Hillmoore est, de par son statut de capitale, le joyaux de Sulver et de ses fiefs lointains, un paradis pour les voleurs et autres adeptes de la rapine. Les voyous et les filous, détrousseurs de tous poil et de tous bords qui peuplent depuis toujours les microcosmes surpeuplés de ces paysages citadins.
Mais si tous les voleurs, ou du moins ceux qui peuvent prétendre au titre grâce à l'expérience et à l'essentielle validation de la Guilde, se risquent à aller chasser au-delà du fleuve, dans les quartiers fourmillants de Demi-Terre... Tous les voleurs n'osent pas traverser l'eau une seconde fois pour arriver jusqu'à l'Œil, richissime presqu'île que seuls parcourent les plus riches citoyens de la ville, et leurs domestiques.
Et tous les voleurs ne tentent pas, dans le soleil couchant traversant la brume grisâtre des mines, l'ascension de la façade d'un des manoirs de Keepers Streets. Bien au-delà de la zone occupée par les bâtiments de la bureaucratie, là où commence la lente ascension des hautes tours métalliques de la ville. À l'assaut du ciel, par-delà le brouillard épais noyant pauvres et badauds, gens du commun des quartiers inférieurs.
Mais Ghost n'en est pas à son coup d'essai. Cela fait plusieurs mois qu'il fait des repérages, et tourne et vire sous le couvert de la nuit, de plus en plus loin dans Keepers Streets.
Après avoir patiemment nettoyé les couloirs de la bureaucratie, visitant coffres forts et tiroirs secrets d'une grande partie du sud de l'Œil, il remonte, tranquillement, vers le nord, les quartiers riches. Ce qui sont de plus en plus proche de High City.
L'ascension de ce soir, le long des murs blancs de ce beau manoir perché plus haut qu'il ne l'a encore tenté, n'est qu'une étape dans son plan. Il s'est renseigné sur la famille qui vit dans ses murs.
Un noble nom, pour sûr. Un nom puissant. Les Langley.
Ghost, équipé de ses crampons d'escalade, soigneusement attachés à ses chaussures et ses poignets par des liens de cuir, se hisse le long de la façade soigneusement sculptée. Il est passé par l'arrière de la demeure, vérifiant consciencieusement son angle d'approche selon deux facteurs essentiels : la difficulté des prises, et l'impossibilité d'être vu depuis le sol, ombre vêtue de noir sur une façade blanche...
La fenêtre qu'il vise n'est plus qu'à quelques mètres. Il pense atterrir dans une pièce discrète. Un cabinet, voire même un débarras, mais dont aucune lumière ne sort à cette heure.
De là, il devra trouver un bureau. Ou une étude quelconque. Le chef de famille Langley siège à l'Assemblée, ce serait bien le diable si Ghost ne se trouve rien à se mettre sous la dent ici. Même dans cette demeure secondaire.Tous les PrésiDucs ont des petits secrets dont ils ne sont pas fiers... Et qu'ils préfèrent souvent dissimuler loin de leurs résidences officielles.
Il n'ose pour l'instant pas encore se risquer jusqu'à High City, où se pavanent les plus puissants de Sulver. Les Lords, les Ladies des PrésiDuchés... Jamais la Guilde n'a poussé jusque-là. Mais ce n'est qu'une question de temps.
Prenant enfin pied sur le rebord de la fenêtre, il cale ses genoux dans l'angle étroit de la pierre et sort ses outils d'une des poches des hautes guêtres remontant jusqu'à ses cuisses.
Crocheter les fenêtres de l'extérieur n'est pas au-delà de sa portée, il a mémorisé ces gestes depuis assez longtemps pour que ce ne soit plus qu'une routine pratiquée en automate. Ce qui est difficile, c'est de ne pas laisser de traces de son point d'entrée. S'il visite de nouveau cette maison, personne ne doit savoir par quelle fissure ou crevasse il a réussi à se glisser en ces murs.
Mais ses doigts travaillent vite, et avec précaution. Et personne ne pourra jamais lever le moindre œil suspicieux sur cette fenêtre.
Quand les gonds se mettent à tourner légèrement vers l'intérieur de la pièce, il rabat sur son nez l'écharpe cramoisie dissimulant jusqu'à ses yeux, et glisse un regard dans la pièce.
Il a touché juste. Ce n'est qu'une petite remise, à peine plus qu'un placard.
Repliant ses crampons, il se laisse doucement glisser dans cette maison inconnue.
La pièce est étroite. Les murs de pierre sont doublés d'un riche bois sombre. Et même dans ce cagibi, les parois s'offrent le luxe de quelques moulures aux angles du plafond.
Ghost roule des yeux devant ces fantaisies de riches, et entrebâille doucement la porte, pour tomber sur un long couloir. Là aussi les murs se parent d'un savant mélange de bois et de pierre. Aucune fenêtre, mais des pièces de chaque côté des parois ; il doit s'agir des quartiers d'habitation, comme ses longues planques à surveiller la demeure le laissaient supposer.
Certaines de ces pièces, au fond du couloir, laissent passer de la lumière. Les habitants sont présents. Ce qui ne lui pose pas vraiment de problèmes. Mieux vaut pouvoir situer ceux qu'il cambriole, selon sa propre expérience. Cela limite le risque de se voir découvert en pleine action.
Ce qui le gêne, c'est le parquet. Il avait espéré un de ces carrelages clinquants et quadrillés comme les bureaux qu'il a désormais l'habitude de visiter, mais il faut croire que ces gens-là ne regardent pas à la dépense...
Un parquet, c'est une mauvaise nouvelle. Même avec une gestion millimétrée de ses appuis, il ne peut pas garantir que les lattes coopèrent et restent silencieuses... Et avec les occupants du lieu si proches...
Le regard de Ghost se tourne vers le plafond du couloir, et ses yeux s'illuminent de satisfaction.
Le plafonnier est barré d'un complexe assemblage de poutres apparentes comme il est courant dans ces anciennes demeures. Les Citadins ayant perdu la science de construction nécessaire pour retarder le vieillissement de leurs bâtisses, toujours plus surchargées, les consolident de l'intérieur.
Ghost répète une manipulation déjà cent fois effectuée. Se hissant aussi légèrement que possible sur la tranche supérieure de la porte du petit débarras, il s'en sert pour se hisser sur la première des poutres à sa portée. Et repousse ensuite la porte du bout du pied, refermant la pièce, camouflant ses traces.
Il prend le temps de s'imprégner de son environnement. Moins pressé maintenant qu'il est dissimulé dans les ombres du plafond. À moins de lever la tête, et il faut bien le reconnaître, personne ne se promène chez soi le nez en l'air. Il passera inaperçu. C'est exactement le moment où sa tenue de noir mat et ses cheveux charbon soigneusement repliés en un chignon serré prouvent leur utilité.
Le manoir dans lequel il s'est faufilé est somptueux. Riche à dégueuler, selon les critères du voleur. Riche comme il ne l'a encore jamais vu. Les murs de bois et de pierre moulés de fastueuses courbes, et d'élégants motifs géométriques attestent de la noblesse du lieu.
Mais Ghost sait que malgré tout cet étalage de fortune, cet endroit est daté. Les grosses poutres de chêne et d'acajou sur lesquelles il se tient ne sont qu'un vieux bois trahissant l'ancienneté de la bâtisse. Les plus riches des manoirs de High City bénéficient des dernières technologies mêlant pierre, verre et acier. Dans des défis techniques qui, sans bénéficier du savoir-faire ancien des Oubliés, arrivent à défier la gravité et ajoutent chaque année encore quelques mètres aux flèches dantesques de High City. Bien loin de la maison secondaire dans laquelle il se trouve et de ses contreforts balourds en comparaison.
Mais, il ne va pas faire la fine bouche pour autant, et commence à se déplacer prudemment, se coulant de poutres en poutres le long du couloir.
Les portes sont entrouvertes pour la plupart. Une chance.
Mais il ne trouve pas encore ce qu'il cherche. Il n'y a que des chambres dans ce coin. Et une grande salle d'eau à la baignoire enfoncée dans le sol, qui le laisse rêveur.
Faisant tout de même attention aux voix qu'il entend venir d'une des pièces allumées à l'autre bout du couloir, il décide de tout de même se glisser dans une des chambres. La plus grande.
Prenant garde à se laisser un couloir de sortie par une grande fenêtre donnant visiblement sur les jardins.
La chambre est organisée autour d'un grand lit à baldaquin. Il étouffe un soupir. À baldaquin... Non mais vraiment, quelle idée... À en juger par les formes des bijoux présents sur la coiffeuse de marbre, et vu la nature des étoffes sortant du placard, l'habitant principal de cette demeure est une femme.
Remplissant les poches des sacoches qu'il porte accrochées aux côtés de ses jambes de diverses breloques précieuses, parce qu'il ne va pas dire non à quelques richesses faciles pour la Guilde, il arrive à dresser un profil de cette femme.
Au vu de ses tenues... Plutôt de taille moyenne, fine, et probablement moins de trente ans. Sa garde robe est plus fastueuse que prévue, bien plus que Keepers Streets ne doit en avoir l'habitude. Une des héritières Langley, donc... Il n'a pu constater que peu d'allées et venues dans cette maison lors de ses veilles. Les habitants se déplacent discrètement, et le voleur s'est plus attaché au schémas des trajets des domestiques qu'à ceux des propriétaires pour déterminer l'heure propice à son attaque. Au vu du manque d'étalage d'apparat vraiment fastueux des habitants de la maison, n'affichant ni berlines clinquantes ni soirées de gala, Ghost l'avait pensée occupée par de la famille lointaine du PrésiDuc. Pas par une de ses héritières en personne.
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La Ballade du Pont des Anges - Tome 1 - Nightingale
Fantasia(VOLUME 1 TERMINÉ.) (TW : violence morales et physiques, mentions d'abus sur mineurs, descriptions graphiques, slow burn.) Nightingale est doué, charmeur, il traîne derrière lui nombre de mystères, c'est le meilleur Ménestrel de tout Hillmoore. Gh...