22. Discussions

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                Tout le monde se tourna vers lui, stupéfait, et il sourit :

- Ce n'est pas vraiment ma fille... c'est une fillette de trois ans qui m'adore. Comme Seth, je m'occupe d'elle tout le temps parce que ses parents travaillent dans la mine. Sa mère est une femme méchante, parfois même violente avec sa fille. Alors, penser que ma petite fée est restée aux prises avec elle me rend malade. Et j'ai peur aussi qu'elle m'oublie en grandissant. Alors qu'elle représentait tellement pour moi...

- Si vous voulez, proposa Daisy, une plainte pourrait être déposée contre cette femme...

- Non, répondit-il en secouant la tête. Je ne peux pas vous donner son nom... Mais j'aurais tellement aimé...

Il baissa la tête, et je devinais que ses yeux gris s'assombrissaient, comme ils le faisaient quand il était en colère. Daisy ne s'en préoccupa pas, et déclara en se levant et en reculant son fauteuil :

- Bien. Maintenant, vous allez vous placer par petits groupes. Vous allez créer un dessin à la main qui représentera votre représentation personnelle d'EA. Cet exercice vous permettra d'accepter vos angoisses et de mettre en commun vos espoirs et vos peurs...

Je soupirais, exaspérée. Elle nous prenait vraiment pour des enfants ! Nous dûmes nous isoler par quatre sur des petites tables, avec à notre disposition des feuilles et des crayons. Et quand bien même si je trouvais son idée idiote, j'étais bien obligée de m'y plier. Je crois que je n'avais jamais tenu un vrai crayon de couleur, et ce n'était pas pour améliorer mon talent. Arthur et Seth proposèrent de dessiner les contours de la planète, tandis qu'Alison et moi devions en représenter l'intérieur. J'eus beau répéter que je dessinais mal, ils rétorquèrent à chaque fois qu'eux étaient bien pires. Et la perspective d'avoir l'artiste de la Mission avec moi finit par me rassurer.

Nous crayonnâmes longtemps en discutant, avant de devoir présenter nos réalisations aux autres. Daisy Kerpen sembla ravie de nos explications, elle prenait des notes à tout bout de champ. Une fois les trois groupes passés, elle nous demanda de changer de partenaires pour une nouvelle réalisation. Nous dûmes dessiner sur encore deux autres thèmes. La dernière fois, je me retrouvais avec Ted, mais je passais outre. À mon plus grand soulagement, il m'imita, et il sut maintenir la balance entre la franche ignorance et les insultes.

- J'espère que ce moment vous a rapproché les uns des autres, déclara finalement la psychologue quand elle eut rassemblé tous nos dessins dans une grande pochette. Je vais maintenant vous donner le numéro de la pièce où vous vous rendrez en couple pour attendre votre mariage.

Elle fit le tour des couples, révélant leur numéro à voix basse avec des airs de conspiratrice. Quand elle arriva vers nous, elle nous donna le numéro 12. Ted hocha la tête. Je baissais la tête, mal à l'aise.

Nous discutâmes encore un peu avant de passe à table. Ce déjeuner fut étrange. Il fut écourté par Omer qui nous demanda de nous changer en prévision des cérémonies du soir. Nous dûmes aller enfiler de nouvelles combinaisons bleu-ciel, la couleur du mariage chez les Riches. J'ignorais si ceux d'En bas avaient eux aussi une couleur traditionnelle.

En sortant de ma chambre, je me dirigeais vers la salle 12, en espérant y arriver la première. Et manque de chance, Ted était déjà là quand j'entrais dans la salle 12. Je piquais un fard et refermais la porte le plus doucement possible, mais il se retourna.

- Qu'est-ce que tu fais ? Lança-t-il. Entre, voyons !

Sans répondre, j'obtempérais après une seconde d'hésitation. J'avançais de quelques pas dans la pièce, et il annonça :

- La cérémonie est à dix-huit heures, annonça-t-il. On a cinq heures à tuer en attendant.

- C'est beaucoup trop long, soupirais-je. Surtout pour des gens qui se méprisent...

- C'est vrai, sourit Ted. Mais on peut faire la sieste, par exemple.

- Tu vas dormir ? Demandais-je, partagée entre le soulagement et une curieuse déception.

- Non. Et toi ?

- Peut-être, répondis-je en haussant les épaules. Mais avant...

Depuis la veille, je me sentais étrangement coupable de ne pas être honnête avec Ted. Après tout, nous allions nous marier, il avait bien le droit d'être prévenu... J'inspirais un coup, et déclarais :

- Je voulais juste te prévenir qu'une fois tout le monde arrivé sur EA, je demanderais l'annulation de notre union.

Il me considéra une seconde, silencieux, scrutant mes prunelles avec insistance. Je ne parvins pas à déterminer ce qu'il cherchait, ni ce qu'il pensait. En tout cas, il ne pouvait pas être blessé. Il devait bien se douter quelque part que cela finirait comme ça !

- Je te comprends, lança-t-il finalement. Il n'y a pas grand monde qui me supporte. Tu n'as pas besoin de t'expliquer.

- Euh... d'accord, lançais-je, interloquée.

Un nouveau silence s'installa. Pour une fois, après quelques répliques, je ne m'étais pas énervée. À vrai dire, il ne m'inspirait plus ma colère habituelle, mais plutôt de la pitié... Peut-être que les petits jeux de Daisy y étaient pour quelque chose. Enfin... si moi je m'étais résignée à ce mariage forcé, certaine qu'il serait aussi bref que factice, lui n'avais pas changé. Il me méprisait toujours. Et cela m'insupportait. Ma fierté m'ordonnait de lui prouver ma valeur...

Finalement, je pris le parti de dormir, comme il venait de me le proposer. Et j'étais à peine allongée sur le divan qu'il lança :

- Bon, je vais aller prendre l'air. Tu veux que je te rapporte un souvenir de dehors ?

- Pff... à part de la terre, il n'y a pas grand-chose à y trouver.

- Je me débrouillerais, assura-t-il. Un rien devrait satisfaire une fille comme toi.

Je serrais les dents pour ne pas répliquer vertement, et me forçais à fermer les yeux. Je mis de longues minutes à retrouver le sommeil, au cours desquelles il n'avait pas encore bougé de sa chaise.

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Instagram : daphnevernet

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