07. Goutter

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En plein milieu de la nuit, Em se réveilla avec un sursaut et s'assit, le cœur battant la chamade, essayant de comprendre ce qui l'avait tiré du sommeil. Un bref regard à son téléphone lui apprit qu'il n'était qu'à peine deux heures du matin et il grogna en se laissant retomber sur son oreiller. Il avait probablement fait un mauvais rêve à cause de ce qui leur était arrivé dans l'après-midi. Rien de bien surprenant.

Couché sur le ventre, il noua ses bras sous son oreiller et enfouit la tête dedans, avec l'espoir de bientôt se rendormir. C'est alors qu'un grincement en provenance du couloir attira son attention, le faisant tendre l'oreille. On aurait dit des bruits de pas, discrets, et il se rassura en songeant que Wes avait dû se lever pour aller boire un truc ou juste aller aux toilettes. Mais ce qui ne collait pas, c'est que les bruits semblèrent s'arrêter juste devant sa chambre, et la porte s'ouvrit doucement. Cette fois plutôt intrigué, Em fit attention à ne pas bouger et à donner l'impression qu'il dormait, curieux de savoir ce que Wes voulait faire.

Peut-être qu'il avait fait un autre cauchemar et avait besoin d'être rassuré, ou bien il y avait un souci avec la maison comme une fuite dans les toilettes et il venait demander de l'aide. Ou alors, et Em ne savait pas s'il l'espérait ou non, c'était une tentative d'approche plus ou moins subtile. Après leur soirée vraiment agréable, il commençait à sincèrement apprécier Wes et il n'était pas impossible que celui-ci ait surpris ses regards parfois trop appuyés. Il se demandait seulement comment il allait réagir si Wes tentait de se glisser dans son lit. Cela dépendrait sûrement de son approche, mais l'idée ne le repoussait pas le moins du monde.

Du moins jusqu'à ce que ses draps soient violemment arrachés, sans le moindre bruit ni mot. Cette fois, Em s'assit d'un bond en tendant la main pour allumer la lumière.

— C'est quoi ce bordel ?!

Son estomac se noua lorsqu'il réalisa que sa chambre était entièrement vide, à l'exception du tas de draps au pied du lit. La porte était grande ouverte sur le couloir plongé dans l'obscurité, et il n'y avait pas la moindre trace de Wes dans la pièce. Luttant contre la peur qui lui donna la chair de poule, il se leva, attrapa son téléphone, puis contourna le lit pour jeter les draps dessus comme s'ils pouvaient le mordre. Voyant que rien ne se passait d'autre, il quitta la chambre et s'immobilisa dans le halo de la lumière avec l'impression que l'obscurité était soudain trop épaisse. Comme du brouillard opaque qui avalait tous les reliefs.

— N'importe quoi, murmura-t-il tout bas.

Son cœur battait à tout rompre et il avait des sueurs froides, mais la perspective de retourner dans son lit ne l'attirait pas davantage que celle de remonter le couloir. Restait la chambre de Wes, face à la sienne, dans laquelle il savait pouvoir trouver de la chaleur humaine. Mobilisant tout son courage, il fit un pas dans l'obscurité, puis un autre, jusqu'à atteindre la porte. De l'autre côté lui parvinrent des petits bruits étouffés, difficiles à identifier, et il poussa doucement le battant en éclairant avec la lumière de son téléphone.

Wes était bien dans son lit, mais s'agitait dans tous les sens en poussant des plaintes d'animal blessé, comme s'il suppliait ou pleurait. Il paraissait endormi, et aux prises avec l'un de ces cauchemars dont il avait parlé. En l'écoutant, Em avait pensé à quelques mauvais rêves désagréables, mais à rien d'aussi violent que ce sommeil agité et tremblant, et il réalisa que Wes avait grandement minimisé son malaise. Laissant la porte se refermer derrière lui, Em se précipita vers le lit pour s'asseoir à son chevet et lui secouer doucement l'épaule.

— Wes... réveille-toi ! Allez, ce n'est qu'un rêve... Wes !

— Non... laissez-moi sortir ! S'il vous plaît, laissez-moi sortir !

L'angoisse marquait ses mots autant que son visage et Em dut le secouer plus rudement jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent enfin. Avec un cri effrayé, Wes s'assit si brusquement qu'il manqua de l'assommer en cognant sa tête dans la sienne, et il s'agrippa à ses bras suffisamment fort pour lui faire mal. Puis il fondit en larmes, et Em se dépêtra maladroitement pour l'attirer contre lui et essayer de le réconforter, oubliant une partie de sa peur face à la sienne.

— Chut, c'est bon... ce n'était qu'un rêve...

— C'était... c'était horrible, renifla Wes.

Il semblait lutter contre ses sanglots pour retrouver son calme, avec un courage qu'Em trouva admirable. Dans la lumière blafarde de son téléphone, Wes était pâle comme la mort mais il parvint à se reprendre et à se redresser.

— Je t'ai réveillé ? demanda-t-il d'une petite voix. Je suis désolé, je ne voulais pas crier...

— Oh non, ce n'est pas toi qui m'as réveillé, répliqua Em en feignant la désinvolture. Il y a un... truc qui est rentré dans ma chambre et m'a viré mes draps.

— Quoi ?!

Succinctement, ne voulant pas donner trop d'importance à la terreur qui l'avait saisi, Em expliqua ce qui venait de lui arriver et pourquoi il était entré dans sa chambre.

— Je commence à comprendre pourquoi cette baraque te fout les jetons, acheva-t-il. C'est définitivement très bizarre.

— Allons voir, décida Wes en se levant brusquement. Jusque-là je n'ai fait que des cauchemars dont je ne me souviens jamais, mais s'il y a en plus de ça un genre de fantôme qui s'en prend à toi...

Avec une détermination remarquable, compte-tenu des larmes qui brillaient encore sur ses joues, il traversa la chambre à grands pas pour ouvrir la porte. Du moins, essayer. Il eut beau tirer, pousser, forcer sur la poignée, rien à faire, la porte refusa de s'ouvrir.

— Qu'est-ce que c'est encore que ce bordel ? jura Em en venant l'aider. Je ne l'ai même pas repoussée !

Et pourtant, elle était bel et bien coincée sans être verrouillée, puisqu'ils pouvaient tourner la clef dans un sens comme dans l'autre, sans plus de succès. Croisant le regard écarquillé de Wes, Em prit une profonde inspiration et tenta de rester calme.

— On dirait qu'on va passer la nuit ici, dit-il avec un semblant de sourire. Ça te dérange si on partage le lit ?

— En temps normal ça ne me gênerait déjà absolument pas, répondit Wes en fournissant les mêmes efforts, mais cette nuit je serais prêt à supplier pour que tu dormes avec moi. Attends... c'est quoi ce bruit ?

Alerté par sa pâleur, Em colla l'oreille contre la porte pour écouter aussi. Au début, il n'entendit que les coups frénétiques de son cœur, puis un autre son lui parvint, plus discret.

— Quelque chose qui... goutte ? murmura-t-il. Ça ressemble à une fuite d'eau ou un robinet mal fermé...

— J'aurais pensé à une gouttière bouchée, ajouta Wes, mais il ne pleut plus...

Comme ils n'avaient pas moyen de sortir de la chambre pour aller voir, ils ne purent qu'échanger un même regard effrayé en revenant vers le lit. Wes ouvrit les draps pour l'inviter à grimper à ses côtés, et ils se pelotonnèrent dessous comme des enfants, avec l'espoir naïf que rabattre la couette par-dessus leurs têtes suffirait à maintenir les monstres à distance.

Sans réfléchir, Em attrapa la main de Wes pour la serrer, et se détendit un peu lorsque son compagnon entremêla leurs doigts. Même s'ils ne se connaissaient qu'à peine, le simple fait d'être ensemble face à leur peur était terriblement réconfortant. Prêt à tout pour ne pas penser à ce qui se passait dans la maison, Em lança une faible plaisanterie qui les poussa à discuter en chuchotant, juste assez pour couvrir l'entêtant rythme des gouttes qui tombaient quelque part dans la maison.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant