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LÉNAÏC

J'avais encore été le plus raisonnable.
Et alors que j'aurais du m'en féliciter, la phrase que Juliette avait prononcé quelques jours plus tôt ne cessait de tourner dans ma tête « j'en ai marre d'être raisonnable ». Une telle insouciance ne lui avait jamais ressemblé et pourtant je pense n'avoir jamais eu autant envie d'elle que dans la cuisine. Je n'arrivais pas à oublier la sensation de sa langue sur ma joue, si je n'avais pas reculé, j'aurais pu l'embrasser comme j'avais rêvé de le faire au cours de tant de nuits d'insomnies.
Mais j'avais reculé.
Pour la seconde fois.
La première n'aurait pas été raisonnable, quoi qu'elle en dise, se laisser guider par le chagrin ne résolvait jamais rien mais ce soir c'était différent.
Le désir avait fait germé des papillons dans mon ventre comme si je n'étais qu'un vulgaire collégien qui découvrait le pouvoir d'attraction des filles. Ça me rendait nerveux. Tout avait toujours été évident entre Juliette et moi, mais ce baiser avait eu des allures d'inconnu. Ça ne me dérangeait pas, mais c'était étrange de découvrir de telles sensations avec quelqu'un que l'on était censé connaître par cœur.
Bien après avoir terminé ma cigarette, je restais assis à jouer avec mon briquet jusqu'à ce qu'un bruit dans la cuisine me sorte de mes pensées : Juliette était déjà redescendue.
Ses cheveux encore mouillés brossés en arrière, vêtue de son vieux sweat et de mon pantalon de survêtement, elle s'attelait à nettoyer les traces de crumble éparpillées partout.

-Attends, je vais t'aider.

-Vas à la douche si tu veux, ça ne me dérange pas.

-Sûre ?

-Certaine.

Je me dépêchais néanmoins pour l'aider à terminer. Ce petit ménage se fit dans un silence total, comme si rien ne s'était passé, Juliette lavant le plat de la « discorde » comme si on n'était pas redevenu des gamins quelques minutes plus tôt.

-Tu veux boire quelque chose ? Une tisane ?

-Je veux bien.

Après avoir séché le plat et l'avoir rangé à sa place, elle disparu dans le salon où je l'y retrouvais quelques minutes plus tard assise dans le canapé.

-Tiens.

-Merci.

Elle prit sa tasse et après quelques secondes à la fixer, son regard se tourna vers moi.

-Je vais rentrer demain.

-À Paris ?

-Oui.

-Déjà ? Je croyais que tu voulais faire un break ? Que tu te plaisais ici.

-Je veux faire un break et je me plais ici mais je ne veux plus te déranger.

-Tu ne me déranges pas.

-Bien sur que si. Je m'en voudrais beaucoup s'il t'arrivait quelque chose à cause de moi.

-Que je boive ?

-Oui.

-Ça n'arrivera pas.

-Tu t'en sortais très bien sans moi, je ne veux pas casser ta routine tant que tu ne te sens pas parfaitement bien.

-Je me sens bien.

Mieux que bien même. Sa présence me faisait oublier que je me sentais parfois encore détraqué. J'avais l'impression de redevenir le Lénaïc sociable et avenant avec tout le monde et plus le reclus dans son coin de Bretagne.

-Je me suis rendue compte que j'étais enfin totalement passée à autre chose, que Wayne n'avait plus aucun pouvoir sur moi. C'est arrivé sans que je ne m'en aperçoive alors que je l'ai souhaité quasiment chaque jour pendant dix ans. Je pensais que tu serais la béquille qui m'aiderait à guérir mais apparemment tout ne devait venir que de moi. Je ne veux pas m'imposer ici et rester trop longtemps pour éviter qu'on se fasse encore du mal. Aujourd'hui je suis celle en position de le supporter, mais je ne veux pas prendre le risque d'être la cause d'une rechute.

Coup de FoudreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant