21. Chaînes

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Le trajet jusqu'à la maison de Sal fut très flou pour Em qui luttait pour ne pas s'évanouir. Cramponné à la portière, il ne cessait de jeter des regards dans les rétroviseurs, soit pour voir Brandon qui paraissait aussi mal en point que lui sur la banquette arrière, ou bien vérifier que Wes les suivait toujours. Heureusement, le trajet fut très court et Sal arrêta bientôt sa voiture devant la maison en laissant assez de place pour que Lucas puisse se garer derrière. Le temps qu'Em parvienne à détacher sa ceinture de sécurité avec ses doigts qui n'avaient plus la moindre force, Wes avait rangé sa moto et venait lui ouvrir doucement la portière. De l'autre côté, Sal faisait de même pour Brandon, ce qui fit culpabiliser Em parce qu'il n'avait pas de raison d'être en moins bon état que lui.

— Doucement, le retint Wes quand il tenta de se lever. Tu as reçu un mauvais choc à la tête, ne va pas trop vite. Tu ne devrais même pas être debout je crois.

Luttant contre la nausée qui tordait son estomac vide et la sensation que tout tournait autour de lui, Em se laissa hisser hors de la voiture, malgré tout bien content de pouvoir s'appuyer contre Wes. Les quelques mètres à franchir jusqu'à la maison lui parurent des kilomètres et il avait des points noirs devant les yeux lorsqu'il put enfin s'asseoir sur le canapé. Vaguement, il eut conscience de Wes qui lui retirait ses chaussures avant de l'aider à s'allonger en plaçant ses pieds en hauteur et il ferma les yeux de soulagement alors que sa migraine revenait de plus belle. Quand il les rouvrit, c'était le père de Sal qui se trouvait à son chevet.

— Comment tu te sens mon garçon ?

— Patraque. J'ai la tête qui tourne et l'impression qu'elle va s'ouvrir en deux.

Avec une grande délicatesse, l'homme dégagea la zone de choc sur le côté de sa tête, sa grimace n'augurant rien de bon.

— Tu m'étonnes que tu as mal, tu vas avoir une sacrée bosse. Pour le moment, il vaut mieux que tu restes un peu allongé. Je vais t'apporter un analgésique qui devrait soulager ta migraine. Quand tu te sentiras d'attaque, tu pourras prendre une douche et te changer.

— Je... ne suis pas sûr d'arriver à tenir debout pour ça.

Il avait l'impression que s'il restait à la verticale plus de quelques minutes, il allait s'effondrer. Mais d'un autre côté, il n'avait pas la moindre envie de passer plus de temps dans un état pareil, couvert de sang et de crasse.

— Peut-être que... hum... je peux t'aider ? offrit Wes.

Ses joues avaient pris une intéressante teinte de rouge, ce qui rendait sa proposition encore plus adorable. Pour le moment, Em se sentait vidé, misérable et très loin de chez lui. Au milieu de tout ça, Wes représentait une ancre à laquelle s'accrocher et une présence déjà familière et vraiment rassurante, sans parler de leur attirance mutuelle.

— Je veux bien, accepta-t-il sans honte. Si tu as la foi de t'occuper du bébé que je suis devenu, je ne vais certainement pas refuser ton aide.

Toutefois, avant d'en arriver là, il commença par prendre le cachet apporté par Corey et attendre que sa migraine diminue un peu. Un moment s'écoula avant qu'il ne se sente capable de se lever pour gagner la salle de bain, mais Wes ne quitta pas son chevet et l'accompagna jusqu'à la salle de bain. Plutôt que de parler de ce qui s'était passé dans le sous-sol de l'Airbnb, ils discutèrent de tout et de rien comme au premier jour, ce qui aida grandement Em à calmer ses nerfs éprouvés. Il serait bien temps, une fois qu'il n'aurait plus du tout mal à la tête et qu'il serait propre, d'aborder les sujets difficiles.

Compte-tenu de son état, la douche fut remarquablement sage. Wes l'aida à se déshabiller pour lui éviter d'avoir à se pencher, ses gestes doux et attentifs, et il se contenta de remonter les manches de sa chemise plutôt que de la retirer. Cela donna à Em un bel aperçu des tatouages sombres qui recouvraient ses avant-bras et il fut soulagé de n'en voir que si peu, parce qu'il n'était pas en état d'apprécier le spectacle à sa juste valeur. Bien sûr, Wes se montra aussi doux que toujours, attentif à nettoyer ses contusions sans appuyer dessus, et quand il coupa enfin l'eau pour lui tendre sa serviette, Em se sentait beaucoup, beaucoup mieux.

— Merci, souffla-t-il en se hissant sur la pointe des pieds pour embrasser Wes sur la joue. Pour tout en fait. Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré.

Cela le fit rougir, pour son plus grand amusement parce que Wes était encore plus séduisant avec un hâle sur ses joues aux angles bruts. Et puis Wes se pencha pour l'embrasser vraiment et ce fut à son tour de rougir jusqu'aux oreilles.

— Je peux dire la même chose, murmura-t-il contre ses lèvres. Tout à l'heure, rien que te savoir seul dans cette maison...

— Donne-moi ton numéro de téléphone ! coupa Em en s'en souvenant enfin. Mon portable est mort, mais je veux pouvoir t'appeler si jamais.

— Ah oui, à propos de ça... dans la panique, j'ai appelé ton entreprise pour avoir ton numéro. J'espère que ça ne te mettra pas dans les ennuis.

Connaissant sa supérieure, Em était prêt à parier que ça lui vaudrait surtout beaucoup de questions curieuses. Et c'était touchant de voir combien Wes avait été désespéré de le joindre. À sa place, il n'était pas sûr qu'il aurait été capable d'agir avec un minimum de réflexion, parce qu'il ne fonctionnait pas bien sous la panique.

— Quand ton téléphone se rallumera, tu pourras enregistrer mon numéro d'après les quinze appels manqués que tu auras reçus et les sms affolés.

Cela lui tira un petit rire et il se laissa aller à poser la tête contre l'épaule de Wes alors qu'ils quittaient la salle de bain pour revenir dans le salon. Le canapé avait été replié et le pasteur Armando y était assis aux côtés de Sal et Brandon qui avait déjà meilleure mine.

— Ah, vous voilà ! s'exclama le pasteur en les voyant arriver. Nous n'attendions plus que vous. Comment va ta tête Emory ?

— Mieux, grâce à Corey. Et ça fait du bien d'avoir pu prendre une douche.

— Tellement, acquiesça Brandon d'une voix rêveuse. Je me sens moi-même à nouveau.

Habitué des lieux, Wes rapprocha un fauteuil pour qu'Em puisse s'y asseoir et il s'installa sur le sol à côté de lui, si proche qu'Em pouvait sentir sa chaleur contre sa jambe. Une fois qu'ils furent tous installés, avec le père de Sal appuyé d'une épaule contre le mur et Charly en train de se pelotonner comme un petit chat à côté de Brandon, le pasteur se pencha en avant et commença à parler.

— Les pièges du sous-sol ont tous été désactivés. Le propriétaire est actuellement détenu au commissariat où il risque de passer un fort mauvais moment. Quant à son «ange», nous avons employé à bon escient les chaînes que Sal et Wesley ont trouvées là-bas. La créature est sous bonne garde au presbytère en attendant d'être identifiée et que l'on décide ce que nous allons en faire. Probablement l'anéantir, par sécurité. Ce genre d'abomination ne devrait jamais voir le jour.

— Comment allez-vous faire ça ? releva Em avec une sincère curiosité.

— Avec de l'acier infernal. C'est redoutablement efficace. Ou sinon avec une arme angélique, cela va dépendre de ce qui aura le résultat le plus rapide.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant