(On y est. Le chapitre final du tome 1. Merci d'avoir suivi jusque là. Et le tome 2 est en finition d'écriture, et passe à la bêta en ce moment même. Je ne vous mettrai ici que la version achevée de l'histoire donc il se peut qu'il y ait un petit mois d'attente avant que je puisse commencer à vous livrer le tome 2. (qui comporte une trentaine de chapitre, lui, réparti en deux livres comme le tome 1.) )
(ENJOIE. et n'hésitez pas à me faire part de vos impressions quand au Candyman, et les mésaventures de Ghost et Night.)La cathédrale des vieux faubourgs, malgré la nuit tombée depuis plusieurs heures enserrant l'édifice dans un cortège d'ombres tortueuses, n'offre pas de réel camouflage à celui qui voudrait se dissimuler aux regards. Du moins, pas si on l'attaque de front.
Heureusement pour Ghost, certains vitraux ont été endommagés par le temps, et observant la façade, il trouve un pétale manquant sur le pourtour d'une de ces fleurs de pierres. Laissant un espace assez large pour laisser passer le voleur. Parfait. Sortant ses crampons et vérifiant bien qu'il n'est pas observé, il s'attaque rapidement à l'escalade de l'arc-boutant menant à cet interstice, ne désirant pas perdre sa cible des yeux trop longtemps. Il n'y a pas une minute que Nightingale est passé par la haute porte de pierre, et ce dernier a trop tendance à lui glisser entre les doigts pour que le voleur tente sa chance en l'attendant sagement à l'extérieur.
Ghost s'accroche aux volutes de pierres avec l'agilité d'un habitué, sans y penser, les yeux sur son objectif. Leste et vif comme un soupir.
Ces deux derniers jours, depuis que Luke l'a dégagé sans ménagement de l'entrepôt des Manteaux Bleus, le voleur a complètement perdu la trace des agissements du Ménestrel.
La veille, Night s'en est allé avant l'aube, selon les dires de Krit, qui dormait comme un bienheureux et n'a pas vu son maître disparaître. Muse et Luke manquaient également à l'appel, c'est d'autres Ménestrels qui se sont chargés de l'éducation de l'apprenti, un peu confus par l'absence de ses mentors habituels.
Arrivant près de la rosace usée, le voleur prend garde à ne pas arracher ni ses vêtements ni sa peau sur l'antique ouvrage de verre, se faufilant à l'intérieur de l'édifice avec quelques contorsions.
Ses yeux mettant quelques secondes à s'habituer à l'obscurité du lieu, seulement éclairé de quelques bougies déposées au pied de la grande statue et le long des allées par quelques croyants zélés.
Dispersant une lumière diffuse et tanguante, donnant à chaque ombre des airs de théâtres de papier.
Il ne lui faut pas bien plus longtemps pour trouver Nightingale. Ne cherchant pas à se cacher, le Ménestrel est debout devant l'autel, les mains jointes sur sa poitrine... Il prie ?
Ghost a passé assez de temps sous la houlette des religieux pour avoir compris que les cieux sont vides aux appels des hommes... Mais la dévotion dont le Ménestrel semble faire preuve envers ses idoles figées l'a toujours interpellé. Pour le voleur, la foi est affaire de contrôle, pas de divin...
Même si, la mélopée légère qui s'élève de la silhouette de Nightingale, enchâssée dans ce sanctuaire pavé de flammes, pourrait presque lui faire croire que les dieux, s'ils existent, n'ont pas tout à fait délaissé Hillmoore...
Le voleur plisse les yeux, cherchant à trouver où atterrir pour pénétrer lui aussi dans la cathédrale, et avoir une meilleure vue sur sa cible.
Il décide finalement de se laisser glisser le long du mur, pour rejoindre souplement une coursive de pierres quelques mètres en contrebas. Restant dissimulé, il peut entr'apercevoir par les piliers de la balustrade, la silhouette du barde, son ombre démultipliée derrière lui par les lueurs des bougies, frémissantes comme le voile noir d'une flamme trop vite soufflée, glissant le long des marbrures du sol et les flétrissures de colonnes.
Ghost l'observe, de loin. Se demandant, encore une fois, ce qui se trame dans la vie de Nightingale.
Quand il est réapparu en ville, en début d'après-midi, après sa journée d'absence, les guetteurs de la Guilde des Voleurs ont rapidement mit leur Premier Maître au courant des agissements du Ménestrel. Que Ghost n'a pas tardé à retrouver, sur une place, en train de chanter une nouvelle chanson. Une orchestration complète sortant de son hexadisque.
Le voleur, en plus de ses questions sur la disparition du Barde, a été doublement intrigué par cette nouvelle composition. Un chant révolté, un appel à la rébellion, à la libération du peuple envers la tyrannie, tout ça en se servant à nouveau de la figure de cet Embers... Ce qui a pincé le cœur de Ghost d'une manière bien traîtresse....
Mais ce qui a ajouté à sa perplexité, c'est la réaction de l'auditoire. Night a passé l'après-midi à aller de places en places, jouant à chat avec une Garde de plus en plus fatiguée de ses simagrées pour diffuser cette chanson, et à chaque fois...
Les badauds, les marchands, travailleurs, gens de peu et gens de rien, qui écoutaient ces paroles finissaient immanquablement par les scander en chœur, levant le poing sur le refrain...
Les braises d'un avenir au bout de nos bras
Car nous sommes une seul voix,
Celle du peuple qui marche dans tes pas
Celle du peuple qui ne se rend pas
Tout un programme...
Ghost a suivi Nightingale, lui collant au train tout au long de cette journée. Sans se faire voir. Fidèle à sa promesse faite à Copper, mais également dans le but de se sauvegarder.
La présence du Ménestrel lui fait mal. Le blesse à des endroits tendres de son âme. Des replis tout neufs de son être, ignorés jusqu'à là, mais qui se réveillent pour hurler. Hurler leur manque, leur doute, leur envie urgente, leur besoin de faire quelque chose, n'importe quoi, tout pour que ces impulsions urgentes s'arrêtent enfin, que ça cesse...
Le voleur s'est mêlé aux recoins de la rue, invisible. Surveille de loin, sans s'impliquer. Sa loyauté tiraillée par l'envie de tout dévoiler au Ménestrel... Dévoiler des secrets qui ne lui appartiennent pas, sur la Guilde, sur les soupçons portés à son encontre... Afin de le tester, de savoir ce qu'il pourrait bien avoir à en dire...
Rien que de le contempler, là, priant, sans son manteau, tout vêtu des vêtements noirs qu'il a emprunté à l'entrepôt un peu plus tôt... Ghost sent sa cage thoracique sombrer doucement, emporté par un écheveau de sentiments opaques, jusque dans les tréfonds d'une dévotion dont il sait ne jamais pouvoir revenir.
Il y a des gens qu'il est trop facile d'aimer... Et Nightingale... Nightingale est un de ceux-là.
Le barde prie dans la langue de son peuple, tandis que Ghost s'approche, sans qu'un souffle ne trahisse le glissement de ses pas le long de la balustrade.
Bien sûr que quelque chose se trame, le voleur n'est pas stupide. Night est lié aux ThreeSix, les ThreeSix sont liés à la Haute, les Oubliés ont rejoint ce tableau auquel il manque trop de pièces...
Dissimulé derrière les volutes de pierre, le voleur observe le Ménestrel. L'entendant scander une mélopée incompréhensible aux accents sacrés, aux vibratos qui se répercutent en cascade sous ce plafond si haut...
Ils sont seuls, dans ce lieu. Minuit approche. À cette heure-ci, la Toute-Mère se prie chez soi, dans la sécurité de son foyer, pas dans les vieilles cathédrales... Mais Night continue sa solennelle messe solitaire, ses doigts passant à présent sur la vieille marque sur son poignet.
Avant de s'arrêter, et de prendre une grande inspiration, sous le regard curieux de Ghost, qui se penche un peu plus pour mieux l'observer.
"Tu pourrais tout aussi bien descendre de ton perchoir, pour me tenir ainsi compagnie. La dissimulation est dans ta nature, mais il n'y a rien que tu doives craindre. Ni en ce lieu, ni en ma présence..."
La phrase a résonné, vibrante, dans le silence de la cathédrale. Voix claire réverbérée par les voûtes innombrables croisées au-dessus de leurs têtes.
Le voleur se mord la lèvre inférieure.
Encore une fois, il a été découvert... Bien. Il pourrait s'enfuir, et prétendre que rien ne s'est jamais passé mais... Un certain esprit de bravade s'installe dans son esprit.
Après tout, que pourrait-il vraiment perdre de plus.
Il se relève, digne, alors que le Ménestrel le regarde par-dessus son épaule. Après avoir dispersé quelques brins de poussière fantôme de ses épaules pour se donner contenance, Ghost saute par-dessus la balustrade jusqu'à la nef, atterrissant non loin de Nightingale. So noble dans la simplicité de son costume noir, sous la main de la statue...
"Étrange lieu de rencontre," commence gentiment le Barde, se détournant pour fixer les bougies du regard. "Mais j'espérais bien te trouver avant que la nuit ne soit trop avancée."
"Et bien me voilà," le voleur, les bras croisés, ne s'approche pas trop près, contemplant les lueurs moirées des petites flammes dessiner une myriade d'expressions contraires sur le profil de Nightingale. Qui lui jette un coup d'œil rapide.
"Tellement de rides que le sérieux dessine sur ton front, voleur..." Il a un sourire un peu triste. "Tu traînes la mine des mauvais jours depuis assez longtemps que je ne me souvienne pas t'avoir déjà vu sourire..."
Ghost se mord l'intérieur de la bouche. Ces paroles trop douces rongent ses plaies d'une amertume salée.
"Je vois pas ce que ça peut bien te foutre," lâche-t-il, avant d'avoir réfléchi.
Le Ménestrel secoue la tête, levant ses yeux vers le visage souverain de la statue.
"Ah, la vulgarité s'ajoute à la liste des fléaux de ton humeur déclinante," note-t-il, sans animosité. "Me diras-tu enfin ce que j'ai fait, selon toi, pour mériter ce total désamour ou attends-tu que je le devine ?"
Ghost sent des frissons, semblable à des milliers de fourmis furieuses, passer sous sa peau. Des frissons de colère. Et de désespoir.
"Tu n'as rien fait," ment-il. "Tu es fidèle à toi-même. Je n'en attendais rien de plus."
Et que pourrait-il dire ? Parler du Creux du Jour ? Et de cette amante aperçue à travers une fenêtre ? Night n'a jamais jugé bon de l'évoquer, probablement pour une bonne raison.
Le Ménestrel lève les sourcils, se tournant vers lui. Il n'a pas l'air surpris, simplement dans l'expectative. Scrutant le voleur comme s'il cherchait à lire ses secrets dans les méplats de son visage.
"Paroles bien venimeuses," dit-il doucement, "hors de l'ourlet d'une telle bouche. Dangereuse combinaison..."
Le voleur n'en peut plus. Il ronge son frein depuis trop de temps pour ne pas avoir envie de mettre un terme à cette mascarade de séduction.
"Mais pour qui est-ce que tu me prends ?" Il s'approche de Nightingale, levant la main en signe d'agacement, "Tu penses que tu peux me jeter ce genre de choses au visage, avec ton air enjôleur de barde des bas-fonds ? Tu m'as pris pour une de ces petites choses faciles de ton public, que tu peux enrouler autour de ton doigt ?"
Le Ménestrel penche la tête, dans une attitude à présent si familière que Ghost l'impression que chacune des gestes de cet homme s'est définitivement gravée sous ses paupières.
"Oh," souffle-t-il, sans colère, un brin chagrin, "Alors c'est là tout ce que tu penses de mon humble personne ? C'est donc toute l'opinion que tu as de moi ? Enjôleur des bas-fonds..." Il étouffe un rire sans joie. "La formule est accrocheuse."
Ghost reste planté là quelques instants, désarçonné par cette attitude distante. S'attendant à une réaction, à... quelque chose. De la colère ? Des réponses ?
"Tu pourrais au moins prétendre en avoir quelque chose à foutre," lâche-t-il, en désespoir de cause. "Mais les gens ne comptent pas pour toi, c'est ça ? Copper et Merv avaient raison, tu utilises les autres pour ton propre bénéfice..."
Ces paroles semblent enfin toucher le Ménestrel, parce qu'il fronce légèrement les sourcils, son visage de plus en plus triste et perplexe, avant de se rapprocher du voleur. Un ou deux pas seulement les séparant à présent. Si près que Ghost sent sa peau réclamer plus...
"Si tu as quelque chose à me reprocher," déclare Night, plus fort. Ses mots résonnant haut dans la nef solitaire, "Fais-le donc franchement. Dis-moi pourquoi depuis des jours tu me regardes comme si j'avais levé la main sur ton frère ou brûlé ta maison."
Ghost serre les dents.
"Je ne devrais pas avoir à me donner la peine de te parler," lâche-t-il, venimeux, faisant encore un pas vers le Ménestrel, incapable de s'en empêcher, déguisant son envie en repoussant le barde du bout des doigts, comme on repousserait un chat galeux, "Tu es comme tous ceux que les gens admirent trop. Décevant. Une façade. L'étendard pourri d'une illusion de grandeur."
Le geste a légèrement désarçonné le Ménestrel, qui fait un pas en arrière, baissant la tête.
"Le chagrin te rend poète," soupire-t-il. "Je connais bien, je pratique moi-même. Je gagne ma vie de mes tourments. Mais..." Il passe une main sur son visage. "Je ne pensais pas que tes petites découvertes à mon égard te toucheraient autant. Pourquoi ?"
Ghost s'arrête. Interdit. Ne comprenant pas le sens de cette phrase.
"Pourquoi quoi ?" demande-t-il, suspicieux. "Qu'est-ce que tu crois savoir ?"
Nightingale inspire profondément, semblant se préparer à une discussion difficile, et se détourne de nouveau pour contempler la statue aux traits distordus par les ombres vacillantes.
"Tu me suis," explique-t-il. "Le soir, le jour, tu me suis comme mon ombre. Je le sais depuis longtemps. Mais je ne pensais pas que tu m'espionnais de si près..."
Le voleur croise les bras, ne sachant pas quels tournants cette situation improbable est en train d'emprunter.
"Tu as vu avec qui tu frayes ?" demande-t-il. "Tu as vu ce que tu risques ? Tous les jours ? Je ne sais pas ce que tu fais, mais c'est dangereux. Pour nous. Pour toi. Pour tout le monde."
Le Ménestrel étouffe un sourire, les yeux fixés sur la statue.
"Je te remercie de ta sollicitude, et de te soucier de ma santé..." Il prend une grande inspiration, concentré. "Néanmoins tu t'es laissé prendre à ton propre jeu, en t'attachant d'aussi près à mes pas, je le crains. Ainsi qu'à une cascade de conclusions hâtives, si je ne m'abuse."
Le voleur ouvre la bouche, perplexe.
"Mais de quoi tu parles ?" demande-t-il, sentant son cœur battre avec force, faisant vibrer ses clavicules.
Nightingale tourne lentement son visage vers lui.
"Qu'est-ce que tu as cru voir, l'autre matin, quand, me prenant en filature comme à ton habitude, tu m'as vu entrer au Creux du Jour ?"
Ghost ouvre des yeux ronds, esquissant un mouvement de recul. Se sentant pris au piège. Comment est-ce que Night est au courant ? Personne ne le sait. Personne ne sait ce qu'il a vu... À part... Oh...
"Contrairement à toi," le Ménestrel lui fait à complètement face à présent, gardant une expression distante malgré l'évidente tristesse sur ses traits, Ghost maudissant ce corps qui le pousse à vouloir s'approcher toujours plus ..."Ton frère et confident me fait une confiance aveugle. Et je l'en remercie. C'est lui qui m'a rapporté les raisons de ta colère. Et il ne t'a pas trahi, je t'assure, il nourrit simplement une grande inquiétude à ton égard. Il ne m'a dévoilé aucun détail. Alors..." Il fait un autre pas vers le voleur, qui retient un nouveau mouvement de repli, "Dis-moi, qu'est-ce que tu as cru voir qui t'entraîne à me haïr si fort ?"
Ghost respire lourdement. Il est découvert. Mis à nu.
Et malgré l'inconfort que lui procure cette sensation, il l'accueille néanmoins avec un certain soulagement. Au moins, maintenant... Il n'a plus à se cacher.
Décidant d'en profiter pour exposer des griefs qui ne sont pas totalement justifiés, n'ayant pas le droit de se prétendre si jaloux, il commence avec prudence.
"Je t'ai vu aller là-bas, la patronne te connaissait."
Nightingale hoche la tête, scrutant Ghost de ses yeux d'or. Il attend quelque chose, son visage trahit une certaine nervosité que le voleur ne comprend pas.
"Kristal," explique-t-il, d'une voix vibrant de tension légère, "Oui, nos rapports n'ont pas commencé sous les meilleurs auspices, mais maintenant nous sommes bons amis..."
"Pourquoi est-ce que..." Le voleur allait demander comment un Ménestrel s'est retrouvé complice d'une Protectrice de maison rouge, mais il se retient. "Bref. Je t'ai..." Il expire lentement, fermant son poing contre sa cuisse, enfonçant ses ongles dans sa paume. "Je t'ai vu entrer dans la chambre d'une courtisane de très haut rang. Qui s'est levé pour toi, et ne t'a pas fait attendre."
Il ne rate pas la manière dont le Ménestrel se tend légèrement vers lui, tout le haut de son corps semblant vouloir se rapprocher du voleur, mais ses jambes demeurantes obstinément plantées dans le marbre.
"J'étais attendu," explique-t-il succinctement, sans élaborer. Ses yeux cherchant sur les traits du voleur, scrutant, analysant... Ghost sent ce regard lui brûler la peau... Il voudrait que ça cesse, il voudrait plus... Son âme balançant entre ces deux désirs contraires, sans pouvoir les départager, le clouant sur place.
"Tu étais attendu..." répète-t-il.
"Tu l'as toi-même constaté," souffle Night, tendu comme une des cordes de sa guitare élimée, "Et tu as cru voir d'autres choses..."
Le voleur se mord la lèvre. Cette conversation le mettant au martyre. Qu'est-ce que le Ménestrel cherche ? À le torturer ? Sa souffrance n'est-elle pas déjà visible ?
"Finissons-en," sa voix est devenue rauque sous son effort pour ne pas tomber sur le sol et supplier Night de l'achever, de mettre fin à cette peine qui le dévore tout entier, à cette envie qui met sa peau à vif. "Je l'ai vu se jeter dans tes bras."
Le Ménestrel inspire, expire lentement.
"Oui, je me souviens de cette partie," explique-t-il, ses pieds esquissant un pas vers Ghost. "Et ensuite ?"
Le voleur ouvre les mains en signe d'impuissance. Persuadé à présent que Nightingale se moque de lui.
"Quoi, ensuite ?" Il hait la manière dont sa voix semble implorer, mais se sent lentement lâcher prise, ses paupières brûlant d'une frustration salée. "Rien, ensuite, t'es malade ! Je n'allais pas rester devant la fenêtre pour rédiger un essai sur ce mémorable événement ! Rien, ensuite ! Je suis parti !"
Nightingale pousse un grand soupir, tout son corps semblant se relâcher. Et il se rapproche du voleur. Presque assez pour le toucher.
Ghost se refuse à reculer, la vibration de son corps répondant à la présence en face de lui, qui l'englobe totalement, qu'il sent si proche. Interdite.
"Donc, tu n'as rien vu..." Souffle Night, plantant ses yeux d'or dans les siens. "Tu m'as épié entrer dans une chambre, prendre une personne dans mes bras, et..."
"Qu'est-ce que tu voulais que je voie de plus ?" Ghost n'en peut plus, et fait un pas en arrière, éloignant cette tension qui l'empêche de réfléchir, ne souhaitant pas continuer plus avant cette discussion stérile. "C'est quoi le plan," grogne-t-il, croissant les bras, "Tu donnes dans l'exhibitionnisme en plus de payer pour de la compagnie ?"
"Je cherche à comprendre." Le Ménestrel, passant une main dans ses cheveux, va s'asseoir lentement aux pieds de la statue, au milieu des bougies. "Quel est pour toi le problème ? Que tu imagines que je paie un humain pour son travail ? C'est la prostitution le souci ?"
Le voleur a l'impression de marcher sur la tête.
"Mais qu'est-ce que..." Il renifle, dépité. "Ne sois pas grossier. Il n'y a aucun mal à faire ce travail."
"Alors quoi ?" Nightingale pose ses coudes sur ses genoux repliés. "Ce sont les clients qui déclenchent ton ire ? Le métier oui, mais pas les acheteurs ?"
Ghost ouvre la bouche. La referme. Il ne comprend pas. N'a aucune idée de ce qui est en train de se passer.
"Qu'est-ce que tu essaies de me faire dire ?" demande-t-il, en désespoir de cause, agrippant sa surchemise pour la serrer à l'endroit où le fracas entre ses côtes se fait trop douloureux.
Le Ménestrel le fixe, de longues secondes, l'or de ses pupilles se teintant d'un voile brillant.
"Ce qui te pose problème," demande-t-il, "C'est que tu me penses le client d'une catin ? Que je profite à tes yeux du système des bordels ? Comme certains qui trouvent indigne de payer pour les charmes vendus dans les maisons rouges ? Ou bien que ce soit moi, précisément, qui aille rechercher cette compagnie ?"
"Il n'y a aucune différence..." lâche le voleur, massant sa poitrine à travers sa chemise, réprimant une grimace de douleur. Il pourrait fuir cette conversation... S'en aller à toutes jambes...
Mais une fascination morbide l'en empêche.
"Il y en a une," répond Nightingale, siégeant au milieu des bougies sous la main de la Toute-Mère de pierre, semblant ne faire qu'un avec la cathédrale, semblable à un esprit de l'ancien temps. "Il y en a une grande. Tu me vois prendre une personne dans mes bras sans aucun contexte, et pendant des jours, je te retrouve à me jeter des dagues du regard sans que tu daignes cependant me lâcher d'une semelle, en jetant l'ombrage de ta colère dans mon sillage. Je veux savoir pourquoi."
"Navré pour ta réputation de rayon de soleil," renifle Ghost, ses bras serrés contre lui, jetant un oeil vers la travée qui mène à la sortie. "Tu sais pourquoi. Ne joue pas au plus malin."
Parce que, pour s'amuser comme ça avec ses nerfs, sûrement que Nightingale est au courant. Il l'a percé à jour, connaît son inclinaison, n'est-ce pas ?
Le Ménestrel se lève doucement, faisant quelques pas vers lui, alors que le voleur regarde de plus en plus vers la porte de la cathédrale.
"Non," sa voix ressemble à une plainte. "Non, je ne sais rien, et toi non plus. Tu tires des conclusions hâtives qui te font mal sans rien m'en dire. Et je ne peux pas t'aider."
Le voleur resserre encore ses bras contre sa poitrine. Refusant de reculer, mais ne pouvant s'empêcher de montrer les dents.
"La dernière chose que je veux de toi, c'est ton aide," siffle-t-il alors que Nightingale avance sa main vers lui. "Ne me touche pas..."
Le Ménestrel secoue la tête, faisant encore un pas, la distance entre eux s'effaçant pour qu'il leur suffise de tendre le bras pour se toucher.
Le voleur serre le poing, son souffle court dans sa poitrine.
"Ghost..." Tente d'apaiser Nightingale, approchant ses doigts, lentement.
Dans la mémoire du voleur, un flash de cette nuit, près du Pont des Anges, quand il était derrière la caisse et que cet éclat de tendresse, cette main tendue, avait traversé son brouillard.
"Approche moi," sa respiration est si lourde, "approche toi, et je te frappe..."
Son poing tremble à son côté.
La paume tendue vers lui se fige, les yeux d'or le regardent, à travers le rideau de cheveux noirs. Tout le corps de Ghost se tend, supplie...
"Ghost... Jimmy..." souffle Night.
Le voleur ferme les yeux, serrant les dents. C'est trop...
"Je te préviens," ses menaces sont vides, ils le savent tous les deux, "je vais le faire..."
"C'est ma soeur."
Il rouvre les paupières subitement. Hébété par ces paroles inattendues.
"Quoi ? De... Quoi ? De quoi est-ce que tu..." Il balbutie, interdit.
"La courtisane," le Ménestrel a une voix douce, si douce qu'elle en paraît violente, "Au Creux du Jour. Celle que j'ai prise dans mes bras. C'est Comet, ma petite sœur..."
"Petite... Soeur..."
"Je ne te l'ai pas dit plus tôt, parce que je voulais comprendre," explique Night, désolé. "je suis navré d'avoir utilisé cette information contre toi, mais ton mutisme me.... Ne me facilite pas la tâche. S'il te plaît..."
Ghost recule contre le mur le plus proche contre lequel il puisse s'appuyer. Allant chercher dans le réconfort de la pierre froide contre laquelle il appuie son front de quoi poser les poids du chaos s'ébattant sous son crâne.
Ses deux paumes sur les blocs de calcaire, il contemple ses pieds, sa poitrine se calmant doucement.
Il avait tout faux... Tout faux depuis le début... Encore.
Il aura suffi d'une vision, d'une incompréhension pour le faire douter... Bon sang... Il se savait déjà parti corps et bien pour Night, mais là...
Sa sœur...
"Tu ne parles jamais d'elle," souffle-t-il.
"Tu n'es pas le seul à avoir des choses à protéger..."
VOUS LISEZ
La Ballade du Pont des Anges - Tome 1 - Nightingale
Fantastik(VOLUME 1 TERMINÉ.) (TW : violence morales et physiques, mentions d'abus sur mineurs, descriptions graphiques, slow burn.) Nightingale est doué, charmeur, il traîne derrière lui nombre de mystères, c'est le meilleur Ménestrel de tout Hillmoore. Gh...