirent pas une minute pour quitter la forêt. Ils essayaient de se fondre dans les ombres un maximum. Ils sortirent enfin des bois, mais le danger ne les quittait pas pour autant. Au contraire, il était tout proche.
Il existe des jours où la chance nous quitte. C'était l'un de ces jours que Hope était en train de vivre. Devant eux se dressaient Tom et Tim, deux gardes jumeaux qui ne faisaient rien l'un sans l'autre. Sur leur dos étaient accrochée une lance et une épée pendait à leur ceinture. Ils portaient aussi l'uniforme traditionnel de la milice : une veste bleue aux motifs soignés et élaborés. Ils ne méritaient pas un tel luxe, mais ils étaient nés nobles, alors ils étaient traités en conséquence. Ils souriaient, laissant un aperçu de leurs dents jaunies. Ils voyaient bien le sac tâché de sang que Ben portait sur l'épaule et ils n'avaient aucun doute sur sa provenance, preuve qu'il leur restait quelques neurones. Malgré leur intellect douteux, ils représentaient une grande menace et, sans attendre, Hope et Ben se mirent à courir. Les deux gardes les suivirent. S'enchaîna alors une course poursuite entre les rues de la ville, qui grouillait d'activité. Les hommes commençaient à sortir de chez eux pour se rendre à la mine, où une éprouvante et vide journée les attendait. Hope n'aurait pas été étonnée d'apercevoir son père au milieu de tous ces gens. Les routes en terre battue étaient boueuses à cause de la pluie de la veille. L'eau mettrait plusieurs jours à disparaître, mais Ben et Hope étaient habitués à se déplacer dans la boue. Tous les habitants du Gouffre l'étaient. Le cœur en bataille, Hope et Ben gagnaient du terrain sur leurs poursuiveurs qui, armés de leurs armes et de leur ventre rondouillets, ne pouvaient pas courir aussi vite que deux jeunes effrayés. Ben fatiguait cependant, la biche lui pesait lourd et, plus les minutes de course passaient, plus sa respiration s'accélérait. Il ne suffit que d'un échange de regard entre les deux amis pour que Hope comprenne. Ben lui lança le sac qu'elle attrapa en plein vol. Ses jambes se fléchirent sous l'effort, mais elle ne lâcha pas le sac pour autant. Elle avait dûment mérité cette viande, elle la ramènerait chez elle, même si s'en débarrasser assurerait leur fuite. Ses jambes étaient fortes et habituées à l'effort, elle pouvait tenir, elle le devait. Sinon, son ventre gargouillerait encore ce soir et elle ne pourrait en vouloir qu'à elle-même. Hope et Ben s'immiscèrent dans les ruelles sombres, mal éclairées par la lumière du soleil et incroyablement sales de crottins de chiens et de chats errants. Des rats s'écartèrent sur leur chemin, ce qui causa un haut-le-cœur à Hope. Ses jambes couraient toujours cependant. Elle avait peur. Elle savait ce qui l'attendait si elle se faisait attraper. Avec de la chance, l'esclavage. Sinon, la mort. Ben s'en tirerait peut-être et cela la rassurait, mais elle avait trop peur en ce moment pour penser à autre chose qu'à sa propre fuite. Ils continuèrent leur course effrénée, malgré leur souffle court. Ils savaient comment fuir, ils l'avaient déjà fait. Ils arrivèrent aux pauvre quartiers résidentiels. Hope s'autorisa un regard en arrière qui lui permit de s'assurer que les gardes étaient hors de leur champ de vision. Elle ne perdit pas de temps. Elle s'approcha d'une maison délabrée qui semblait avoir plusieurs siècles et elle toqua quatre fois. On vint immédiatement lui ouvrir. Une femme qui, malgré son jeune âge, avait déjà le dos courbé, l'invita à entrer, le sourire aux lèvres. Dès qu'ils furent à l'intérieur, elle s'empressa de refermer la porte en bois qui ne pouvait arrêter personne mais qui, du moins, les cachait.
VOUS LISEZ
La Rose Noire
FantasyHope n'a pas la vie facile, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle vit dans un village misérable, dans un royaume aux lois cruelles. Elle a les yeux gris, elle appartient à une classe sociale qui n'a pas beaucoup d'influences: celle des travailleurs...