03. Chemin

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Em se réveilla en sentant l'odeur chaleureuse des pancakes, et son estomac gargouilla bruyamment en réponse. Un instant désorienté, il se demanda où il se trouvait avant de se rappeler le trajet interminable jusqu'à Birdtown, et la désagréable surprise de découvrir quelqu'un déjà installé dans la maison. Désormais, après une bonne nuit de sommeil et avec la lumière pâle d'un jour sans pluie, il se sentait de meilleure humeur. Un coup d'œil à son portable lui apprit qu'il était presque dix heures, et il s'empressa de bondir hors du lit pour enfiler un sweat avant de sortir de la chambre.

Son colocataire imprévu se trouvait dans la cuisine, occupé à faire cuire les pancakes, une tasse fumante posée à côté de lui sur le comptoir. À la lumière du jour, Em put mieux l'observer et il peina à réprimer son sourire. Wes était sacrément grand, et tout mince. Ses cheveux étaient désormais coiffés avec soin en un petit death hawk bleu et noir, et il s'était habillé dans un style qu'Em ne pouvait que décrire comme «gothique cowboy». Il ne savait même pas que ça existait, mais à présent qu'il avait sous les yeux un type grand et mince vêtu d'un jean noir taille haute rentré dans des santiags noires à motifs argentés, avec une ample chemise tout aussi sombre, il regrettait de ne pas l'avoir découvert plus tôt.

— Oh, bonjour ! s'exclama Wes en l'apercevant. J'ai presque fini les pancakes, il y a de l'eau chaude si tu veux te faire un thé ou un café en attendant.

— Merci, répondit-il avant de s'approcher. Tu as préparé le petit déjeuner pour nous deux ?

Désormais, il pouvait voir le visage de Wes, dont la peau était plus sombre que la sienne. À la forme haute de ses pommettes et la ligne de son nez, Em était prêt à parier qu'il avait du sang amérindien dans les veines, ce qui lui conférait un charme presque sauvage, tout à fait assorti à sa tenue. En ajoutant à cela l'air timide qu'il arborait, on obtenait un type vraiment mignon, aux antipodes du gars flippant qu'il aurait pu être.

— Ça me paraissait être la bonne chose à faire, expliqua Wes. Vu que j'étais réveillé, j'avais le temps de préparer la pâte et je me suis dit que tu aurais faim en te réveillant...

— C'est très gentil, merci. Tu as mangé ?

— Non pas encore, je t'attendais. On pourra discuter de la situation en mangeant, j'imagine qu'on peut déjà essayer d'appeler le propriétaire...

Il semblait un peu découragé, ou très fatigué, ce qui attira l'attention d'Em sur les cernes qui soulignaient ses yeux sombres. Un trait d'eye-liner rendait les choses intéressantes, mais pas suffisamment pour dissimuler ces marques d'épuisement.

— Tu as mal dormi ? demanda-t-il à tout hasard en se rappelant vaguement ses mots de la veille.

— Ça allait au départ, avoua Wes, mais ça s'est gâté sur le matin. Je ne sais pas à quoi c'est dû, le lit n'est pas mauvais ni rien, mais je n'ai pas passé une seule nuit correcte depuis que je suis arrivé ici. D'habitude je ne fais pas autant de cauchemars, en plus. Je crois que c'est la maison qui me met mal à l'aise.

Un frisson désagréable secoua Em qui remonta le col de son sweat tout en s'affairant à mettre le couvert pour leur petit déjeuner. La maison ne lui avait pas paru particulière, mais il n'était arrivé que tard dans la nuit, et si fatigué qu'il avait dormi comme une souche jusqu'au matin. Wes était là depuis plus longtemps, il avait sûrement eu le temps de mieux se familiariser avec les lieux.

— Tu te rappelles tes cauchemars ? hasarda-t-il. Ils sont liés à la maison ?

— C'est en partie ça qui me soucie, je me réveille en sursaut, en sueur, une fois en hurlant, et je n'ai aucun souvenir de ce qui m'a fait peur. Juste la sensation que j'essayais de fuir quelque chose, mais je n'ai pas la moindre idée de ce que c'est. Enfin peu importe, ça va sûrement finir par s'arranger. Et puis si ça se trouve, je ne vais pas dormir là cette nuit...

— Pourquoi ça ?

Avant de répondre, Wes retourna le dernier pancake puis coupa sous la poêle avant d'apporter l'assiette sur la table qu'Em finissait d'installer.

— Eh bien nous allons appeler le propriétaire, pas vrai ? Il va sûrement décider lequel de nous deux est légitime dans sa réservation et restera jusqu'à la date indiquée. Si c'est toi, eh bien je ne dormirai pas là ce soir.

— Oh, ouais, logique.

Il y eut un vague moment de flottement, le temps qu'ils s'installent pour manger, et Em fut incapable de retenir l'exclamation de plaisir qui lui échappa en prenant une première bouchée de pancakes.

— Ils sont super bons ! Mec si tu cuisines comme ça, je vote pour partager la maison et tant pis pour nos réservations !

Cela tira un petit rire à Wes dont les joues rosirent un peu, atténuant son air si fatigué. Ils se retrouvèrent vite à discuter de tout et de rien, et à expliquer pourquoi ils se trouvaient à Birdtown. Wes était en fait invité par son cousin, Sal, qui organisait une sorte de grosse fête costumée pour Halloween mais ne pouvait pas héberger tout le monde. Pour sa part, Em était là pour le travail, ce qui le mena à expliquer un peu ce qu'il faisait.

— Je bosse dans la signalétique, et je fais une étude sur la résistance des panneaux aux catastrophes naturelles. Je suis là pour deux semaines, pour arpenter tous les chemins, toutes les routes et tout ce qu'il y a entre les deux, afin de voir ce qui résiste aux tornades, et ce qui a le potentiel de devenir une arme de destruction massive au premier coup de vent.

Wes, pour sa part, venait de quitter son job et voyageait avec sa prime de licenciement. Il ne semblait pas avoir tellement envie d'en parler, alors ils finirent par passer aux choses sérieuses et tenter d'appeler le propriétaire de la maison. Sans succès.

— Trop bizarre, ça ne sonne même pas ! s'agaça Em. Je tombe directement sur le répondeur, qui n'a même pas de message personnalisé !

— Je vais essayer de contacter Airbnb.

Ce fut presque pire, parce que la personne qu'il parvint à avoir après vingt minutes d'attente lui expliqua que l'adresse où ils se trouvaient n'était pas enregistrée sur leur site, qu'il n'y avait aucune annonce correspondant et, en gros, qu'il lui faisait perdre son temps.

— Eh bien, siffla doucement Wes après avoir raccroché. On dirait qu'on s'est salement fait avoir, tous les deux.

— Qu'est-ce qu'on fait alors ?

— Est-ce que ça te poserait problème de cohabiter ? Ce n'est que pour deux semaines à peine, et puisqu'on a payé tous les deux, autant loger là non ? Il y a deux chambres, on n'est même pas obligés de se côtoyer si on ne le veut pas.

Le regard rivé sur la tasse qu'il tenait entre ses mains, il marqua un temps d'arrêt avant de relever les yeux vers Em avec une expression presque suppliante.

— Et aussi... ça me rassurerait de ne pas rester seul ici. Cette maison me stresse vraiment, mais c'est mieux depuis que tu es arrivé. Juste savoir qu'il y a quelqu'un avec moi...

— Ça me va, trancha Em. Comme je disais tout à l'heure, si tu cuisines comme ça tous les jours, j'y gagne au change. Mais par contre, on va devoir faire des courses si on veut tenir quinze jours à deux.

Wes parut tellement rassuré qu'Em eut l'impression de le voir fondre sur sa chaise, ce qui était étrangement mignon. Son expression effrayée disparut, remplacée par l'air penaud qu'il avait un peu plus tôt.

— Je suis venu à moto, expliqua-t-il. J'ai bien peur que l'on doive utiliser ta voiture si on veut faire des courses. Surtout s'il se remet à pleuvoir.

— Deal, accepta Em en vidant sa tasse. Laisse-moi juste faire la vaisselle, et on y va.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant