XXVIII

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Palerme, Sicile

Apeurée je décide de me séparer de cet homme qui m'a prise à part et me met d'ailleurs assez mal à l'aise. Alessandro sort du bar , la tête baissée et cède une arme à un autre homme qui était là depuis le début puis ilvv ne vient à moi.
- Je rentre. Tu veux te joindre ?

Je ne réponds rien et lui tient la main sur le chemin du retour que nous effectuons à pied. Il me confie quelques justificatifs qu'il me doit étant donné ce qu'il a récemment fait. Il me raconte que le fait que je parte l'a totalement bouleversé et qu'il s'est senti hors de lui et perdu en même temps. Il me cède enfin les raisons pour lesquelles il serait préférable que je reste chez lui :
- Tu sais, pour tes études tout ça, et en ce qui concerne tes parents, tout est déjà en ordre.
- Finalement je ne désire plus poursuivre mes études. Je me suis rendue compte que je trouverai peut être un travail avec un diplôme seulement mais avec tout ce qu'il vient de se passer depuis que je te connais, je n'ai vraiment, vraiment plus aucune motivation pour ça.
- Alors, tu vas partir...?

Il me fait de la peine lorsqu'il est comme ça. Il fait sa tête d'homme fort et impassible mais nous savons tous deux qu'intérieurement il n'est pas serein du tout. Il est fort, certes, mais comme tout humain qui se respecte il est aussi une personne dotée de sentiments. Je m'arrête et le regard droit dans les yeux pour lui avouer que je souhaite rester avec lui peu importe le temps que cela va durer. Je crois et j'ai foi en ce qui peut devenir un « nous ».
- Non. Je refuse. Je ne suis pas une personne digne de toi.

Et il me devance peu de temps avant que nous parvenions à la résidence. J'aimerai bien quitter cet endroit une bonne fois pour toute mais malgré tout ce qui a pu se passer ici j'y reste attachée. Alessandro m'aura toujours plus apporté que ma dernière relation.  J'ai beau avoir haï cet homme, le côtoyer régulièrement avec autant de proximité m'a procuré certains sentiments que je n'aurais jamais penser éprouver à nouveau. Et cela me suffit pour savoir qu'il est celui. Autrement pourquoi est-ce que mes ressentis l'auraient choisi ? Je ne suis pas superstitieuse d'habitude mais ce n'est pas un signe, c'est une évidence.
J'ouvre la porte à bout de souffle à force d'avoir couru pour rattraper monsieur l'enfant capricieux qui dort en celui avec qui j'ai uni ma vie et ce pour toujours. Enfin, normalement.
Ruby débarque devant moi avec un sourire plus qu'imposant qui se dessine immédiatement sur son visage.
- Que se passe-t-il ?
- Il se passe Madame que Monsieur est fou de rage. Et que je ne connais qu'une chose qui puisse le mettre dans un tel état : vous.

Je ne comprends pas tout à fait ce qu'il souhaite me faire prendre conscience mais je me sens tout de même flattée. Je demande où il se trouve puis je le rejoins au deuxième étage. J'entends renifler derrière cette porte qui me turlupine tant alors je décide rapidement de m'y rendre. J'ai posé mon sac à l'entrée mais j'ai toujours mes grosses chaussures de marche qui font un bruit pas possible. La porte se referme et mon homme en sort et la clôt, un verre de whisky à la main. Il a le visage humide et les yeux rouges et la jointure de ses doigts est rouge. Il plonge enfin son regard dans le mien. Un regard noir et profond qui me transperce émane de ses yeux. Je m'approche doucement de lui et enfermé son visage entre mes mains. Ses yeux me parcourent de la tête aux pieds puis pousse un petit gloussement.
- Décidément tu n'est pas de celles qui sont toujours bien apprêtées.
- Méfie-toi je suis de celles qui savent cogner.

Il enfouie sa tête dans le creux de mon cou et souffle longuement. Nous nous sommes quittés depuis quelques minutes à peine et pourtant j'ai l'impression qu'il boit depuis une éternité. Il se redresse et me tourne le dos en chuchotant tout bas une phrase à peine descriptible.
- Je sais qu'un homme ne doit pas pleurer mais...

Je le coupe dans sa phrase avant de le laisser la terminer.
- Un homme est un humain. Une femme est un humain. Tous deux pleurent, c'est humain.

Il serre la mâchoire et souffle en penchant la tête vers l'arrière. Il se pince l'arrête du nez de sa main libre puis avale une gorgée d'alcool de l'autre.
- Ce qui se cache derrière est resté secret depuis trop longtemps et...

Sa voix devient tremblante, il a l'air vraiment troublé.
- ... Et sa situation s'est dégradée il y a peu et il semblerait que...

Il renifle et retient quelques larmes qui l'empêchèrent de continuer sa phrase. Je pose une main sur son épaule et le rassure :
- Tu peux me montrer, si cela peut t'épargner, tu ne crois pas que ça serait mieux ?

Il hoche brièvement la tête et me conduit dans la pièce qui se trouve derrière lui. Je découvre une grande et belle suite boisée qui ressemble à une chambre d'hôpital, à cause de ce lit et de cette perfusion suspendue à côté... Une minute. Il y a quelqu'un dans ce lit. Un corps se devine sous le draps qui le recouvre entièrement et je note que la perfusion n'est plus reliée à cette même silhouette. Il y a un tas de bouteilles d'alcool sur un des meubles en bois sombre et pourtant si élégant. Je suppose que c'est d'ici qu'il sortait la dernière fois qu'il était dans un sale état.
- Tu vois ce jour où nous nous sommes dit « oui » ? Ce même jour j'ai menti à ceux qui m'ont demandé où était mon père. Il y a quelques années de ça, une grosse bataille a éclaté entre les cartels rivaux de cette ville. Mon père a été abattu par le père de Tommaso. Enfin, c'est ce qu'il a fait croire à tout le monde. Ça fait des années qu'il est ici sans rien dire, sans bouger ni même détourner le regard de ce point imaginaire qui semblait le hanter. Il y a peu, son activité cérébrale s'est dégradée et c'est allé très vite. Ce matin son cœur a effectué son dernier battement.

Il marque une pause en fixant le sol et frôlant ses dents avec sa langue.
- Je lui avais promis qu'il verrait ses petits-enfants un jour.

Je me rapproche de lui et le serre fort dans mes bras. Je ne sais pas quoi dire pour le consoler mais je pense que cet enlacement suffit à lui confier ce que je ressens pour lui, une forme de désolation qui ne peut se décrire que par des actes et sur laquelle on ne peut mettre aucun mot.
Derrière chaque armure bat un cœur en manque d'attention.

DisposizioneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant