Chapitre 20

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L'émotion sublime que j'ai ressenti est vite surpassée par la laideur de ce qui m'entoure. La désolation alentour est totale. Je tiens toujours dans ma main celle de Yves qui semble me serrer plus fort, de peur que je ne me sauve peut être. Comme l'a prédit Yves, nous nous trouvons à quelques mètres, à peine, de l'endroit d'où nous sommes partis.
Tout est mort ici. Nous avons quitté une aire de repos entourée d'arbres et de verdures. Ici, l'herbe est morte, il n'y a que de la terre et du béton. Les arbres n'ont plus de feuilles et même plus de branches pour certains. Ils ne ressemblent plus qu'à d'immenses pieux dressés vers le ciel, certains sont penchés sous la force du vent sûrement. Les tables de pique-niques environnantes se sont effondrées pour la plupart et le petit bâtiment en briques qui abritait, jadis, les toilettes est lui aussi sur le point de s'écrouler. Le toit est enfoncé, je ne me risquerais pas à y entrer de peur de déclencher la chute du château de briques et de tôles. Il n'y a plus d'eau qui circule dans les tuyaux qui sortent des murs depuis bien longtemps visiblement.
Je lâche la main de mon acolyte et me retourne pour regarder autour de moi. La route qui borde l'aire de repos est jonchée de détritus en tout genre: des carcasses de voitures, des ossements ( d'animaux et je crois reconnaitre un corps humain mais je me refuse d'avancer dans sa direction), du tissus, des papiers semblent s'envoler sous l'effet du léger vent qui fait aussi valser mes cheveux. Je ne vois que de la terre, un désert à perte de vue et quelques pieux parsèment le paysage.
Au loin, je vois les restes d'une ville. Des immeubles éventrés et semblant sur le point de s'écrouler. Des tours, trouées comme du gruyères, semblent avoir perdu leurs fenêtres. A moins que ce ne soit la crasse qui ne donne cette impression. Les immeubles semblent avoir été recouverts de végétation pendant un temps car il y a des lianes ou quelque chose qui y ressemble qui les entoure. A cette distance, je ne suis pas sûre de ma vue. D'ici, je dirais du lierre, mort et sec depuis des lustres. Une des tours semble penchée, je me demande une seconde si elle va tomber sous mes yeux.
Le ciel est gris puis je me rend compte qu'il est sans nuage. C'est étrange, la luminosité semble tamisée, grise, mais je ne distingue pas de nuage. Je ne trouve pas le soleil non plus. Comment est ce possible? Une brume peut être? Elle doit être tellement épaisse et haute dans le ciel, c'est surréaliste. Il y a comme une odeur de souffre, de pourriture, cela me tourne sur le cœur. Je me demande un instant ce qui me met mal à l'aise en plus de ce spectacle d'horreur et cette odeur nauséabonde puis je remarque que le bruit semble absent de cette réalité. On dirait qu'il ne se propage pas, comme si nous étions dans une pièce capitonnée d'isolant acoustique. Chacun de mes sens est désabusé par cette triste réalité. En effet, ma peau me démange, je regarde mes mains pour m'assurer que des petites bêtes ne sont pas en train de m'escalader. Je me dis que tout peut arriver ici! Ma peau semblent irritée, comme si je l'avais frottée trop fort. Je relève la tête vers cette ville, au loin, et me fais la remarque qu'il n'y a aucun oiseau dans le ciel, aucun insecte ne vole. La mort, la mort à perte de vue.

Pendant que j'observe ce paysage, Yves s'affaire sur la carte, il pianote notre retour puis me regarde.

- Voilà mon présent et celui de Karina, la femme en rouge. Elle ne vit pas dans un futur différent du mien. Elle est dans cette réalité, la mienne et celle de toute l'humanité. On s'en va maintenant, viens!

Sans attendre ma réponse, il me reprend la main et nous entamons notre voyage de retour après que le scanner ait de nouveau fait son petit manège. J'espère secrètement qu'il remette bien chacun de mes atomes à la bonne place. Cette réflexion aussi impromptue soit elle ne me fait pas rire. Je suis choquée par ce que je viens de voir. J'essaie de profiter autant de mon voyage mais la joie n'y est plus. Je pleure. Je pleure tout le long du voyage. Les étoiles et autres objets célestes ne suffisent pas à sécher mes larmes. Je vois de nouveau mes parents, toujours plus vieux mais avec un poupon dans les bras. Yves, non, Yvan est avec eux. Ils sourient tous, ils sont heureux.

Le noir. Le vide. La chute.

Je suis accroupie à côté de Yves, de retour dans ma réalité. Je pleure toujours, mes yeux me piquent comme si j'avais pleuré durant des heures. Yves remarque que je sanglote et me prend dans ses bras, me chuchotant que tout ira bien. Après un moment, je reprends mes esprits et nous décidons de rejoindre Yvan à la voiture.

- Ha ben effectivement, c'est allé vite! Ça va Alex, demande t-il voyant ma mine.

- C'était ...éprouvant. Laisse moi une minute et je te raconte tout.

Je lui raconte en détail mon expérience et l'ascenseur émotionnel qui en a découlé pendant que nous reprenons la route. Yves intervient:

- J'aurais dû faire cela dès le début. T'emmener pour te montrer, cela m'aurait évité tellement de ... Bref, je crois que tu as compris maintenant.

- Ouais... mais on a toujours le problème Karina à régler.

- Karina? Demande Yvan.

- La femme en rouge, réponds Yves.

- Karina donc... On ne va pas pouvoir la fuir éternellement, elle finira par apporter l'Alexanesson dans notre présent.

- On doit réussir à la raisonner.

Yves reste silencieux pendant que Yvan et moi réfléchissons à une stratégie pour la convaincre d'abandonner. Nous ne sommes pas convaincus par nos idées et laissons tomber.
Je ne peux m'empêcher de repenser au futur que je risque de provoquer. Je me sens coupable car dans une réalité différente de la mienne, des milliards de personnes sont mortes par ma faute. Je suis une criminelle en puissance et je me dégoute soudainement. D'un autre côté, ce fameux effondrement semble inévitable et cela me terrifie. Bien sûr, si on peut éviter la partie exposition aux radiations en plus de tous les problèmes qui nous attendent, je pense que j'ai mon rôle à jouer. On doit à tout prix trouver le moyen de stopper Karina. J'ai tellement peur de ce qui va arriver.

- Merde, lâche Yvan entre ses dents.

Sortie de mes pensées, je me tourne vers lui:

- Quoi?

Yves qui a suivi le regard de Yvan dans le rétroviseur se retourne et me répond en questionnant Yvan en même temps:

- Je crois qu'elle nous suit, la volvo derrière nous, pas vrai?

- Ouais, je crois aussi. Elle est derrière nous depuis qu'on a quitté l'aire alors qu'il n'y avait personne sur le parking à part nous.

Nous décidons de nous arrêter sur le bas côté afin de vérifier notre théorie. La volvo noire nous dépasse. Le conducteur ne semble pas se préoccuper de nous et continue sa route. Nous nous disons que nous devenons paranoïaques et reprenons notre route.  Nous roulons toute la journée vers le Sud. Nous nous arrêtons pour la nuit dans un hôtel et avons l'intention de réfléchir sérieusement à un plan et une direction ce soir. Nous avons roulé tout ce temps sans but et sans stratégie, nous devons vraiment nous concerter. Nous prenons donc une seule chambre pour nous trois afin de jouer la sécurité. Nous décidons de prendre une douche et d'établir notre plan en mangeant. Je file sous la douche pendant que Yvan nous commande des pizzas. En sortant de la salle de bain, la lumière est tamisée. Je ne remarque donc pas tout de suite la scène qui se joue dans notre chambre. Si bien que je sursaute quand Karina, assise sur le fauteuil devant de la porte m'adresse ces paroles:

- Bonsoir Alexandra, heureuse de vous retrouver!

L'élément déclencheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant