16. Ange

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En tournant dans la rue, Wes sentit son estomac se nouer à la vue de l'Airbnb devant lequel était toujours garée la Dodge bleue d'Em. Dans un freinage parfaitement contrôlé, le pasteur arrêta sa Camaro juste derrière tandis que Lucas et Kenny les rejoignaient en courant.

— Que se passe-t-il ? demanda Lucas aussitôt. Vous avez des nouvelles d'Em ?

Rapidement, avec une concision dont Wes se savait incapable, Sal résuma les dernières informations dont ils disposaient. Pendant ce temps, le pasteur avait ouvert le coffre de la voiture pour récupérer du matériel et Wes espéra qu'il avait l'équivalent spirituel d'un lance-roquette ou d'une mitrailleuse, parce qu'il ne voulait pas retourner dans cette maudite baraque secourir Em sans un minimum d'armement. Mais tout ce que le pasteur sortit fut une simple mallette de cuir comme celle des médecins autrefois.

— Vous deux, déclara-t-il en regardant Lucas et Kenny, vous allez rester là. J'ai besoin que vous montiez la garde discrètement. Si quelqu'un essaie d'entrer dans la maison, vous m'appelez ou vous m'envoyez un message, mais sans vous faire remarquer. Et si jamais on n'est pas ressorti dans... disons deux heures, vous appelez le presbytère pour avoir des renforts supplémentaires.

Comme des soldats affectés d'une mission spéciale, les deux hochèrent sérieusement la tête alors que le pasteur se tournait ensuite vers la maison.

— Je vais avoir besoin que tu me guides, Wesley, demanda-t-il doucement. Je sais que c'est difficile pour toi d'entrer dans cette maison, mais Emory et Brandon ont besoin de toi.

Avec une profonde inspiration, Wes acquiesça et carra les épaules en s'avançant vers la porte d'entrée. Preuve qu'Em était là, elle n'était pas verrouillée et s'ouvrit sans difficulté pour dévoiler l'intérieur parfaitement normal.

— Em ? appela-t-il prudemment. Em, est-ce que tu es là ?

Tout était absolument silencieux, presque trop, alors qu'il faisait rapidement le tour des pièces, Sal sur les talons. Il n'y avait aucune trace d'Em dans la partie habitation, ce qui ne pouvait que confirmer leurs craintes : il était au sous-sol. Revenant dans la cuisine, les deux cousins s'arrêtèrent pour regarder le pasteur inspecter le message inscrit sur le mur avec la sauce rouge.

— C'est définitivement l'oeuvre d'une force surnaturelle, commenta celui-ci. Mais ce n'est pas malveillant, plutôt un avertissement destiné à vous éloigner des lieux. Je me demande comment cette maison a pu passer inaperçue...

L'air pensif et les sourcils froncés, il se détourna pour ouvrir la porte du garage, précédant Wes et Sal qui le suivaient de près. La porte de la buanderie était grande ouverte et ils n'eurent pas à aller bien loin pour trouver le linge mouillé abandonné par terre avec les affaires d'Em.

— Il est descendu, murmura Wes d'une voix blanche. Quoi qu'il lui soit arrivé, je suis sûr qu'il est en bas. Et je ne vais certainement pas l'y laisser !

La terreur malsaine que lui évoquait le sous-sol était en train de perdre la bataille contre l'angoisse qu'il soit arrivé quelque chose de grave à Em, et il posa la main sur la poignée pour ouvrir la porte. Enfin, essayer, parce qu'elle ne voulut pas bouger d'un millimètre. Exactement comme la porte de sa chambre la nuit où Em l'avait rejoint.

— C'est verrouillé ! gémit-il avec désespoir.

— Décale toi un peu, lui demanda le pasteur.

Wes s'attendait à une prière ou un peu d'eau bénite, quelque chose de foncièrement religieux pour lutter contre la force démoniaque qui maintenait la porte fermée. Il fut donc complètement pris au dépourvu lorsque l'homme donna un violent coup de pied près de la serrure, défonçant la porte sans effort.

— Je n'ai aucune patience pour ce genre de chose, décréta simplement le pasteur. Il en faudrait bien plus pour m'empêcher de passer. Mmh, je vois...

L'escalier s'enfonçait dans une obscurité si épaisse qu'on ne voyait pas au-delà des trois premières marches, même lorsque Sal alluma la lampe de son portable.

— Je me charge d'éclairer le chemin, indiqua le pasteur avec une sorte de satisfaction mauvaise dans la voix. Car Dieu a dit : « Que la lumière soit » !

La lampe torche qu'il tenait à la main, une lourde Maglite noire, projeta devant eux un vrai halo de lumière, assez puissant pour repousser les ténèbres jusqu'au bas de l'escalier. La lueur chaleureuse effaça une bonne partie de l'ambiance menaçante et Wes respirait plus librement alors qu'ils descendaient rapidement les marches de béton poussiéreux. Du moins, jusqu'à ce qu'ils arrivent tout en bas.

— Il y a du sang sur le sol, remarqua le pasteur.

Ce n'était pas une grande flaque, seulement quelques taches comme si quelqu'un avait saigné du nez, et Wes remarqua également un bout de papier qu'il ramassa pour le déchiffrer. C'était un ticket de caisse, qui correspondait aux courses faites avec Em le lendemain de son arrivée.

— Je pense qu'il est tombé dans l'escalier, réfléchit-il à voix haute. Il a dû se blesser dans sa chute, ce qui expliquerait le sang sur le sol et ces traces sur le mur.

À peu près à hauteur de son torse, une traînée sombre indiquait l'endroit où Em avait dû s'appuyer contre le mur pour se redresser. Il n'était pas vraiment expert, mais en se basant sur les empreintes de pas au sol, il était prêt à parier que son ami s'était déplacé tout seul.

— On dirait qu'il s'est aventuré plus loin dans le sous-terrain, ajouta Sal en se postant à côté de lui. Essaye de l'appeler ?

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, intervint le pasteur. Nous ne sommes pas seuls, et je préfère éviter d'attirer trop l'attention tant que je ne sais pas ce qui peut nous trouver ici. Mieux vaut explorer en silence, pièce après pièce.

Glacé, Wes hocha la tête en croisant le regard écarquillé de Sal, et ils se rangèrent prudemment derrière le pasteur qui ouvrait la voie, éclairant le couloir sale et poussiéreux avec sa torche surpuissante. D'un geste assuré, l'homme de Dieu poussa la première porte sur leur droite, révélant une sorte de bibliothèque. Deux murs étaient couverts de rayonnages bancals remplis de livres avec un pupitre pour lire à côté, et le sol était marqué par un vaste pentacle tracé à la craie. Des plumes abîmées parsemaient les lieux, comme dans le nid d'un oiseau, et l'odeur métallique du sang s'attardait dans l'air lourd de poussière.

— Qu'est-ce qui a été invoqué ? murmura Sal avec un frisson dans la voix.

Parce qu'il était le plus proche, Wes attrapa le livre posé sur le pupitre et tenta d'en déchiffrer le titre. C'était du latin, mais il en connaissait quelques bases pour avoir étudié la littérature ancienne, juste ce qu'il fallait pour comprendre le principal. D'autant plus avec les autres ouvrages qu'il pouvait apercevoir autour de lui et qui semblaient tous traiter du même sujet.

— Un... ange ? releva-t-il avec incrédulité. On dirait que la personne qui est derrière tout ça a voulu... faire appel à un ange pour détruire des démons...

— On peut invoquer un ange ? répéta Sal. Et il tuerait forcément des démons ?

Le pasteur jeta un bref regard au livre que tenait Wes avant de laisser échapper une série de mots en espagnol qui ressemblaient très fortement à des jurons.

— Bien sûr qu'on peut invoquer un ange, répliqua-t-il. Les rituels ne sont pas si différents que ceux des démons. Mais ce qui a été appelé ici... ce n'est certainement pas un ange. C'est ce qu'on appelle couramment un monstre, une abomination. Attention !

Vivement, il se retourna vers la porte et la lumière éclatante de sa torche dévoila brusquement la créature qui s'était glissée dans la pièce sans qu'ils ne la remarquent. Éblouie, elle se figea juste assez longtemps pour qu'ils puissent voir qu'elle était aussi grande que Wes, avec de vastes ailes grises déplumées et une peau aussi pâle que celle d'un cadavre. Même si son corps semblait à peu près humain, il était impossible de lui donner un genre et sa figure était bien davantage celle d'un prédateur, avec une bouche pleine de crocs jaunâtres qui s'ouvrit sur un cri épouvantable. Puis le monstre se ressaisit et bondit en avant, toutes griffes dehors.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant