Chapitre 51

67 6 0
                                    

         Cédric ne savait pas ce qu'il était en train de faire. Mais il agissait. Il écoutait son cœur, qu'il avait fait taire pendant bien trop longtemps. Il aida Hope à sortir de sa prison et l'emmena dans sa chambre, en évitant le moindre serviteur. Il ne put souffler que lorsqu'il ferma la porte derrière lui. Il aida Hope à s'assoir sur son lit. Elle était pâle et effrayée et ne voulait pas lui parler. Bien que cela lui brisât le cœur, il ne pouvait pas la blâmer. Il se contenta d'attendre qu'elle parle la première.

-Vous m'avez sauvée.

-Il faut croire.

Hope observa Cédric. Il semblait perdu et déboussolé. Cela l'amusait un peu, mais ce sentiment était infime comparé aux autres.

-Pourquoi ?

Cédric baissa les yeux. Il n'en savait rien, lui non plus. Sa raison lui ordonnait d'ailleurs d'enfermer Hope à nouveau :

-Que feriez-vous, si, toute votre vie, vous aviez cherché l'approbation de votre père, au point d'être capable de faire du mal à autrui ?

-Je pensais que le sort des Gris importait peu aux Bleus.

-C'est le cas. Les Bleus vous considèrent inférieurs. Moi-même, au début, me croyais supérieur à vous. Mais les choses ont changé. Je tiens réellement à vous, à présent. Je préfère encore passer le restant de mes jours ici, au Gouffre, plutôt que de vous savoir malheureuse.

-Et comment je pourrais savoir si je peux vous faire confiance ?

-Si ce n'était pas le cas, vous seriez encore enfermée.

-Alors dîtes-moi pourquoi vous cherchez aussi désespérément l'approbation de votre père.

Cédric ferma les yeux un instant. Cela faisait longtemps qu'il ne pensait pas à avant. Depuis qu'il était au Gouffre, il tentait d'oublier sa vie de lorsqu'il habitait encore à Crownhaven. Fils d'une Verte et d'un Bleu, il était source permanente de honte pour son père. Il n'était qu'un accident. Il n'aurait pas même dû naître. Et encore, si, au moins, comme son frère jumeau, il était né avec des yeux bleus, tout aurait été plus simple. Mais il avait pris les yeux de sa mère. Il passa son enfance les yeux rivés vers le sol, honteux de lui-même. S'il avait pu rester toute son enfance à Crownhaven, c'était parce qu'il restait un Ravenshade. Mais, suite à une nuit tragique où l'on avait essayé de l'assassiner, son père l'avait envoyé ici, où on lui avait fait construire un manoir. Lucius, grâce à de nombreuses sources, avait découvert qu'un Clarence avait réussi à fuir par le passé et s'était réfugié au Gouffre. Comment l'avait-il su ? Il l'ignorait, mais il avait donné à son fils la mission de retrouver l'un de ses descendants en échange de son retour à Crownhaven. Il avait mis du temps à comprendre que son père avait simplement voulu se débarrasser de lui. Au début, il avait même cherché. Il avait trouvé une autre sang-mêlé, mais elle était mi-verte et mi-grise, ce n'était pas la personne qu'il recherchait. Il avait fini par abandonner et par accepter qu'il ne reviendrait jamais à Crownhaven, qu'il ne goûterait plus jamais à la gloire et à la richesse de la capitale. Puis Hope était arrivée et il avait regagné espoir.

Hope écouta ce que Cédric avait à lui dire et fut presque émue par son histoire. Presque parce que, malgré tout, il vivait dans un manoir somptueux avec des dizaines de serviteurs à sa disposition. Il avait été plutôt gâté pour un renégat.

-Et alors, qu'allez-vous faire ?

-Je suis contraint de rester ici, mais je peux vous aider à accomplir votre mission.

Hope réfléchit un instant. Que voulait-elle faire, en réalité ? Retourner auprès de la Rose Noire ? Mais à quoi bon ? Si elle continuait à rester avec ces membres, ce ne serait que pour les mener à la mort. La Rose Noire était peut-être plus forte qu'antan, mais ce n'était toujours pas suffisant. Elle se creusa les méninges, elle avait promis à Ben de trouver une solution pour ne voire plus personne mourir. Elle finit par trouver.

-Je pars vers Crownhaven. Seule. J'aimerais écrire une lettre, avant. Est-ce que vous pourriez me prêter Cannelle ?

-Hope, la capitale dissimule des atrocités sous son apparence paradisiaque. Vous ne tiendrez pas une semaine, seule.

-Qu'il en soit ainsi. Si j'y vais avec les membres de la Rose Noire, on mourra tous.

Cédric interrogea Hope du regard. Elle se souvint alors qu'elle ne lui avait jamais parlé de l'organisation. Elle le fit sans tarder. Cédric écouta attentivement, sans l'interrompre un seul instant.

-Si ce que vous me dîtes est vrai, je n'ai d'autre choix que d'appuyer les propos de Jack Lancaster. Aucun de vous ne survivrais, là-bas. Vous non plus, Hope. Vous êtes une Clarence, alors de nombreuses personnes voudront mettre la main sur vous. Il y en aura aussi, peut-être, qui préfèreraient vous assassiner directement. Vous êtes une menace, surtout pour la famille royale.

-Je ne suis pas dupe. Par contre, je ne mourrai pas, je l'ai promis à mon frère.

-Hope, ce que vous avez vécu au Gouffre, ce n'est qu'un avant-goût de ce qui vous attendrait à Crownhaven. Je suis navré, mais je refuse de vous laisser partir à l'encontre de votre mort.

-Alors vous allez faire quoi ? M'enfermer comme l'a fait votre père ? Si vous ne m'aidez pas à partir, je m'en irai quand même, seule, sans aucune provision. Vous aurez alors ma mort sur la conscience parce que vous vous demanderiez ce qu'il se serait passé si vous m'aviez au moins donné une monture ou de quoi me nourrir.

Cédric serra les dents. C'était fini, Hope n'abandonnerait pas. Il ne réussirait pas à l'empêcher de partir. Il lui donna donc un parchemin et une plume pour qu'elle puisse faire ses adieux et alla discrètement lui chercher des provisions. Alors qu'il se dirigeait vers les cuisines, ses mains tremblaient. Son père était toujours au manoir et il pouvait aller surveiller Hope à tout moment. Il ignorait comment il réagirait s'il voyait qu'elle s'était enfuie. De ce qu'il avait compris, il envoyait un serviteur voir si tout allait bien de temps en temps, en plus de celui qu'il laissait toujours à proximité et qu'il avait dû assommer. Il s'arrêta net lorsqu'il croisa son père. Il voulut faire marche arrière, mais celui-ci l'avait déjà repéré.

-Cédric, venez donc là. Nous avons du temps à rattraper, vous ne pensez pas ?

Cédric réfléchit aussi vite qu'il le put. Chaque minute comptait, ce n'était pas le moment de jouer avec son géniteur.

-C'est vrai, père, mais j'ai quelques préparatifs à terminer avant de quitter le manoir.

-Ce ne sera pas nécessaire. Vous trouverez tout ce dont vous aurez besoin chez vous.

-Père, j'habite dans ce manoir depuis bientôt huit ans, au point que mes souvenirs de la capitale sont flous. Il me faut préparer des bagages.

Son père le regarda avec mépris, s'attardant sur ses yeux. Il ne cachait toujours pas la déception qu'il avait envers son fils. Il ne se rendait pas compte que cela le blessait. Pour l'instant, Crownhaven n'était pas un lieu qui l'accueillerait, mais peut-être que Hope pourrait vraiment faire changer les choses. Il voulait y croire. Alors, il pourrait enfin regarder son père dans les yeux sans avoir une folle envie de détourner le regard.

-Père, que ferai-je une fois à la capitale ?

Son père ne répondit pas immédiatement. Il se retourna et partit vers une autre direction. Alors qu'il était déjà loin, il dit :

-On verra cela en temps voulu.

En d'autres termes, à Crownhaven, Cédric ne ferait rien.

La Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant