EA - La Solution [Réécriture]

3. La Solution

                Plus tard, quand nous fûmes tous prêts, nous nous engageâmes dans l'ascenseur qui descendait jusqu'à la moitié de l'immeuble. Une fois-là, je lançais un regard dégouté en dessous de moi. C'était à ce niveau que commençait En-Bas, avec sa misère, sa saleté et ses coutumes bizarres... Heureusement, nous ne descendions pas plus bas : le Tube, l'unique moyen de locomotion des Riches, avait un arrêt juste ici. Nous prîmes place dans la navette six places avec un vieux couple élégant, et après quelques secondes, elle repartit à toute vitesse dans le réseau compliqué des cylindres de verre doré.

- Où vous rendez vous ? demanda poliment ma mère à nos accompagnateurs.

Il me sembla que je les reconnaissais... Oui, il devait s'agir d'un ancien Dirigeant à la retraite. Et si moi je ne le reconnaissais pas, lui avait certainement su mettre un nom sur mon visage. Tout le monde nous connaissait, à Angeltown, les « jeunes ». L'avenir de la ville, et, plus largement, de la nation.

- À la Solution, évidemment, répondis-je avec un rire idiot, coupant la vieille dame qui ouvrait la bouche. Nous allons au Grand Hall ?

Au moment où je prononçais cette phrase, j'eus envie de me gifler. Combien de fois mon attitude de pimbêche écervelée me donnait envie de hurler ! Notre Grand Hall n'existait plus depuis l'hiver dernier. L'immeuble, qui représentait notre Cité, avait été écroulé une nuit, provoquant des dégâts et des pertes humaines considérables. La faute incombait aux Mercenaires, évidemment. Et d'ailleurs, ils ne s'étaient pas arrêté là... le jour suivant, à Miracletown, le Président lui-même avait été attaqué pendant un déplacement. Une balle dans la jambe qui avait failli lui ôter l'usage de son membre. Bref, nous allions certainement chez les Winster, un couple qui possédait chez eux une salle de réception plus grande que notre appartement.

- Les Winster nous accueillent cette année, me confirma sèchement la vieille dame.

- Parfait, minaudais-je. Alors nous arriverons bientôt.

En effet, cinq minutes plus tard, le Tube faisait halte devant l'immeuble de nos hôtes. Eux vivaient à l'étage du milieu, à la limite d'En-Bas, mais ça n'empêchait pas leur foyer d'être ravissant. Au centre de l'immense salle, une estrade ronde avait été placée. Tout autour, des fauteuils étaient installés, avec des allées tracées et des numéros de rangées. Derrière tout cela, les tables du buffet étaient déjà dressées.

En arrivant, ma mère fut immédiatement happée par la foule, et sa robe verte disparut à mes yeux dans un tourbillon d'étoffes chatoyantes et coûteuses. Je restais seule un instant, balayant la vaste salle du regard à la recherche de mon groupe d'amis. Et bien loin de les repérer, mes yeux se posèrent au contraire sur un groupe de pauvres. Comme chaque année, ils avaient dépêché une délégation pour les représenter, puisque le reste d'entre eux regardait l'évènement à la télévision. Une trentaine de personnes aussi à l'aise que des poissons hors de l'eau. Un vide s'était formé autour d'eux, et ils avaient l'air aussi dégoutés de nous côtoyer que nous de les voir. Un frisson me parcourut. Et si parmi eux se cachaient des Mercenaires ?

- Tu es splendide, Ely ! S'exclama alors une voix derrière moi.

Je sursautais, et pivotais, surprise. Je ne tardais pas à me rasséréner en découvrant Neil, avec ses cheveux d'or et ses yeux noirs, magnifique dans son costume marine. Je sautais à son cou pour le saluer, et il rit en embrassant mes deux joues.

- Merci, mais toi encore plus, répondis-je en reculant d'un pas.

Il sourit, et ouvrit la bouche quand Mina déboula, Brent Trenton dans son sillage. Je saluais mes amis, et, me joignis à leur conversation. Ma meilleure amie s'extasia sur le choix de ma robe, et m'assura que j'étais encore une fois la plus belle de la soirée. Neil approuva galamment, et je rosis de fierté. Puis au bout de quelques minutes, des haut-parleurs nous demandèrent de rejoindre nos chaises pour la cérémonie.

Du même pas, nous nous dirigeâmes tous les quatre vers le fond, le plus loin de nos parents, où nous pourrions dormir sans être grondés.

- Où est Tess ? Interrogeais-je tandis que nous serpentions entre les fauteuils.

- Elle est avec les conférenciers, répondit Neil en haussant les épaules. Elle se met encore en avant pour les persuader de la prendre en stage...

Je haussais les sourcils.

- Tu trouves qu'elle en fait trop ? Interrogeais-je, surprise.

- Un peu, répondit Neil en serrant les dents. On se met là ?

Je me contentais de hocher la tête, renonçant à comprendre. Neil et Tess étaient comme chiens et chats, et ça n'était pas près de changer... Et je devais avouer que malgré son humeur égale, mon amie pouvait parfois se montrer un peu agaçante. Elle ne rêvait que d'atteindre les hautes sphères, et passait son temps à suivre des Administrateurs et des Dirigeants pour leur poser des questions.

Je pris place entre mon fiancé et ma meilleure amie. Nous étions partis pour trois heures d'ennui...

- Tiens, me chuchota Mina. M. Mayer est là !

- Ah bon ? M'étonnais-je. Pourtant, sa femme et lui ont quitté la ville...

- Et regarde donc le chapeau de cette pauvre Clarence... soupira Mina. Ce vert pomme lui donne un air tellement fade !

- Oui, opinais-je, ça jure avec ses cheveux jaunes. Le Professeur Torrel non plus n'a pas l'air d'être là ?

- Pourquoi serait-il là ? Rétorqua Brent derrière moi en riant. Il habite Freetown, je te rappelle ! On dirait presque qu'il te manque...

- Peut-être bien, souris-je. En même temps, ça va faire presque dix mois que je ne l'ai pas vu...

Neil me jeta un coup d'œil amusé, mais ne dit rien puisqu'un sifflement de larsen retentit, faisant sursauter l'assemblée. L'hologramme de Kris Temple venait d'apparaître au milieu de l'estrade. Le présentateur ne se tenait en chair et en os que dans la capitale : Seatown, Cherrytown, Miracletown et nous-même ne le voyions jamais physiquement. Les caméras zoomèrent instantanément sur lui. En effet, il fallait bien retransmettre la cérémonie à ceux d'En bas qui suivaient de chez eux avec leurs télévisions préhistoriques.

- Chers amis ! Commença-t-il d'une voix joviale. Je suis ravi de vous retrouver cette année pour notre traditionnel jour de la Solution ! Nos équipes de brillants Scientifiques ont travaillé d'arrache-pied pour apporter des éléments à opposer au Nuage...

L'introduction était peu ou prou la même chaque année, à la différence que je serais citée parmi les « équipes de brillants scientifiques » en tant qu'étudiante. Lorsque la longue énumération assez inutile fut terminée, Kris Temple reprit :

- Et cette année, pour la première fois depuis cinquante ans, le Jour de la Solution apporte enfin une solution !

Il marqua une pause pour ménager son effet... et ça ne manqua pas. Tout le monde resta interdit, moi y comprise. Comment ça... une solution avait été vraiment trouvée ?

Je me sentis d'abord vexée de ne pas avoir été prévenue, et me promis de sermonner mon référent à ce sujet.

Puis je pris réellement conscience de ce que cela signifiait. Je pourrais enfin dormir le soir, sans retourner des scénarios-catastrophe dans ma tête ? J'avais toujours pensé que je mourrais asphyxiée... peut-être méritais-je une meilleure fin ?

Kris rit à une plaisanterie faite par quelqu'un dans autre ville, avant de reprendre :

- Grâce à notre technologie et notre expérience, Gouvernement et la Haute Autorité de Santé ont pris une décision...

Il laissa planer quelques insupportables secondes de silence, avant de déclarer solennellement :

- La population d'Axer va être déportée sur une autre planète.

Un nouveau silence tomba sur notre salle, identique, j'en étais sûre, à celui qui planait dans les quatre autres cités. Un silence plus profond que jamais. Quant à moi, je me répétais la phrase en boucle, sans quitter le présentateur des yeux. Se pourrait-il...

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