Chapitre 9

11 2 2
                                    

Sur la place du village, il y a une friterie ouverte uniquement les soirs de week-end. Nous nous y rendons donc tous les trois, les deux Yvans et moi. Sur le chemin, je me demande si je ne suis pas en train de rêver. Mon cœur bat à tout rompre et je sens ma poitrine tressaillir à chaque coup de ce dernier. Je n'arrive toujours pas à croire ce que je viens de voir, tout ce que nous a dit Yvan. C'est surréaliste!
Yvan, le vieux Yvan, je ne sais pas comment l'appeler, commande un monticule de frites, mon Yvan et moi n'avons pas faim et nous nous contentons de le regarder manger pendant plusieurs minutes avant que je ne rompe le silence.

- Faut vous trouver un surnom... Yvan c'est lui, dis-je en montrant mon petit ami de l'index.

- Ton Yvan dans ta réalité, je suis le tien dans la mienne... Mais je comprends. Appelle moi Yves ça ira! Et par pitié arrête de me vouvoyer, je ne suis pas ton père!

Je fais la moue.

- Ok cela me va.

Il recommence à s'empiffrer et cette fois c'est Yvan qui le questionne:

- Attends... mais pourquoi tu es là finalement, il y a bien une raison ? Et je veux aussi savoir comment ça marche et qui a inventé le procédé? J'espère qu'il a eu le prix Nobel! Quelle découverte! Einstein s'était trompé alors!

Yvan semble se reconnecter à la réalité, les questions fusent! Moi aussi je veux ces réponses, moi aussi je veux tout savoir et secrètement j'aimerais bien essayer et voir ce que cela fait de... voyager dans le temps. Je n'arrive pas à croire que je viens de penser une chose pareille! C'est une folie!
Yves le calme:

- Tu auras toutes les réponses, puisque je les ai.

Il sourit. Est ce qu'il le nargue? On dirait!

- Qu'est ce qui te fait croire que c'est un homme qui a fait cette découverte? Je ne me rappelais pas être aussi misogyne à ton âge...

Je le coupe:

- Au Bar de la Fac, tu m'as dit que tu voulais que je te fasse confiance pour me dire ce que tu attendais de moi! Tu es venu pour que je fasse quelque chose? Qu'est ce que je dois faire?

Je réfléchis à voix haute et ils se tournent tous les deux vers moi. Yvan pique une frite à Yves qui le foudroie du regard. On dirait deux gamins, deux frères, des jumeaux...
Yvan se tend à côté de moi. Il semble anxieux. Je me demande s'ils n'ont pas des échanges secrets ces deux là. Au point où j'en suis, peut être qu'ils sont devenus télépathes. En temps normal, je me serais faite rire toute seule. Mais pas maintenant!
Yves connait d'avance la tournure que va prendre cette conversation, je le sens. Il me fixe en mangeant ses frites. Il prend tout son temps, il m'exaspère...

- Tu ne vas pas aimer, je m'en souviens bien.

Il regarde Yvan comme pour l'appeler à l'aide mais continue d'engouffrer une quantité phénoménale de frites. Yvan ne réagit pas. Je me demande pourquoi il est aussi silencieux. Je ne reconnais pas son calme face à cette situation. Vraiment, est ce qu'il capte des choses que j'ignore?

- C'est pas moi qui te le demande, c'est l'humanité toute entière qui te supplie, reprend Yves après avoir bu sa bière presque d'une traite. Tu vas devoir choisir un chemin de vie différent de celui que tu as pris dans ma réalité.

Il me laisse intégrer ce qu'il vient de me demander. Yvan est toujours absent de la conversation. Je le regarde, il transpire. Mais qu'est ce qu'il a?
Je réfléchis à toute vitesse. Depuis tout à l'heure, il dit à Yvan qu'il agira exactement comme lui même le fait aujourd'hui. Tout est écrit ou quoi?

- Mais tu n' arrêtes pas de dire à Yvan qu'il n'aura pas le choix de son comportement dans 25 ans. Alors moi non plus! Haaaa, soufflai-je. Je déteste cette idée, je déteste vraiment ça! Ne me dis jamais que je n'ai pas la main sur mon avenir! C'est au delà de mon champ de compréhension! Je décide qui je suis et chacun de mes actes. Maintenant ou dans le futur, rien ni personne ne peut savoir quelle décision je vais prendre. Tu entends? Vous entendez, je répète à l'adresse des deux Yvan à ma table.

Sans m'en rendre compte, j'ai haussé le ton. Je regarde autour de moi.
Le propriétaire de la friterie me regarde au dessus de son bar. Les quelques clients présents se sont tous arrêtés de manger et me regardent. Un petit garçon a même stoppé son geste et sa frite est en suspend à quelques centimètre de sa bouche. Je vois d'ici l'effroyable quantité de mayonnaise sur sa frite glisser et s'écraser sur son T-shirt Bob l'éponge en faisant une coulée monumentale. On dirait que j'ai arrêté le temps. Voilà tout ce qui me vient à l'esprit. Un jeu de mot qui me fait rire intérieurement, mais pas à l'extérieur puisque je lâche à l'assistance un fabuleux:

- Quoi?!?

Qui remet tout le monde en route comme si j'avais appuyé sur lecture.
Mais tout est bizarre ce soir ou c'est moi?

- Je me souvenais de ton laïus, murmure Yves sans oser lever la tête de son carton de frites maintenant vide.

Je sens l'atmosphère électrique s'amplifier de minutes en minutes. Je ne comprends pas ce qui se passe exactement alors j'essaie de temporiser nos échanges.

- Bon, pardon de m'être emportée, dis-je après un bref silence. De quel chemin tu parles exactement?

Yvan me serre la main et me fixe.

- Mais qu'est ce que tu as toi, bon sang?

- J'ai oublié un petit détail, intervient Yves, ne laissant pas le temps à Yvan de me répondre. Il ne sait pas pourquoi il ressent ce qu'il ressent Alex. Quand deux alters se retrouvent suffisamment proches dans la même réalité et pendant assez longtemps, ils ressentent les émotions de l'autres en plus des leurs. Et tout est démultiplié. Moi je m'y suis fait depuis le temps que je voyage mais pauvre Yvan, il déguste là. Tu veux aller prendre l'air bonhomme?

Yvan semble soulagé d'apprendre qu'il ne vire pas schizophrène mais il semble aussi sur le point de tomber dans les pommes.

- Non, dit-il. Je veux rester avec Alex, elle a besoin de moi. Et je sais que tu sais que je dirais ça, s'adresse t-il soudain à Yves.

Ce dernier lève les deux mains en signe d'apaisement. Et répondant à Yvan, empruntant un ton macabre qui semble modifier les traits de son visage:

- Alors abrégeons parce que je me souviens très bien du reste de la soirée que tu vas passer cowboy. Alex, dit il se tournant vers moi, tu dois arrêter tes études. Je sais que c'est dur à encaisser mais si tu persistes dans cette voie, l'humanité toute entière va s'effondrer. Pas par ta faute directement, mais il s'agit d'un enchainement malheureux de décisions malheureuses. Ton génie en physique en est la source. Tu es très douée mais tu vas tous nous tuer, alors, il va falloir te choisir un autre avenir si tu veux bien nous laisser en avoir un.

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant