Chapitre 5 - Kamie

21 2 0
                                    

Le premier trimestre touche à sa fin. Je traîne plus souvent avec Eden qu'avec Chris et Tham car elles sont très occupées les mercredis et les week-ends. Elles aident leurs parents au travail ou accordent du temps à leurs chéris. Eden m'a expliqué que ce duo déjanté se connaît depuis l'enfance et qu'elle les a rencontrées au collège. A l'époque, Eden était obèse et tout le monde se moquait d'elle. Avec l'aide de ses parents et d'un suivi psychologique, elles l'ont soutenue et surtout elles l'ont protégée de fausses amitiés. Elle a perdu beaucoup de poids depuis mais elle se voit encore trop grosse. Toutefois, elle a la décence de ne pas en parler devant moi car je suis ronde. C'est Tham qui me l'a expliqué.
J'aime Eden. Elle est devenue ma meilleure amie, la sœur que je n'ai jamais eue. On fait notre footing hebdomadaire dans les bois et on refait le monde. On rigole beaucoup ensemble. Elle écoute toujours mes problèmes et ne me juge jamais. Elle m'aime comme je suis avec mes défauts. Oui, je suis un peu colérique parfois et je n'ai pas toujours bon caractère mais Eden a toujours un mot gentil pour moi. Je n'ai pas encore pu lui dire pour mon don et le fait que je ne vois pas son aura. Je ne sais pas comment aborder ce sujet...
Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec ma Best à la médiathèque de Bourg pour faire avancer notre projet de tri des déchets au lycée. Nous sommes toutes les deux éco déléguées de nos classes respectives. Avec l'aide de la prof d'histoire d'Eden et d'autres élèves, nous envisageons de faire trier les déchets au self mais aussi dans les salles de classe en mettant en place une campagne de sensibilisation.
— Salut Kamie !
Eden vient d'arriver toute souriante.
— Wahou Eden ! Tu es sublime avec ce maquillage ! Si Gabriel te voyait comme ça...
— Arrête avec Gabriel, j'te dis qu'on est juste amis. Ça me prend la tête c'te situation... Vous me jurez toutes les trois que je lui plais mais je suis incapable de dire ce que je ressens pour lui. On a une relation spéciale et je ne veux pas le mettre mal à l'aise parce que ce n'est pas de l'amour pour moi. D'un autre côté, tu sais que je crush sur Mme Histoire...
– Eden, t'es pas possible ! Je t'ai dit mille fois d'oublier Mme Histoire car elle est majeure et surtout elle est déjà mariée.
Eden me répond en soufflant.
— Oui je sais. Mais c'est dur pour moi... Je ne sais pas trop sur quel pied danser... J'en ai parlé à mes parents le week-end dernier.
— Ils t'ont dit quoi ?
— Bah disons que j'ai un peu tourné autour du pot... J'ai commencé par leur demander comment savoir qu'on est amoureuse ? Puis, j'ai poursuivis en avouant mes sentiments pour Mme Histoire.
— Tu as écouté mes conseils : je suis fière de toi. Ils ne t'ont pas engueulée ? Comment ont-ils réagi ?
— Comme je m'en doutais, ils n'ont pas été choqués par le fait que j'aime une femme. Ce qui les dérange, c'est surtout le fait qu'elle soit mariée et que je ne suis pas encore majeure pour avoir une relation avec une adulte. Mon père a ajouté que ça arrive souvent pour un élève de tomber amoureux de son/sa prof. Ma mère, elle m'a demandé si c'était bien de l'amour ou de l'attachement ? En effet, ce n'est pas la première fois que j'aime une prof et elle me l'a fait remarquer. Elle se souvenait de Mme Musique en cinquième. Je faisais tout pour la croiser dans les couloirs, la voir souvent... Ma mère m'avait même demandé d'arrêter un peu car je ressemblais à ces fans obsédés. Attachement ou amour ? L'un mène à la souffrance, l'autre au bonheur. Nous avons bien parlé de tout ça. Aussi, ils m'ont dit que si j'étais homosexuelle, ce n'est pas un problème car ce qui compte, c'est l'amour. Je leur ai répondu que je ne pense pas être lesbienne. Alors maman m'a dit un truc qui m'a plu : « Si tu n'assumes pas être lesbienne et comme tu n'as pas eu d'expérience, tu ne peux pas connaître ton orientation sexuelle. Tu n'as qu'à dire que tu es bisexuelle si cela te convient ? ».
— Ce n'est pas bête ! Tu sais, c'est pas donné à tout le monde d'avoir des parents aussi compréhensifs.
— Je sais, j'ai de la chance de les avoir... mais n'empêche que je ne suis pas mieux dans ma peau... Du coup, concernant Mme Histoire, j'ai décidé que j'avais de l'attachement et qu'on en reste là mon cœur brisé et moi. Et en ce qui concerne Gabriel, bah je ne veux pas qu'il se fasse de fausses idées et je n'arrive pas à le rembarrer car on a une relation particulière tous les deux à laquelle je tiens aussi.
— Ecoute, on se connaît bien maintenant. Je sais que Gabriel est sympa mais vous êtes trop différents... Lui cherche à se marier avec son premier amour alors que toi tu craques sur une femme inaccessible. Tu m'as déjà dit que tu n'assumes pas « être lesbienne » et que tu sois lesbienne ou bi ou autre, ce qu'il faut, c'est que tu sois honnête avec toi-même et que tu assumes tes vrais attirances qui je pense sont pour les filles seulement. Si tu assumais ton homosexualité, tu t'enlèverais ce poids que tu t'infliges et tu te sentirais mieux. Arrête de te mettre des freins Eden, j'te jure, on est tous avec toi !
— Non, je ne suis pas lesbienne.
Eden vient de prendre un ton sévère presque méchant. Je calme la situation.
— Okay, excuse-moi. Tu sais que je ne veux que ton bien...
Et je lui fais le signe du cœur coréen avec mon pouce et mon index croisé. Elle sourit et me répond par le même geste.
— Bon, passons aux choses sérieuses maintenant ! Tu as fini la pancarte pour le self ?
— Oui cheffe ! Regarde, je l'ai prise en photo.
— Superbe, bravo miss !
Nous terminons notre travail et décidons de flâner en ville. On se pose dans un magnifique petit parc zen. Ce parc a été financé par la ville car elle est jumelée avec Tottori, une ville du Japon. Le maire a souhaité recréer les paysages traditionnels japonais pour faire ce parc. Aussi, on peut se promener le long d'une somptueuse allée de sakuras (cerisiers japonais), un bel étang à carpes koï agrémenté d'un joli pont rouge qui le traverse. De partout, on peut observer des érables du japon des azalées, des pins tailles en nuages... Il y a aussi un coin où l'on peut se reposer sur des bancs disséminés dans une immense bambouseraie. Bref, ce parc est une invitation au voyage et nous l'adorons Eden et moi. En effet, nous sommes toutes les deux très attirées par la culture asiatique dans son ensemble. Eden est plus team Japon et moi team Corée mais notre amour pour les mangas, les cosplays et les vocaloïds est commun.
Le parc est bondé de monde. Normal puisqu'on est mercredi : les nounous promènent les enfants, les étudiants en mal d'amour batifolent sur les bancs, les sportifs profitent de courir le long de l'étang... Grâce à mon don, je vois plus de couleurs que le commun des mortels et le spectacle est juste sublime. Nous sommes en automne et les érables sont parés de feuilles pourpres, roses, rouges, oranges et dorés. Dame nature nous offre un tableau splendide. Je stoppe net face à cette beauté.
— Ça va Kamie ?
— Heu... oui, pardon... Je suis juste troublée par la beauté du paysage. Tu sais, je veux te dire quelque chose... mais je ne sais pas trop comment le dire...
Puis je poursuis dans ma lancée.
— Voilà, cet été, j'ai eu un accident qui a failli me coûter la vie et j'ai fait une expérience de mort imminente qu'on nomme plus communément EMI.
Eden plisse les yeux mais me laisse parler.
— Il a été démontré que quelques personnes qui ont fait une EMI ont développé une faculté spéciale et certaines sont devenues médiums. En ce qui me concerne, je perçois les auras des personnes.
— Les auras ? Comme dans la série coréenne ? Tu vois les couleurs, les chakras ?
— Oui, exactement sauf que moi je n'ai pas de pouvoirs surnaturels. Enfin si, un peu. Je ressens aussi les émotions des gens proches de moi.
Eden est à la fois choquée et excitée.
— Wahou ! Tu peux me dire de quelle couleur est mon aura ?
— En fait, je ne peux pas voir la tienne.
L'excitation d'Eden laisse place à de l'interrogation.
— Quand je t'ai vu la première fois sur le parking des bus le jour de la rentrée, je ne comprenais pas. Puis j'ai fait des recherches pour savoir pourquoi tu étais la seule sans aura.
— Et tu as trouvé ?
— Oui. Les extralucides ne peuvent pas voir les auras des personnes qui sont déjà mortes et revenues à la vie. Est-ce que c'est aussi ton cas ?
Eden recule d'un pas.
— Heu... oui. Mon cœur s'est arrêté de battre une minute.
Elle hésite une seconde puis reprend.
— C'est une partie de mon histoire dont j'ai trop honte... Tu sais que j'ai eu quelques soucis au collège...
— Oui.
— Et bien ce que tu ne savais pas, c'est qu'en quatrième, j'étais au bout du rouleau. J'en avais marre de moi. Je me détestais car je n'arrivais pas à être une aussi bonne amie pour Chris et Tham qu'elles l'étaient pour moi. Je ne trouvais pas ma place dans ce monde... En plus, j'avais ce corps horrible. Le psy m'avait dit que j'étais hypersensible et que le comportement des gens avait de l'importance pour moi alors dans ce monde pourri, je ne me suis pas sentie à ma place. Un jour, j'ai repéré le grand frère d'un caïd de ma classe qui vendait de la drogue derrière le collège. Je lui en ai acheté. C'était trois petits cachets bleus sur lesquels étaient marqués « SKY ». Je les ai avalés dans la rue en priant pour que le message se réalise et que je monte rapidement au ciel. Malheureusement, un parent d'élève m'a vue tomber sur le sol et a appelé les secours. J'ai pu être sauvée et prise en charge à l'hôpital. S'en est suivi un traitement psychiatrique d'un an. On m'a raconté que mon cœur s'était arrêté une minute dans l'ambulance. J'ai tellement honte de moi.
Des larmes coulent sur ses joues et je la sers fort dans mes bras.
— Oh Eden ! Ça va aller. Regarde comme tu t'es battue pour en arriver là où tu es aujourd'hui. Tu es une jeune fille radieuse, belle et tu as pleins de super amis. Tu n'as pas à avoir honte. On traîne tous des casseroles. Moi, je te trouve très courageuse, au contraire de ce que tu penses.
Mes mots la convainquent à moitié mais elle se ressaisit.
— Merci Kamie. Avec toi, je me sens vraiment bien.
Elle sourit et ajoute.
— Tu es ma vie !
— Toi aussi !
On continue de papoter toute l'après-midi. On s'amuse même à déchiffrer les auras des passants. Je me sens soulagée d'avoir tout expliqué à Eden concernant mon « don » et heureuse qu'elle se soit confiée à moi. Je pense qu'elle est bien maintenant.

Le jardin secret d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant