XV

101 4 0
                                    

Palerme, Sicile

J'ai bien entendu ce que j'ai entendu ? Il m'a dit explicitement qu'il souhaitait m'embrasser ? Après ce que je lui ai confié à l'instant et ma remarque d'hier soir ? Je pense qu'il n'a pas compris ce que cela signifiait pour moi. Je ne veux pas m'engager dans une relation. Pas maintenant. Je ne me sens pas prête. Et même si il ne cherche pas de sérieux, je ne veux pas qu'il se passe quoi que ce soit avec lui. Je guette ses mains écarter mes jambes pour imposer son corps entre elles. Elles se posent délicatement dans le creux de mes hanches ; qu'est-ce qu'il me veut ? Je perçois un son lointain qui sonne comme un éclaircissement de voix. Je quitte son regard intensément noir et profond dans lequel j'étais plongée malgré moi depuis sa parole. Ma tête se tourne vers la source de cette nuisance sonore. Marcia est magnifique même au milieu de la nuit. Cette belle femme nous fait comprendre que les chambres existent. Elle s'était endormie sur le canapé sûrement puisqu'elle porte une nuisette noire en soie qui la parfait avec son corps de magazine. Elle monte se coucher après cette intervention.
Je comprends mieux ce comportement. Il désirait juste convaincre sa mère quant aux sentiments qu'il me porte. Je lui laisse tout débarrasser parce que la fatigue commence a se reprendre en moi et lorsque ce moment arrive il ne faut pas attendre avant qu'il ne disparaisse.

Je m'étire en bâillant. Il semblerait que j'aie dormi seule dans ce grand lit. Quelqu'un frappe à la porte ; Giulia se présente à moi avec un plateau sur lequel sont disposés des croissants étranges. Ici les viennoiseries françaises ne sont pas aussi bonnes qu'en France, cela va de soi.
- Il travaille tôt ce matin pour finir tôt ce soir.

Elle connaît mieux l'emploi du temps de mon conjoint que moi-même. Je ne trouve pas ça normal. Et puis, pourquoi ne m'a-t-il pas réveillée en partant travailler ce matin. Je devais être plongée dans un sommeil profond pour réussir à ne pas le remarquer. De ce que je comprends il a transmis le message à Giulia pour me laisser récupérer des heures de sommeil. Quand elle m'expose ceci je devine à ses yeux les scénarios auxquels elle songe ; ceux à cause desquels nous nous sommes si peu reposés.

J'admire les efforts qu'elle fait pour parler avec moi en français. Pour le moment on va se contenter du traducteur automatique. Tant que nous n'avons pas atteint le niveau du collège, au moins. Nous papotons -assises sur le lit- sans tenir compte du temps qui défile. Alessandro a réussi à persuader sa mère de nous croire, visiblement. Et sa cousine aussi. Elle est aux anges.
Dans cette famille ils sont tous beaux ; je suppose que leur beauté est génétiquement transmissible. Elle prend soin de ses longs cheveux bruns et de son visage scintillant. Même ma belle-mère est une bombe. Elle a un carré long avec des ondulations régulières, un maquillage léger, aucune ride, les yeux foncés et une bouche pulpeuse. Elle a également un beau corps très harmonieux. Si je la croisais dans la rue avec Alessandro j'aurais du mal à dire s'il s'agit de se femme ou de sa sœur, mais je ne songerais jamais au fait qu'elle soit sa mère.
Je lui demande comment Alessandro s'est retrouvé dans ce milieu et il semblerait que son père était un des plus grands mafieux de Sicile. Il a dû endosser le rôle que son père jouait il y a peu, il était très jeune et y consacre sa vie depuis.

J'ai beaucoup dormi. Toute la journée il semblerait. Je n'ai même pas mangé, à part le petit-déjeuner ; j'ai parlé avec Giulia puis je me suis assoupie. La porte qui claque et des pas m'arrachent à ce sommeil précieux. Alessandro troque ses chaussures sérieuses contre des basket de marque dans le dressing. Ça a dû lui faire du mal de devoir tasser le reste de ses affaires dans l'armoire. Il aurait pu me la laisser et garder le dressing entier pour lui.

Il me conseille, de loin, de glacer mon cou avec la glace qu'il venait d'apporter. Il revient, pose la poche sur le lit.
- Ça va mieux tes plaies ?
- Oui, merci.

Pourquoi est-ce qu'il est gentil comme ça ? A-t-il quelque chose à me demander ? Il se met en tenue de sport, je le scrute du coin de l'œil, assise, mon téléphone en main. Il est sculpté comme un dieu. Je détourne le regard à contrecœur par peur d'être prise en flagrant délit. Il part dans la salle de bain, reviens avec une serviette qu'il dépose à côté de moi, encore. Puis il y retourne pour m'approcher avec une petite trousse rouge. Il prend place près de moi, me demande de retirer mon haut. Je comprends évidemment pourquoi il veut que je le retire. J'attrape la couverture que je mets sur mon torse habillé uniquement de mon soutien-gorge, il empoigne mes bras pour voir lequel est abîmé.
- Porte la glace à ton cou avec l'autre main, ça te soulagera un peu je pense.

Mon agression s'est déroulée il y a environ trois jours. Mes plaies commencent déjà à se refermer pour faire des cicatrices. Je cicatrise très rapidement ; uniquement physiquement.

Je me demande ce qu'il lui arrive depuis quelques temps.
- Pourquoi tu agis bizarrement ces temps-ci ?
- C'est-à-dire ?
- Normalement tu es distant, froid et même cruel avec moi et en ce moment tu es différent.
- À croire qu'une personne nous change.

Je n'ai pas saisi le sens de sa phrase alors je demande des précisions mais on dirait que le début de ma cicatrice l'obsède... Je lui demande gentiment de me lâcher, ce qu'il fait aussitôt.

Il retourne ranger sa petite trousse qui n'a servi à rien.
Je dois avouer que je trouve cette situation étrange. Il a changé du tout au tout en l'espace de quelques jours. Pourquoi ?

Je me dirige vers le dressing, enveloppée dans la couette, pour me chercher un col roulé mais il semblerait que je n'en avais prévu qu'un seul pour venir en Sicile, surprenant. Notez l'ironie.

Je souffle longuement. En me laissant tomber sur le lit. Alessandro qui s'apprêtait à partir me juge du regard.
- Quoi ? Tu veux que je pose pour toi ?
- Pourquoi tu gardes ce truc sur le dos ?
- Parce que j'ai besoin de mon intimité.
- Et pourquoi tu souffles ?
- Figure-toi que je suis venue en Sicile sans pull, sans imperméable et sans col roulé alors je ne peux plus dissimuler ces affreuses traces.

Il réfléchit un court instant en se retenant d'exprimer une de ses pensées.
- Je dois avoir un sweat-shirt.

Il fouille dans son bazar organisé d'où il sort, triomphant, un sweat-shirt qui me sera évidemment trop grand.
- Je te le donne à une condition.
- Laquelle ? Me demande-t-elle innocemment.
- Arrête avec cette putain de couverture.

DisposizioneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant