Chapitre 7

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Il y a plusieurs jours que j'ai vu Yves, ma fureur s'est dissipée. Je n'arrive pas à croire qu'on ait pu me jouer un mauvais tour, je ne vois pas pourquoi, quel intérêt à tout ce cirque?
C'est hallucinant cette histoire, je ne comprends pas, je ne comprends rien et je n'ose en parler à personne. On dirait que j'ai commis une faute, comme une petite fille qui aurait trempé les doigts dans la pâte à gâteau. Franchement, qu'est ce qui m'arrive?
Je suis sortie de mes pensées par une notification sur mon téléphone, un mail. Je l'ouvre. Expéditeur: Yves Bruyge. Mon sang se glace. Mais comment?

Ma très chère Alexandra,

Je comprends ta réaction, tu sais, et je dois t'avouer que je n'en attendais pas moins de toi. Cependant, le temps presse. Je pensais que le lien qui nous unit dans nos réalités respectives rendrait les choses plus faciles malgré tout.

Enfin, voilà qui te devrait te convaincre de ma bonne volonté, aujourd'hui un incident grave va se produire au Maroc, un séisme de magnitude 6.8...

 Il ne vont pas trouver beaucoup de victimes au début mais ce sera une véritable tragédie. Quand tu auras le cœur de me parler, contacte moi, vite s'il te plaît.

Avec toute ma tendresse, Y.

Je relis ce message plusieurs fois, je n'arrives pas à faire les liens, ma curiosité est plus forte que tout, j'allume la télévision sur une chaine d'infos en continue, rien. Je passe à la suivante, puis une autre. Mais il y en a combien des chaines comme ça? Rien, absolu rien sur un séisme au Maroc. Quelle naïveté....
Je me laisse tomber sur le canapé du salon avec la télécommande dans la main. La petite diode de la télévision indique qu'elle est en veille, je me dis que je ne dois pas oublier de l'éteindre sinon mon père va râler. Je réfléchis en même temps au mail. J'attrape mon téléphone et tape "Maroc séisme" dans la barre de recherche. Aucune actualité correspondante. Laisse tomber Alex...
Mais non! Qu'est ce que ce type me veut au final?
Je sursaute quand mon téléphone, dans ma main, sonne. C'est Yvan. Je réponds sans attendre.

- Salut toi!

- Salut, tu fais quoi là? me demande t-il.

- Rien de spécial. Mais en fait j'aimerais bien te voir, il faut absolument que je te parle de quelque chose.

Je ne peux pas rester avec cette histoire sur la conscience, il faut que j'en parle avec quelqu'un. Si seulement Emma n'était pas si loin, j'aurais pu me confier à elle. J'ai pensé l'appeler mais plus de 6000 km nous séparent. Elle a d'autres chats à fouetter!

- Cela tombe bien, moi aussi, j'arrive!

Et il raccroche, bizarre me dis je.
Quand Yvan passe la porte de la maison, je le sens énervé et comme à son habitude, ne se prie pas à m'en dévoiler la raison.

- C'était qui ce mec, celui avec qui t'as mangé l'autre jour?

Je m'arrête net devant la cafetière. Je me tourne vers lui tremblante, le souffle coupé.

- C'est justement de cela que je voulais te parler.

- Tiens donc... Comme par hasard! Je savais bien que tu étais distante ces temps ci. Mais merde! Pourquoi tu me fais ça?

Il fait les cents pas autour de l'îlot de cuisine, il refuse de croiser mon regard. Il se tord les doigts puis serre les poings. Puis s'arrête et pose ses deux mains, bien à plat sur l'îlot et me regarde, cette fois, bien fixement.
De quoi parle t-il? Puis je connecte les informations et comprends qu'il croit que je le trompe, pire que j'en aime un autre. Mais sérieusement Yvan! Comment peut-il avoir si peu confiance en moi? Cela me blesse que ce soit la première chose à laquelle il pense. Qu'il se dise d'emblée que, forcément, je commets une faute et que je ne suis pas fiable. En fait il n'a pas confiance en moi. J'en reste muette, et aucun son ne sort de ma bouche.
Face à lui, adossée au plan de travail sur lequel est branchée la cafetière, j'ai les bras ballants devant sa réaction. J'entends le liquide noir chargé d'arômes couler dans le récipient en verre. Très vite ces derniers remontent dans mes narines et chatouillent mes papilles. Il me fait rudement envie ce café tout à coup! Je me retourne et attrape deux tasses sur l'étagère au dessus de la cafetière. Je les pose sur l'îlot puis m'assied face à Yvan, en attendant que le café soit fini. Lui me fixe toujours.

- Et donc la seule chose qui te vienne à l'esprit c'est...? lâchai-je enfin

- A toi de me le dire, me retorque t-il.

- Tu viens ici, tu m'agresses avant même de savoir le pourquoi du comment et c'est moi qui devrais me justifier? Non mais, tu es sérieux là? Je n'ai même plus envie de te parler de ce qui se passe tellement tu me déçois!

Je laisse passer un temps comme pour appuyer sur cette dernière phrase, que ma déception le pénètre et qu'il s'imprègne de ma douleur. J'ai envie qu'il ait mal. Oui c'est immature, je le sais mais c'est plus fort que moi! Il me fixe, toujours dans cette même position, il semble vouloir me dire "regarde comme je suis fort, rien ne m'atteint". Mais ses mâchoires sont crispées, je distingue bien qu'il les serre à intervalle régulier, je vois d'ici les muscles de sa mâchoire inférieure se tendre. La lumière qui filtre par la fenêtre derrière lui ne fait qu'illuminer d'autant plus ce mouvement sur son visage. Putain qu'il beau quand il est fâché! Mais je ne me laisse pas distraire par cette aspect de la réalité.
Son regard, lui, est triste. C'est qu'il est convaincu de sa déduction absurde en plus!

- Non, je reprend, non je ne te trompe pas et non, je n'ai personne d'autre que toi, si c'est ce que tu voulais entendre.

Je baisse les yeux sur les deux tasses vides et me rend compte que la cafetière derrière moi est à nouveau silencieuse.
Lentement, je me lève et attrape la cafetière quand un froissement me sort du mode automatique dans lequel je m'étais inscrite.
En un battement de cils, Yvan a fait le tour de cet îlot que semblait immense la seconde d'avant et pose sa main sur la mienne me prenant le café des mains. Il le pose à côté et me serre dans ses bras.

- Je savais que tu n'es pas comme ça, c'est les copains qui m'ont convaincu. Ils n'arrêtaient pas de dire que de toutes façons ça devait bien arriver, que toutes les filles sont pareilles et qu'elles ont besoin de voir du paysage. Je suis désolé d'avoir douté de toi Alex, désolé, tellement désolé.

Son laïus terminé, il s'écarte de moi et me supplie du regard de l'excuser.

- Je ne comprends même pas que tu aies préféré croire ces abrutis plutôt que de me faire confiance! Comment tu as su d'abord?

Penaud, il se met à servir ce fichu café en balbutiant comme un gamin:

- C'est Lucas qui t'a vu chez Dan...

Lucas... Ce mec est un fouteur de merde professionnel. Il prend un malin plaisir à appuyer là où cela fait mal et à mettre les gens dans des situations rocambolesques. Le pire c'est qu'il a un don pour avoir la petite information qui va détruire une relation ou gâcher une surprise.

- Lucas, soufflai-je, le roi des cons celui là...

- Ouais... mais... Tu vas m'expliquer quand même?

Je trempe mes lèvres dans le liquide divin. Je me brûle mais persiste dans ma démarche, en avalant une gorgée. Je grimace.

- Non, pas maintenant. C'est... incompréhensible. J'avais besoin d'en parler avec toi parce que c'est digne d'un film de sciences fiction mais là tu m'as un peu coupé la chique. Je vais aller courir. Cela va me calmer.

Je me lève ne lui laissant pas le temps de répondre et me dirige vers l'escalier pour aller me changer quand je fais volte face le pied sur la première marche pour lancer à Yvan, revêche:

- Et dis bien à cet abruti de Lucas que si je croise son chemin, il se souviendra comment je m'appelle!

Là dessus, je monte quatre à quatre laissant Yvan avec sa culpabilité.

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant