L'Abri

22. Rêche

Si la réponse du pasteur paraissait évidente aux yeux de Sal, Brandon et Charly, Wes n'avait même pas besoin de jeter un regard à Em pour deviner qu'il était aussi perdu que lui. Jusqu'à ce matin, toutes ces histoires de démon leur étaient étrangères et Wes peinait encore à réaliser ce qui s'était vraiment passé dans le sous-sol. Son incertitude dut se lire sur son visage, parce que le pasteur lui offrit un petit sourire penaud.

— Toutes mes excuses, j'oubliais que vous n'étiez pas familiers de cet univers comme le sont ces jeunes gens. Je gage que vous devez avoir de nombreuses questions, aussi n'hésitez pas à les poser. Je ferai de mon mieux pour y répondre, mais vous pouvez également interroger Sal ou Brandon.

En vérité, Wes avait beaucoup de questions en tête, mais il savait exactement par laquelle il voulait commencer, ne serait-ce que pour essayer de comprendre tout ce qui s'était passé.

— Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui nous est arrivé dans la maison, depuis le début ? Mes cauchemars, les créatures qui nous ont suivis en voiture, ce qui a agressé Em en pleine nuit, le message sur le mur... Et aussi comment Em et Brandon se sont retrouvés piégés dans le sous-sol ?

— Tu as raison, acquiesça le pasteur. Le mieux que je puisse faire, c'est tout reprendre depuis le début et tâcher de tout vous expliquer. Charly, Brandon, je compte sur vous pour combler mes éventuelles lacunes.

Il attendit que les deux acquiescent avant de se redresser sur le canapé pour commencer ses explications, avec l'aisance d'un homme habitué à parler devant des gens.

— J'imagine que vous n'êtes pas sans savoir qu'il se passe des choses bizarres à Birdtown. L'année dernière, Sal est parvenu à invoquer un démon par accident, ce qui s'est heureusement bien terminé pour tout le monde puisque Brandon est assis parmi nous. Toutefois, ils ont également eu maille à partir avec un cauchemar affamé cet été, invoqué par un voyou qui se pensait plus malin que les autres. Nous avons réglé ça sans que quiconque soit blessé, mais ce n'est pas la seule chose qui est arrivée dans cette ville. Pour ma part, j'ai été nommé ici parce que je suis avant tout un exorciste, et l'un des meilleurs au monde.

Son ton factuel indiquait qu'il ne s'agissait pas d'orgueil mais d'une simple vérité et, compte tenu de ce qu'il l'avait vu faire dans le sous-sol, Wes était effectivement convaincu qu'il devait être extrêmement doué dans son travail.

— Charly nous a dit être un cauchemar, intervint timidement Em. Comme ce que vous avez croisé cet été ?

— Je pense que oui, acquiesça doucement Charly. À la différence que l'autre a mal été invoqué, ne savait probablement pas où il était, et devait mourir de faim. Cela a certainement diminué sa conscience pour le réduire à un prédateur désespéré de trouver de la nourriture. Je... je pense que si vous n'étiez pas venus nous sortir du sous-sol, j'aurais fini par devenir comme lui. Incapable de réfléchir, et une proie parfaite pour le monstre qui n'attendait que ça.

— Justement, reprit le pasteur, avant de parler de l'abomination, parlons de ce que vous avez vécu dans la maison avant d'essayer d'en partir, tous les deux.

En réalité, il s'avéra qu'Em était déjà au courant d'à peu près tout, puisqu'il avait parlé avec Brandon et Charly dans le sous-sol, mais Wes fut bizarrement soulagé de savoir que ses mauvais rêves étaient en fait causés par une force extérieure et qu'il n'aurait plus jamais à les revivre.

— Je suis désolé de ne pas avoir compris ton message, grimaça-t-il en se tournant vers Charly. Nous aurions pu venir à ton secours bien plus tôt.

— Et vous vous seriez fait tuer comme d'autres avant vous, contra le pasteur. Charly et l'autre prisonnière ont essayé de vous protéger, sans y parvenir parce que leurs forces étaient déjà trop déclinantes. De ce que j'en comprends, les deux créatures que vous avez vues en voiture le premier jour étaient également destinées à vous effrayer pour que vous partiez.

— Je n'ai aucune idée de la forme qu'elles ont pris, ajouta Charly avec une pointe de curiosité. À quoi ressemblaient-elles ?

De son mieux, Wes tenta de les décrire et fut malgré lui un peu amusé de voir un air de fierté se peindre sur le visage du cauchemar.

— Un run-along et une sorte d'auto-stoppeur fantôme. Ça c'est intéressant... tu n'aimes pas trop les voitures, n'est-ce pas ?

— Disons qu'il y a une raison pour laquelle je conduis une moto, avoua-t-il. Mais avec Em au volant, je n'ai pas peur. C'était la première fois depuis longtemps que je me sentais à l'aise dans une voiture.

En réponse, il sentit la main de son ami se poser sur son épaule et il sourit en s'appuyant un peu plus contre sa jambe.

— Dans tous les cas, reprit le pasteur, cela n'a pas été assez fort pour vous effrayer durablement. C'est l'irae qui est parvenue à vous faire fuir, en puisant dans ses dernières forces avant d'être tuée. Nous devons encore travailler avec la police pour savoir qui est exactement Herbert Lurdlow, le propriétaire de la maison, mais il est évident que son affaire était bien rodée. La police va essayer de retrouver la liste de ses victimes humaines, tandis que je vais m'occuper des démons qui ont été pris au piège.

— Attendez... coupa Corey. Lurdlow, vous dites ? Le concessionnaire ?

— Lui-même. À ce qu'il semblerait, son affaire était particulièrement lucrative parce qu'il revendait les voitures de ses victimes comme occasions à des prix défiant toute concurrence.

— Je ne suis même pas surpris que ce soit lui, grinça Corey. C'est un connard de première, raciste et homophobe par-dessus le marché. Il ne vend ses voiture qu'aux gens de passage parce que plus personne en ville ne veut faire affaire avec lui. En même temps, à force de se comporter comme un enfoiré, ça finit par se savoir.

C'était probablement la première fois que Wes entendait son oncle, d'ordinaire si calme et si poli, employer des mots aussi violents. Mais il partageait tout à fait son sentiment, parce qu'il n'y avait pas de mot poli adapté pour parler d'un type comme Lurdlow.

— Ses victimes humaines étaient ciblées sur Internet, continua le pasteur. La police nous en dira plus, mais je suis prêt à parier que vous n'êtes pas les premiers à vous retrouver deux pour la même location. Quant aux démons qu'il a attirés dans son piège, la théorie de Brandon et Charly me semble justifiée, il y a certainement une sorte de cercle d'invocation dissimulé dans les fondations de l'abri. Je vais retourner inspecter ça de plus près avec Rodrigue pour le fermer une bonne fois pour toutes. Dieu seul sait combien de malheureux se sont retrouvés pris au pièges et donnés en pâture à l'abomination enfermée là-dessous.

— Justement, releva Em. C'était quoi exactement ce truc ?

— Un monstre, qui se nourrit des démons autant que des humains. Et probablement d'à peu près tout ce qui peut se manger, je dirais. Lurdlow s'imaginait avoir invoqué un ange, donc cette créature avait une apparence qui correspondait plus ou moins à ce qu'il souhaitait, sans rien avoir d'angélique.

Rien que se rappeler la voix rêche et perçante de l'abomination lorsqu'elle s'était jetée sur eux suffit à retourner l'estomac de Wes. Même s'il ne faisait plus jamais de mauvais rêves provoqués par un démon, il était certain de mal dormir pendant un moment, son sommeil hanté par les souvenirs de cette chose.