XVIII

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Palerme, Sicile

Bonne nuit ? Sérieusement ? C'est tout ce qu'il a trouvé à me dire ?! Après ce qu'il vient de nous arriver il aurait pu trouver mieux que de me dire ça et de me tourner le dos. Je ne réponds rien et me retourne pour être dos à lui également.

A mon réveil il est déjà parti. Au travail, évidemment. J'ai du mal à me dire qu'il se réveille tôt et travaille autant dans ce milieu. Je dégustais ma pomme quand je l'ai vu descendre les escaliers, morose. C'est bien la première fois que je le vois avec cette tête. Ruby l'aperçoit et se précipite de le rejoindre. Ils chuchotent, je tente de saisir quelques parties du dialogue mais ils ne sont pas à côté et ils parlent vraiment très bas, leur discussion est imperceptible. Ruby se presse aussitôt dans le salon et s'empare du téléphone fixe.
Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'il vient de voir là-haut ?

Je ferais mieux de lui demander directement. Mais pas maintenant, il court au garage, il part travailler je suppose. Ruby s'éloigne une fois que son appel est pris en charge. J'essaie de le suivre discrètement mais il s'est enfermé dans la cuisine, la porte isole la pièce du salon, pour nous éviter d'entendre les bruits de la cuisine durant le repas, je pense. Il en ressort peu de temps après, le regard calme et paniqué à la fois.
- Ellia, vous ne pouvez pas rester là.
- Pourquoi ?
- Madame Giulia vous attend dans la salle de sport, elle veut vous emmener quelque part, ne la faites pas trop patienter.

Comment ça Giulia m'attend dans la salle de sport ? Elle est sûrement en train de travailler son fessier mais ça m'étonnerait fort qu'elle m'attende. Et si jamais c'était le cas, pourquoi est-ce qu'elle le ferait ? Elle s'est vite remise de sa blessure, heureusement que le personnel d'Alessandro est formé pour prodiguer d'excellents soins, autrement elle en aurait eu pour un moment. Il lui est déconseillé qu'elle fasse du sport de sitôt avec ses points et sa faiblesse physique mais elle est tellement têtue qu'elle ne se sentait pas d'attendre quelques jours alitée. Dans le doute, je vais vérifier cette information.

En effet, elle court sur le tapis quand j'arrive mais elle s'arrête aussitôt à la vue de ma personne. Elle se sèche avec une serviette puis prend son sac, posé sur la chaise, non-loin des machines. Je suppose qu'elle ira prendre une douche avant de m'emmener je-ne-sais-où.
- On y va ?
- Où ça ? Et tu ne veux pas prendre une douche avant ? Ou te reposer ?

Aucune réponse. Elle semble pressée, comme si il était urgent que nous quittions la maison. Je suis sûre que ça à un lien avec la réaction d'Alessandro, le coup de fil de Ruby, et tous ces allers-retours incessants avec le deuxième étage. Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien avoir à cacher ? Il faut que je le découvre.
Elle me prend la main et se dépêche de m'emmener dans le garage. Nous nous installons dans la voiture, qui sent le parfum délicieux et enivrant d'Alessandro.
- Alessandro m'a donné sa carte, alors on va acheter quelques vêtements avant d'aller à l'espace détente.

« L'espace détente » ? C'est quoi au juste, un endroit avec des huiles essentielles diffusées un peu partout ? Avec du jazz ? Des bruits de rivière ?

- Et ça ? Me demande Giulia avec une superbe robe rouge courte avec un beau décolleté.
- Elle est magnifique.

Elle la pose sur son avant-bras avec ses tenues en lâchant un « De toute façon, c'est mon cousin qui paye. ». Un vendeur, plutôt attirant je dois avouer, m'accoste.
- Je peux vous aider ?

Giulia répond à ma place, il semblerait qu'elle y prenne goût.
- Nous cherchons de quoi séduire son mari. Et en ce qui me concerne, je suis à la recherche d'une tenue de soirée.

Je ne cherche rien, j'ai juste eu un coup de cœur pour cette robe, sans aucune arrière pensée, je ne sais pas pourquoi elle raconte tout ça.

- La robe rouge que vous avez ici devrait suffire, accompagnée de quelques accessoires chic que vous pourriez trouvez sur l'autre trottoir vous conquirez Monsieur en un claquement de doigts. Et vous, de quel type de soirée s'agit-il ?

Je comprends mieux pourquoi elle m'a cataloguée comme mariée, elle est totalement sous le charme de ce dieu grec. Les yeux bleus, les cheveux châtains, une chaîne autour du cou et des bras aussi larges que mon cou, elle n'a pas mauvais goût. Si je ne portais pas cette alliance, je jure que j'en aurais profité pour me le faire. J'aurais pu faire croire que j'étais veuve mais cette traîtresse a été plus rapide que moi.
Elle lui fait les yeux doux et passe sans arrêt une main dans ses cheveux, elle a l'air de connaître les points faibles des hommes puisqu'il lui accorde des regards qui laisseraient penser qu'il est séduit.

- Maintenant, l'espace détente !
- Et c'est quoi au juste ?
- Surprise.

Je n'ai jamais mis les pieds dans un spa ; c'est ma première fois. Je ne sais pas quoi faire à mon arrivée, une fois que j'ai salué le personnel, que suis-je censée faire ? Giulia est assez à l'aise alors je la laisse faire et je me contente de suivre.
Je n'ai jamais été aussi détendue. Nous avons été au Hammam puis nous avons pris un bain de boue et maintenant nous nous faisons masser par quatre mains douces qui font des merveilles. Je suis complètement amorphe sur cette table, avec ma tête coincée dans cette têtière douloureuse et confortable en même temps. Je viens de me découvrir une passion pour les massages que je n'aurais jamais soupçonnée, faute d'avoir testé.
- Après on va manger asiatique, y'a un restau que je connais bien qui fait les meilleurs sushis et nems de la ville voire même du pays.
- Et quand est-ce que tu as prévu qu'on rentre ?
- Mais on rentrera après le massage, on se fera un repas devant la télé. Tu choisis le programme.
- À vrai dire ils diffusent un opéra que je ne veux pas rater, j'adore l'opéra mais en France ils n'ont pas cette chaîne. D'ailleurs, tu as beaucoup progressé en français !
- Je savais déjà le parler. J'ai vécu en France quelques années pour mes études.
- Pourquoi tu m'as fait croire le contraire ?
- Je pensais que votre couple était faux au début. Je voulais voir si tu aurais appris une langue pour parler avec ta belle-famille.
- En fait vous parlez tous français, c'est ça ?
- Pas tous, mais nombreux d'entre nous ont fait leurs études en France, ma mère avait adoré les siennes alors elle a vivement conseillé au reste de la famille de faire de même.

Je ne comprends toujours pas à quoi cela rimait mais tant pis. Nous rentrons avec la musique à fond dans la voiture, nous hurlons comme des folles, je rattrape l'adolescence qu'on m'a dérobée. Mes muscles sont tellement détendus et épuisés que j'ai du mal à refermer la portière de la voiture. Cette après-midi m'a énormément plu, ce que je confie tout de suite à Giulia, entre deux Lamborghini. En rentrant Giulia jure en italien, ce qu'évidement je ne comprends pas puisque mon site ne m'apprend pas ce genre de mots. Elle me demande de préparer le salon, qu'elle part passer commande. Je sais qu'elle cache quelque chose. Elle a juré en regardant le bar mais aucune bouteille n'a bougée, je ne vois pas ce qui a pu la faire réagir au quart de tour. Je fais ce qu'elle m'a demandé puis je l'attends. Elle met un peu de temps, je commence à monter les escaliers. Un bruit de verre retentit. Giulia fait son apparition devant moi, subitement, elle me demande de ne pas calculer ce qu'il se passe au deuxième étage.

Nous mangeons devant l'opéra puis nous couchons dans nos chambres respectives. Lorsque je me change la porte s'ouvre en grand d'un seul coup. J'enfile rapidement mon peignoir et je me trouve soulagée quand je vois la silhouette d'Alessandro dans le miroir. Il tient quelque chose dans sa main. Il place ses bras autour de ma taille mais je me retire aussitôt de son étreinte ; il empeste l'alcool et la sueur. Lui qui est toujours soigné et qui prête beaucoup d'attention à sa santé, ce comportement me surprend. Il me questionne du regard puis me balbutie :
- Je t'ai jamais trompée et je ne sais pas ce que je veux avec toi, tu me perds dans mes pensées.

Il m'a dit tout ça en tendant sa main que je constate ensanglantée.
- Viens avec moi dans la salle de bains.
- Pourquoi ? Tu en veux plus qu'hier ? Tu sais je pense qu'on n'aurait pas dû...
- Pose la bouteille.
- Non. Il ne faut jamais laisser un fond de whisky sinon on est maudit.
- Très bien.

Je lui arrache sa boisson des mains et la termine ; il en restait à peine un verre.
- Maintenant qu'elle est finie, tu te tais et tu bouges plus.

DisposizioneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant