05. Plan

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Cramponné au volant, Em se concentra sur la route droit devant lui pour les ramener sains et saufs à la maison, en essayant de ne pas repenser à ce qu'il venait de voir. Il était certain que le type debout au milieu de la route n'était pas plus humain que la créature étrange qui avait couru au long de la voiture, mais il n'avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait être. Au moins, il était parvenu à l'éviter et il était reconnaissant à ses années d'expérience de conduite qui lui avaient permis de réagir aussi vite.

En vérité, il n'était pas tant effrayé que furieux, surtout maintenant que la peur se dissipait. Quoi que soient ces choses, leur apparition avait brisé le cocon de chaleur que Wes et lui avaient construit dans la voiture, et il était dépité de voir le sourire de son passager remplacé par une expression livide. Il avait l'impression que Wes peinait à se détendre et les dernières heures avaient été confortables, à rouler sans réel but en discutant ou en chantant. Que deux pseudo-fantômes aient tout fichu en l'air l'agaçait prodigieusement et il en venait presque à regretter de ne pas avoir foncé sur le second sans hésitation.

— Hé... ça va ? demanda-t-il doucement face au silence de Wes.

— Je... ouais. Ça m'a fichu les jetons, c'est tout. Je n'ai pas assez dormi ces derniers temps et ça me rend nerveux. Heureusement que c'était toi qui conduisais, je n'aurais jamais réussi un tel dérapage contrôlé.

Sa tentative de changer le sujet était évidente mais Em n'insista pas et se laissa entraîner sur le sujet des circuits sur lesquels il aimait rouler, et les voitures qu'il avait conduites. Au fur et à mesure qu'ils parlaient et que les lumières de la ville se rapprochaient, l'ambiance se détendit et ils respiraient plus librement lorsqu'il se gara devant la maison. Pourtant, Wes eut un infime temps d'arrêt qui attira son attention.

— T'es sûr que ça va ? insista-t-il.

— Ouais, ouais ça va. Je ne sais pas pourquoi cette maison me met si mal à l'aise alors qu'elle est juste... normale. La fatigue, j'imagine.

Même s'il ne le connaissait pas vraiment, Em en avait assez vu et entendu depuis la veille au soir pour se faire une idée de son caractère, et il était prêt à parier que Wes n'était pas du genre à se faire peur tout seul. Il fallait déjà pas mal de courage pour s'approprier un style aussi atypique que le sien, et il semblait plutôt être de ces gens calmes et sérieux sur lesquels on peut toujours compter. Le voir si nerveux avait quelque chose de déstabilisant, tout comme cette histoire de cauchemars récurrents. Avec une grimace, Em songea qu'il allait peut-être devoir lui demander s'il avait récemment vécu quelque chose qui pourrait expliquer ces mauvais rêves — sans compter leur expérience tout juste partagée sur la route.

— Je ne sais pas si je peux t'aider à quoi que ce soit, dit-il enfin, mais si jamais tu peux me parler ou venir me voir ou n'importe quoi, vas-y. On est colocataires pour dix jours, autant se serrer les coudes.

Cela parut réconforter Wes et son expression se détendit un peu alors qu'il descendait de voiture pour commencer à décharger leurs courses. À deux, ils eurent vite fait de tout ramener dans la cuisine pour remplir les placards et le frigos, et Em fut incapable d'empêcher son regard de dériver dans sa direction. À sa décharge, Wes valait le coup d'être regardé et les chaînes qui ornaient ses bottes chantaient à chacun de ses pas, attirant inévitablement l'attention. Il marchait d'un pas sûr, sans être conquérant, et Em avait passé la journée à admirer son calme tranquille. Mais en cet instant, à le voir pâle et effrayé, il mourrait d'envie d'enrouler ses bras autour de sa taille mince enserrée dans la taille haute de son jean noir, sauf qu'il était certain que ce n'était pas une bonne idée. Il était trop bien élevé pour se permettre ce genre de gestes envers un presque inconnu en pleine détresse émotionnelle, et il n'était pas certain de l'accueil qu'il recevrait. Mieux valait laisser Wes se reprendre de lui-même, et lui offrir du réconfort s'il le demandait.

— Est-ce que tu veux qu'on lance une lessive avec tes draps ? proposa-t-il à la place. Je voudrais laver mes fringues d'hier, surtout mon sweat qui sent l'humidité, et peut-être que tu dormiras mieux si tes draps sont vraiment, vraiment propres ?

— Si tant est qu'il y ait une machine à laver dans la maison, répondit Wes en retirant ses bottes pour les placer sous son cache-poussière dans l'entrée. Je n'en ai pas vu dans la salle de bain.

— Il y a sûrement un sous-sol. Je crois avoir vu passer ça sur l'annonce, mais vu qu'elle n'existe plus... Y a peut-être moyen de dégoter un plan de la maison ?

Sur son impulsion, ils décidèrent d'explorer et de fouiller un peu, à la recherche de toutes les informations disponibles sur l'ensemble de la maison. Le propriétaire n'avait pas laissé grand-chose et la plupart des tiroirs étaient vides, à l'exception de notices d'utilisation des appareils, de piles de rechange pour la télécommande, et d'un fond de poussière. Les placards ne renfermaient que des couvertures et des oreillers supplémentaires, mais Em finit par mettre la main sur un plan complet de la maison, rangé dans la minuscule bibliothèque du salon.

— Ah, voilà ! s'exclama-t-il. J'ai notre carte au trésor !

Il se laissa tomber dans le canapé pour déplier le plan sur la table basse alors que Wes venait s'asseoir à côté de lui. Chacune des pièces était indiquée sur le papier, avec l'emplacement général des meubles, et le sous-sol était représenté sur une page séparée.

— Il fait la taille de la maison ! releva Wes avec incrédulité. On dirait un abri anti-tornade, mais il est gigantesque !

— Mieux vaut ça qu'un truc minuscule de la taille d'un coffre-fort. L'accès est dans le garage, regarde.

Il s'apprêtait à suggérer d'aller y jeter un œil lorsqu'il remarqua les cernes sous les yeux de Wes et son expression lasse et méfiante. Changeant d'avis, il replia le plan et se leva en s'étirant.

— On ira voir demain, de toute manière si on fait une lessive maintenant tes draps ne seront jamais secs à temps pour que tu puisses dormir dedans. Est-ce que tu me fais confiance pour préparer le dîner ? Je suis capable de préparer une sauce du tonnerre pour accompagner des mac'n cheese.

Le petit sourire qui revint sur le visage de Wes était une victoire en soi et ils abandonnèrent le plan pour rejoindre la cuisine et oublier les frayeurs de la soirée dans l'ambiance bon enfant de la préparation du repas.

L'AbriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant