08. Crapaud

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Ouvrir les yeux dans la faible lueur du soleil surprit Wes parce qu'il n'avait pas pensé réussir à s'endormir. Et pourtant il avait dû décrocher, parce qu'il se rappelait seulement d'avoir discuté en chuchotant avec Em pour ne pas laisser la peur prendre toute la place au cœur de la nuit, et à présent le jour filtrait à travers les volets. Groggy, il bâilla et s'étira avant de se concentrer sur la sensation inhabituelle d'un bras passé autour de sa taille. Em était allongé sur le ventre, la tête presque enfouie dans l'oreiller, et s'accrochait à lui comme pour l'empêcher de s'éloigner. Il était d'ailleurs si proche que les mouvements de Wes suffirent à le réveiller et il cligna des yeux comme une chouette.

— C'est enfin le matin ? marmonna-t-il.

Sans paraître embarrassé de s'être accroché à lui, il récupéra son bras pour s'étirer à son tour et passer une main dans ses cheveux déjà tout ébouriffés. Un peu amusé, Wes se fit la réflexion qu'il avait vraiment une tête adorable au réveil, mais que c'était vraiment injuste que des cernes sombres marquent le dessous de ses yeux. Son regard pétillant s'était un peu terni, gagné par la fatigue et une méfiance que Wes ne connaissait que trop bien depuis qu'il était arrivé dans cette maudite baraque.

— Il a l'air de faire grand jour, répondit-il avec tout l'entrain qu'il put rassembler.

— Cool. Est-ce que tu accepterais de refaire des pancakes ? On a besoin de réconfort.

Wes aurait tout donné pour que ce sérieux disparaisse du visage d'Em et qu'il retrouve sa lumière espiègle, mais leur nuit avait été bien trop bizarre et effrayante pour être de bonne humeur au réveil. Avec un gémissement, il roula hors du lit pour aller ouvrir les volets et cligna des yeux lorsque la lumière éclatante du soleil envahit la pièce.

— Il fait super beau ! remarqua-t-il avec incrédulité.

Au milieu du lit dérangé, Em se détendit enfin et Wes sourit par réflexe, simplement charmé par la vue de ce mec vraiment mignon et encore ensommeillé assis entre ses draps. Au moins, la luminosité du matin avait chassé une grosse part des terreurs de la nuit et Wes avait un peu l'impression que tout ça n'avait été qu'un autre de ses cauchemars qui lui laissaient seulement un vague souvenir de malaise au réveil. Ragaillardi par le grand soleil et le petit sourire d'Em, il attrapa son sweat sur le dessus de sa valise puis s'approcha de la porte sans y penser. Ce n'est que lorsqu'elle s'ouvrit le plus normalement du monde qu'il se rappela leurs tentatives désespérées de la déverrouiller dans la nuit.

— C'est vraiment trop bizarre, commenta Em en se levant aussi. Tu crois que c'est un genre de mauvaise blague ?

— Aucune idée, je ne vois pas trop qui pourrait être derrière tout ça de toute manière. Ni pourquoi.

Et de toute manière, si des draps arrachés et une porte mystérieusement fermée pouvaient être expliqués par cette possibilité, ce n'était pas le cas de ses cauchemars. Ni des choses qu'ils avaient aperçues la veille en voiture. Un frisson désagréable parcourut Wes à ce souvenir et il se força à changer bien vite de sujet et à réfléchir plutôt aux pancakes qu'il s'apprêtait à préparer.

— Je vais chercher mon sweat, annonça Em. Si je trouve un autre truc chelou dans ma chambre, je crie.

Malgré tout amusé, Wes gagna quant à lui la cuisine et s'arrêta net sur le seuil. Une série de jurons paniquée lui échappa face au désastre et il lui fallut prendre une profonde inspiration avant de réaliser que le liquide rouge sombre qui avait tout éclaboussé n'était pas du sang mais de la sauce barbecue.

— Qu'est-ce qu'il y a ?! s'inquiéta Em en le rejoignant rapidement. Oh putain !

— Je pense que c'est ça qu'on entendait goutter cette nuit, expliqua Wes d'une voix à peu près stable. Mais je ne sais pas comment le pot a pu se renverser.

Il était pratiquement sûr que ça n'était pas arrivé tout seul mais il n'avait pas envie de mettre des mots sur ses peurs alors qu'il faisait jour et que le soleil entrait à flots par la fenêtre. Et Em ne dit rien non plus, se contentant de nettoyer tandis qu'il préparait la pâte à pancakes. Tous les deux fournissaient de gros efforts pour donner l'impression que tout était normal mais même une double dose se sirop d'érable ne parvint pas à atténuer l'acidité de la peur dans la bouche de Wes.

— Je vais faire une lessive, annonça Em à la fin du petit dej. Avec mes fringues et les draps de ton lit du coup. J'imagine que la machine à laver doit être au sous-sol.

— Laisse-moi juste défaire le lit et je t'accompagne, répondit-il. Parce qu'il est absolument hors de question que je te laisse descendre au sous-sol avec tous les trucs qui se passent ici.

Le petit sourire qu'Em lui adressa en retour exprimait une bonne dose de soulagement et de reconnaissance, et ils s'occupèrent de rassembler leur linge sans trop se presser pour autant. Puisque Em avait les bras pris par le sac de linge sale, ce fut Wes qui ouvrit la voie dans le garage, contournant sa moto pour accéder à la porte du sous-sol. Après une profonde inspiration pour se donner du courage, il ouvrit et alluma aussitôt la lumière qui dévoila un escalier en béton parfaitement banal qui descendait sur une petite dizaine de marches.

Sans paraître hésiter une seule seconde, prouvant une fois de plus qu'il était terriblement courageux, Em commença à descendre et Wes lui emboîta le pas après avoir bloqué la porte de sorte à ce qu'elle reste grande ouverte. Une fois en bas, ils se trouvèrent dans une pièce carrée toute simple, avec un congélateur éteint et une machine à laver, ainsi que la porte menant à l'abri anti-tornade. Elle était fermée et aucun d'eux n'eut l'idée saugrenue d'essayer de l'ouvrir. À la place, ils se concentrèrent sur le chargement de la machine et sursautèrent lorsqu'un cri résonna tout près. Wes avait l'impression que son âme allait quitter son corps et il se mordit la lèvre jusqu'au sang pour ne pas hurler lorsqu'un gros truc lui sauta sur le pied. Prenant sur lui, il regarda mieux et se liquéfia presque de soulagement en découvrant ce que c'était.

— Un crapaud ! s'exclama Em. Tu nous as fait flipper, bonhomme !

— C'est peut-être un prince prisonnier du sous-sol ? tenta Wes pour détendre l'atmosphère.

— Embrasse le, pour voir ?

Mais le batracien ne comptait pas se laisser attraper et il avait déjà sauté plus loin, en poussant à nouveau ce coassement qui ressemblait à un hurlement. En ricanant, Em finit de charger la machine à laver et ils remontèrent tous les deux sans traîner, n'ayant pas la moindre envie de rester au sous-sol plus que de raison.

— Merci d'être descendu avec moi, souffla Em une fois la porte refermée. Je comprends ce que tu voulais dire quand tu disais que la maison te rendait nerveux. Je ne sais pas si j'aurais eu le courage de descendre tout seul.

— J'aurais aimé que tu fasses pareil pour moi, donc c'était normal. Et en plus y a une partie de mon linge là-dedans, j'allais pas te laisser tout gérer.

Ils échangèrent un nouveau sourire complice, qui mourut sitôt qu'ils entrèrent dans la cuisine. Sur le mur en face d'eux, qu'ils n'avaient pas vu en prenant leur petit déjeuner, deux mots étaient écrits en capitales maladroites avec la sauce rouge : SORTEZ D'ICI.

Em resta figé, le visage vidé de toute couleur, et Wes en eut soudain assez. Tirant son téléphone de ses mains tremblantes, il fit de son mieux pour garder une voix ferme.

— On s'en va. J'appelle mon cousin et on va chez lui. Prends tes affaires, on se casse maintenant.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant