À présent que les renforts étaient arrivés et que Wes était venu à son secours, Em ne voulait plus jamais lâcher sa main. Il n'était pas sûr d'avoir un jour été aussi soulagé de retrouver quelqu'un et il se raccrochait à lui comme à une bouée en pleine mer, s'émerveillant de la chaleur de ses doigts agrippés aux siens. À côté d'eux, Sal soutenait Brandon qui peinait à marcher et leur camarade d'infortune s'appuyait sur le pasteur qui semblait hésiter à l'emporter carrément dans ses bras.
Dans le silence étrangement incrédule qui les accompagna hors de la pièce, tout le monde sursauta lorsque les premières notes d'une musique joyeuse et clairement enfantine s'élevèrent. Le temps que le pasteur fouille dans sa poche pour sortir son portable, Em avait reconnu la mélodie de Baby Shark et commençait à se demander s'il ne s'était pas vraiment fait une commotion.
— Oui, Lucas ? On a retrouvé Brandon et Emory, ils vont bien. Restez là, on remonte. Je vois... merci de m'avoir prévenu, je m'en occupe.
L'air un peu soucieux, il raccrocha avant de se tourner vers le reste de leur petit groupe suspendu à ses lèvres. Em n'avait qu'une envie : rentrer dans la sécurité de la maison de Sal pour se laver et ensuite se blottir avec Wes sur le canapé pour ne plus jamais bouger.
— Quelqu'un est entré dans la maison, annonça le pasteur. Lucas pense que ça pourrait être le propriétaire. J'espère que c'est lui, parce que j'ai quelques mots à lui dire.
Son visage séduisant arborait une expression dangereuse, promettant des ennuis à quiconque se dresserait sur son chemin, et Em était prêt à parier que ses dents étaient juste un tout petit peu trop pointues pour être tout à fait normales. Mais après ces derniers jours, plus rien ne l'étonnait.
Lentement, ils remontèrent le couloir en direction des escaliers qu'ils n'eurent pas le temps d'atteindre avant d'entendre quelqu'un descendre. La lumière de la Maglite révéla un homme qu'Em trouva terriblement décevant en comparaison de tout le mal qu'il avait causé. Ce type n'était pas beaucoup plus grand que lui, potelé comme quelqu'un qui passe trop de temps à manger des chips devant la télévision, avec l'air hypocrite d'un vendeur de voitures d'occasion. En revanche, le voir cligner des yeux comme une taupe parce que le pasteur l'aveuglait avec sa lampe était très satisfaisant.
— Qu'est-ce que vous foutez chez moi ? attaqua-t-il après avoir fait un pas en arrière. Vous n'avez rien à faire ici !
— Non en effet, répliqua le pasteur d'une voix glaciale. Et nous ne sommes pas les seuls. Avez-vous la moindre idée de ce que vous avez fait ?
D'une manière ou d'une autre, il était particulièrement doué pour lire les émotions des gens parce qu'il n'eut pas besoin de davantage pour que l'homme se mette à postillonner qu'il ne faisait que suivre l'oeuvre divine en combattant le mal qui rongeait la ville.
— Je capture les démons qui gangrènent Birdtown et mon ange les détruit ! brailla-t-il avec une fierté évidente. C'est un combat de chaque instant contre le mal et les pécheurs, vous devriez comprendre ça mieux que quiconque !
— Les pécheurs, vraiment ?
Em n'avait aucune idée de comment le pasteur parvenait à garder son calme et cette apparence de froide politesse quand il se sentait bouillir de rage. Un bref regard lui apprit que Wes serrait les dents autant que lui, tandis que Sal et Brandon arboraient le même regard las et dégoûté. Visiblement, eux aussi avaient l'habitude des discours haineux basés sur de grands principes et beaucoup de vent. En revanche, le type qui leur faisait face ne devait pas savoir ce qui était bon pour lui, parce qu'il se lança dans une diatribe haineuse contre toutes les personnes qui méritaient à ses yeux d'aller droit en Enfer pour leurs crimes, qui étaient souvent le simple fait d'exister dans le même monde que lui.
— Je ne suis pas certain de bien vous comprendre, répéta le pasteur d'un ton dangereux. En quoi arnaquer puis séquestrer des jeunes gens qui n'ont rien demandé à personne peut s'inscrire dans ce... combat contre le mal ? Vous avez deux jeunes de mon groupe d'aumônerie parmi vos captifs, je les ai plus souvent vus à l'église que vous.
Plus la conversation avançait et plus Em commençait à s'amuser parce qu'il réalisait que ce type abject était en train de creuser sa propre tombe sans s'en rendre compte. Il ne connaissait pratiquement rien du pasteur, mais il était prêt à parier qu'il était plus que capable de remettre cet horrible personnage à sa place exactement comme il le méritait. Des hommes comme lui, il y en avait malheureusement partout, remplis de haine alimentée par la bêtise, et celui-ci signa son arrêt de mort en ayant le culot de citer la Bible pour valider son racisme et son homophobie.
— Ils ne méritent pas de vivre dans ce pays pour lequel nous travaillons dur tous les jours, acheva-t-il d'un ton suffisant. Ils dénaturent les valeurs de l'Amérique avec leur comportement contre-nature et leurs pactes démoniaques. Ils feraient mieux de rester dans leurs pays de sauvages.
Le coup partit avant qu'Em ne puisse s'en rendre compte et soudain l'homme se trouvait étalé au sol, surplombé par le pasteur qui ne se frottait même pas la main. Dressé de toute sa hauteur, vêtu de son habit clérical et le visage maculé de sang, le pasteur semblait être l'incarnation de la fureur divine, prêt à foudroyer ce type sur place.
— Mon mari est noir, connard ! Il a davantage souffert au nom de ce maudit pays que vous ne pourrez jamais l'imaginer. À présent, hors de mon chemin. Ces jeunes ont besoin de soins et je suis certain que la police sera ravie d'entendre votre déposition au sujet de tout le matériel que vous entreposez ici.
Quelle que soit l'expression qui était passée sur son visage, l'homme perdit toutes ses couleurs et rampa misérablement sur ses coudes pour s'écarter du chemin alors que le pasteur avançait d'un pas royal. Estomaqué, Em fut reconnaissant à Wes qui passa un bras autour de sa taille pour le soutenir alors qu'ils atteignaient enfin l'escalier.
— Courage, leur dit le pasteur d'un ton bien plus doux. Vous y êtes presque.
Mais Em ne se sentait absolument pas la force de remonter l'interminable volée de marches qui menait à la lumière tout en haut. Sa tête recommençait à tourner et il avait l'impression que son estomac vide essayait de s'échapper.
— Je vais te porter, offrit Wes contre sa tempe. Accroche-toi à moi.
Sans se faire prier, Em noua les bras autour de son cou, le cœur serré de gratitude. Il avait envie de s'enrouler tout autour de Wes pour ne jamais le lâcher et il laissa échapper une petite plainte lorsqu'un baiser effleura son front avant que des bras forts ne le redressent. Puis Wes commença prudemment à monter et Em se laissa envelopper par l'impression grandissante de sécurité.
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L'Abri
HorrorBirdtown, Kansas Après dix heures de route sous la pluie, Em arrive à la maison qu'il a louée sur Airbnb pour la semaine avant Halloween. À son grand désarroi, l'annonce était une arnaque et quelqu'un d'autre est déjà dans la maison. Comme il est ta...