17. Démon

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L'estomac douloureux et la bouche pleine du goût acide de la bile, Em s'essuya les lèvres avec sa manche, plus vraiment préoccupé par ce à quoi il devait ressembler à présent. En évitant soigneusement de regarder les deux cadavres, il revint auprès de Brandon et l'autre personne, qui s'était vaguement redressée. Même comme ça, impossible de déterminer son genre mais ce n'était pas comme si c'était important.

— Comment vous êtes arrivés là ? murmura Em en se laissant tomber près d'eux. Qu'est-ce que c'est que ce putain de bordel ? Qui sont ces malheureux ?

— J'ai voulu jeter un œil à la maison, avoua Brandon d'un air mécontent. Je voulais savoir un peu de quoi il retournait avant d'aller trouver le pasteur. Il n'a pas été difficile d'entrer dans le garage, mais sitôt dans la buanderie j'ai senti comme un... appel. Ça ressemblait à une invocation, et en même temps ce n'était pas précis du tout, comme... je ne sais même pas comment décrire ça en fait.

— C'est un appeau, indiqua leur camarade dans un filet de voix. Un piège à démons. Sitôt que tu es dans la zone d'influence, peu importe de quel royaume tu viens, tu es appelé. Les deux qui sont là... le premier était déjà mort quand je suis arrivé, mais je crois qu'il venait des Marches. L'autre était encore en vie, c'était une irae.

Son discours n'avait aucun sens pour Em, comme à peu près tout le reste d'ailleurs. Il avait envie de mettre ça sur le compte de sa migraine qui ne le lâchait pas, sans être sûr que cela expliquerait quoi que ce soit.

— Je ne comprends rien à ce que vous racontez, avoua-t-il en se frottant le front.

Une main froide et moite se posa doucement sur sa tempe, dans un geste presque médical, et ce fut comme si la brume obscurcissant son esprit se levait un peu. Il avait toujours terriblement mal à la tête, mais il lui semblait que réfléchir était devenu plus facile. Il cligna des yeux et réalisa que la lumière de la bougie s'étendait plus loin, suffisamment pour qu'il puisse mieux voir les deux autres. Quelque chose avait changé avec Brandon et il eut besoin de se concentrer pour réaliser que sa peau avait un drôle d'aspect. Un peu comme... de la pierre ? Il était allé en Italie avec ses parents une fois et ils avaient visité Pompéi, avec ses corps pétrifiés. C'était exactement à ça que Brandon lui faisait penser, à ceci près qu'il bougeait un peu et que ses yeux étaient... enflammés ? Dans un éclat de lucidité, il se rappela ce que Lucas avait dit la veille à propos de Sal qui avait réussi à invoquer un démon par accident, et la lumière se fit dans son cerveau éprouvé.

— Oh. Ouais. Cool. T'es carrément un démon. Normal.

— Et moi aussi, ajouta l'autre. Cauchemar, pour ma part. Je ne peux pas faire mieux pour ta tête, je n'ai plus assez de force.

Em en conclut que c'était de son fait s'il parvenait à penser un peu plus clairement et il exprima sa gratitude avec le sourire le plus reconnaissant qu'il parvint à fournir.

— Je vais faire comme si je comprenais tout ce que vous me racontez, dit-il ensuite. En tant que cauchemar, est-ce que c'est à toi que Wes doit ces rêves horribles qui l'ont tourmenté toutes les nuits qu'il a passées ici ?

— Oui, ça faisait des jours que j'appelais à l'aide sans que personne ne puisse m'entendre, parce que la maison était vide. Quand je l'ai senti, j'ai essayé de me glisser dans ses rêves pour l'atteindre, mais j'avais perdu trop de forces.

— Je vois... marmonna Em. C'est toi aussi qui as écrit le message sur le mur, tiré sur mes draps et qui nous as enfermés dans la chambre ?

Il avait parié sur des fantômes, mais puisque les démons étaient réels et qu'il était même en train de discuter avec deux d'entre eux, peut-être que c'était une hypothèse plus probable. Pourtant, il reçut un signe de tête négatif en réponse.

— C'était l'irae. Ce genre de trucs, ce n'est pas du tout mon domaine. Elle essayait de vous faire partir d'ici avant que vous ne soyez pris au piège.

— Mais nous ne sommes pas des démons ! protesta Em. Enfin moi je n'en suis pas un, et je suis presque sûr que Wes non plus !

Avec tout ça, il n'était pas certain d'être capable de bien digérer la nouvelle s'il apprenait que Wes n'était pas non plus ce qu'il semblait être. Face à lui, Brandon secoua doucement la tête, le visage sombre.

— Le piège qui nous a attrapés n'est pas le même que celui qui t'as attiré ici, expliqua-t-il. La personne qui est derrière tout ça ne veut pas seulement tuer des démons, des humains ont été piégés aussi. Je ne sais juste pas... pourquoi.

— De la nourriture, coupa le cauchemar. Nous sommes tous censés servir de nourriture au monstre qui rôde en bas. Il ne peut pas rentrer dans cette pièce, mais il sait que nous sommes là. Il a mangé les âmes des deux démons là-bas, et il aura sûrement les nôtres aussi avant de bouffer nos cadavres.

— Comme c'est encourageant, grinça Em. Il n'y a pas moyen de se tirer d'ici avant ? Enfin, j'imagine que si vous êtes toujours là c'est que vous ne pouvez pas partir...

Le regard que Brandon lui lança le fit un peu rosir avec l'impression d'être un petit malin, alors que les deux démons secouaient la tête avec des grimaces presque identiques.

— Le piège nous maintient dans cette pièce, expliqua Brandon. C'est comme un cercle d'invocation classique, il nous est impossible de le franchir à moins d'y être autorisés. Le seul point positif, c'est que ça nous garde hors de portée du monstre.

— Mais moi je peux sortir ? Vu que je suis pas un démon. Je peux peut-être essayer de trouver un moyen de briser ce... cercle ?

— Je ne pense pas que tu puisses y faire quoi que ce soit, malheureusement. Si l'invocateur est malin et prudent — et je suis prêt à parier qu'il l'est, puisqu'il ne s'est encore jamais fait prendre — alors le cercle sera difficile d'accès. Peut-être même inscrit dans les fondations de l'abri. Ce qu'il faudrait, c'est une puissance supérieure à la sienne, comme le pasteur Armando. Mais il n'est pas près de nous retrouver.

Sourcils froncés, Em se frotta le visage des deux mains sans se préoccuper d'étaler un peu plus le sang, la poussière et le vomi séché. La situation paraissait inextricable, et il n'avait même pas encore vu le monstre dont ils parlaient.

— Tout n'est peut-être pas perdu, dit-il en se forçant à rester optimiste. Avant de tomber dans l'escalier, j'ai eu Sal au téléphone par le biais de ton portable. Il est en route avec Wes et le pasteur. À eux trois, ils vont bien finir par nous trouver, non ? Je veux dire, cet abri a beau être franchement chelou et beaucoup trop grand, ce n'est pas non plus un labyrinthe interminable. La preuve : je vous ai trouvés. Tout ce que nous avons à faire, c'est attendre qu'ils arrivent. Ça ne devrait pas être bien long maintenant.

— Tu oublies le monstre, objecta doucement le cauchemar.

À cet instant, des cris d'alarmes retentirent plus loin dans le couloir, immédiatement suivis d'un hurlement abominable qui n'avait rien d'humain, à faire dresser les cheveux sur la tête. Les yeux écarquillés, Em se rapprocha de ses deux camarades d'infortunes et s'accrocha à la main du cauchemar qui le serra en retour, l'air aussi terrifié que lui.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant