Rome, Italie, 25 décembre.
« Ellia, dammi il pane, per favore. » me demande mon oncle Leonardo. Ne parlant pas un traitre mot italien, je réponds en bonne française :
- Quoi ?
- Je t'ai demandé de me passer le pane. Me rétorque-t-il avec son fort accent en me désignant du doigt la baguette de pain que j'ai apportée.Je la lui donne et regarde mon père qui me regarde avec un air exaspéré, fatigué. Je plisse les yeux et fronce les sourcils pour le questionner sur sa manière de me scruter mais il détourne la tête vers ma mère assise en face de lui et me désigne du menton en lui marmonnant quelque chose d'à peine audible mais que je perçois tout de même :
- Dovrai dirglielo.
J'ai beau ne connaître que trois pauvres mots de ma langue natale, cette phrase je la connais par coeur. « Il va falloir lui dire ». Voilà ce qu'elle veut dire. Je vois ma mère acquiescer tristement en tripotant sa serviette en papier de sa main qui ne passe pas dans ses cheveux. Je la vois se tourner face à moi et me dire de me préparer à ce qu'elle va m'avouer dans une seconde. Oncle Leonardo arrête de manger quand il voit cette scène et me regarde comme s'il était au courant de ce que j'allais découvrir d'un moment a l'autre.
Ma mère ment horriblement. Je savais qu'elle me cachait quelque chose ces derniers temps. En plus de développer des manières incontrôlables dues au stress appelées « tics », elle est venue passer Noël et même le nouvel an en Italie avec mon père. Or, ma mère et ma famille paternelle ne s'entendent pas très bien et nous passons habituellement les fêtes de fin d'année tous les trois dans notre petit appartement de Lyon.
Elle saisit mes mains et les pose dans les siennes puis elle relève la tête pour capter mon regard et affiche une mine triste avant de me déclarer une nouvelle à laquelle je ne m'attendais pas du tout :
- Tu te maries la semaine prochaine.
Elle commence à sangloter dans les bras de mon père qui vient d'arriver rapidement à elle tandis que je reste de marbre face à mes lasagnes. Je ne sais pas quoi dire ni faire. Je ne sais pas si je devrais être triste ou en colère alors je leur demande juste une explication. Trop occupés à se rassurer l'un l'autre pour me répondre, la femme d'oncle Leonardo, qui est française également, s'empresse de les remplacer :
- Ton père a été viré de son boulot récemment mais ça tu le sais. En revanche ce que tu ignores c'est que ta mère n'a pas un salaire suffisant pour payer votre loyer.
- Mais tante Hilary, je travaille et je peux cumuler plusieurs petits boulots pour ça.
- Et tes études ? Comment comptes-tu les financer ?
- Maman m'a dit qu'oncle Leonardo proposait de nous aider.
- Ton oncle n'a pas la chance d'avoir de l'argent à la fin du mois. Son salaire a baissé ces derniers temps. Il faut dire que les machines ont tendance à remplacer les comptables petit à petit.
- Dans ce cas, je mettrai mes études de côté et travaillerai deux voire trois fois plus.
- Non. Ta carrière est vouée à la réussite, Ellia. Il est hors de questions que tu n'ailles pas à Palerme. Tu as pris deux années sabbatiques et il me semble que c'est déjà suffisant ainsi.
- Donc...je n'ai pas le choix ?
- Tes parents t'ont choisi un bon parti très occupé par son travail là-bas, à Palerme, tu ne le croiserais pas souvent et tu habiterais à côté de l'université.Je me tais et fixe mon assiette que je descends à vitesse grand V. Je n'ai aucune envie d'être en couple, ou encore pire d'être mariée. Je tiens à ma liberté et à mon espace personnel. Cela dit, je n'ai pas d'autre issue pour m'offrir mes études et aider financièrement mes parents. Je me demande ce qu'un homme puissant peut bien avoir à gagner dans cet arrangement et ce qu'il pourrait demander en retour. J'espère de tout cœur que mes parents l'ont briefé sur ce que je ferai ou non. Je veux savoir quel est cet homme, ce qu'il fait, ce qu'il veut, comment mes parents l'ont trouvé mais lorsque je les interroge Leonardo m'interrompt :
- È un disposizione.
Sa femme me regarde et me traduit :
« C'est un arrangement », ce qui laissait entendre qu'il n'y avait pas matière à débattre.
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Disposizione
General FictionSes parents n'ont plus d'argent et son métier ne la rémunère pas suffisamment pour qu'elle se paye ses études de commerce. Sa famille décide de la marier à un homme riche qu'elle n'a jamais vu et dont elle ne connaît même pas le prénom. C'est ainsi...